Noureddine HAMAMA : la langue arabe et l’inconscient : 6/02/2016

Découverte de la langue arabe et de ses rapports avec l’inconscient

Séance du 6 février 2016

2 langue arabe     DISCOURS D'ACCUEIL DU DIRECTEUR DU CNAM RHONE-ALPES

     Olivier MARION

     Le CNAM est une vieille institution républicaine. Dans son message originel, sont ancrées profondément les valeurs de la république française, l’esprit des lumières, et d’un humanisme pensé pour tous et partout.

MR Olivier Faron, notre administrateur général, a engagé un travail de réflexion sur la question de la langue arabe. C’est un sujet qui engage le Conservatoire sur la problématique de la diffusion de la langue arabe via des établissements publics de formation (éducation nationale comme enseignement supérieur).
En effet, cette langue est plutôt malmenée, mal reconnue, et souvent associée à la langue du Coran, Or l’arabe est pourtant une des six langues officielles de l’ONU, la deuxième langue parlée en France, mais de moins en en moins enseignée et assurément moins que le chinois en France !
Autre constat ; pour nous également « questionnant » : selon des évaluations du Ministère de l’intérieur (certainement en deça de la réalité) ; il y aurait plus de 65.000 de nos concitoyens qui apprennent l’arabe en dehors d’espaces publiques de formation, le plus souvent dans des associations culturelles ou/et cultuelles ; dont les programmes ne sont pas contrôlés.
Le Conservatoire a donc très récemment commencé à créer une offre de formation certifiante, pour la langue arabe dans une perspective de l’usage de l’arabe en contexte professionnel.
En Rhône Alpes, j’ai récemment nommé une chargée de mission pour travailler à l’ingénierie d’une offre de formation en langue arabe pour la rentrée prochaine. Il s’agit de permettre à différents publics de se former à cette langue et sa culture : des professionnels qui souhaitent commercer avec l’autre rive de la méditerranée ou le golfe arabo-persique, mais aussi tous nos concitoyens souhaitant découvrir cette langue arabe, soit se perfectionner dans un arabe littéral ou dialectal.
J’en termine, en souhaitant remercier nos conférenciers, Noureddine Hamama et Nazir Hamad et bien sur Jean-Luc de Saint-Just.
J’espère que vous serez plus nombreux encore pour la séance prochaine au mois d’avril.
Bonne matinée.

 

Introdution de Jean-Luc de Saint-Just

Merci Olivier Marion, je vais juste dire deux mots avant de passer la parole à Noureddine Hamama. Pour ceux qui n’étaient pas là lors de la première séance en octobre, sachez que l’intervention de Nazir Hamad la discussion qui en a suivi et qui a été tout aussi passionnante ont été entièrement transcrites. Cette transcription est disponible sur le site du CNAM RA, mais également sur le site de l’ALI LYON. Cela vous permettra de découvrir notre toute jeune association au-delà des documents qui nous avons laissé à l’entrée sur les enseignements que nous proposons.
Autre information importante, les prochaines dates de ce séminaire seront les samedis 30 avril et 25 juin 2016, toujours au CNAM RA de 9h30 à 12h30.
Ce séminaire est ouvert à tous et la participation aux frais est libre. C’est une invitation à ce que chacun participe aux frais de ce séminaire à hauteur de dix Euros par séance, mais sans obligation ni vérification, et à l’exception des étudiants, des chômeurs et des personnes déjà inscrites aux enseignements de l’ALI LYON qui ont déjà participés. C’est une façon de revenir à une pratique qui avait lieu au moyen-âge pour financer la poésie et les auteurs.
Pour ceux qui ne les connaissent pas encore, je vous présente Nazir Hamad qui est franco-libanais, psychanalyste à Paris, docteur en psychologie clinique, qui nous fait le plaisir de nous rejoindre pour ce séminaire. Il a écrit un certain nombre d’ouvrages dont un que je vous conseille « La langue et la frontière, double culture et polyglottisme » chez Denoël. Par ailleurs, Nazir Hamad est aussi un grand spécialiste des questions d’adoption, sujet sur lequel il a écrit de nombreux ouvrages, mais aussi des romans et des pièces de théâtre. Donc, je crois que l’on peut le dire ainsi, un écrivain.
Je vous présente également Noureddine Hamama qui est franco-algérien, psychologue et psychanalyste à Chambéry et Grenoble, à la fois en libéral et en institution, avec qui j’ai le plaisir de travailler très régulièrement également sur des questions sociales sur lesquelles nous tenons un autre séminaire.
La dernière fois Nazir Hamad nous avait parlé de « La langue et le sacré » et aujourd’hui Noureddine Hamama va nous parler de « L’arabe classique, l’arabe dialectal et l’arabe moderne », en se référant plus précisément à ce qui se passe dans les pays du Maghreb.
Je passe donc tout de suite la parole à Noureddine Hamama et nous aurons ensuite du temps pour pouvoir discuter et échanger sur ce qu’il nous aura amené.

 

INTERVENTION DE NOUREDDINE HAMAMA

 

Noureddine Hamama

Je vais prendre la parole ce matin devant vous en effet de ma place de psychologue et psychanalyste en libéral et en institution, mais me semble t-il aussi à partir peut-être de ma place d’un franco-algérien qui a vécu jusqu’à vingt ans en Algérie. C’est aussi à partir de cette place que je vais essayer d’en dire quelque chose sur cette question de la langue Arabe et donc du coup c’est cette place là et ce lieu là qui va peut-être légitimer un peu ma parole.
J’étais très embêté, comment le dire, pour commencer mon propos aujourd’hui. Je ne savais pas comment l’introduire, et une histoire m’est revenue que je vais essayer de vous raconter brièvement. Une histoire qui se passe en Algérie. Il y avait un groupe d’enfants qui allaient jouer auprès d’une source d’eau qui était nommée « Ain Boutenbal ». « Ain » en Arabe veut dire source d’eau, cela veut dire aussi autre chose, mais c’est d’abord source d’eau que je retiens pour cette histoire. Notamment, cette source d’eau, il y avait des bassins qui étaient construits et qui servaient soit pour faire boire les bêtes, soit pour le lavage de plein d’autres choses. Ces enfants allaient jouer dans ces bassins. Et un jour il y avait un vieux monsieur qui était là et qui s’est adressé à ces enfants en leur demandant s’ils savaient comment cette source était nommée. Tout le groupe savait. Ils ont tous répondu, ben si : « Ain Boutenbal ». Puis il leur a demandé, ben pourquoi on l’appelle « Ain Boutenbal ». Chaque enfant allait un peu de son savoir, puis de sa réponse. Celui qui disait, c’était surement le nom d’un saint. Un autre disait, c’était surement le nom d’un marabout. Un autre qui allait du côté de la guerre d’Algérie en disant que c’était le nom d’un moudjahed c'est-à-dire un combattant de la guerre d’Algerie et puis celui qui disait que c’était le nom d’une grande famille etc…Et le vieux Monsieur finissait par leur dire que la réponse juste est que pendant la colonisation Française, il y avait une plaque sur laquelle était écrit « Eau non Potable » ce qui est devenu « Ain Boutenbal ». Je vous raconte cette histoire pour vous rappeler que les langues ne sont pas racistes et que chaque langue véhicule une vision particulière du monde. Dans cette histoire un écrit en langue Française s’est transformé en parlé arabe. La majorité des écrivains Maghrébins d’expression Française travaillent cette langue d’écriture autant sur le fond que sur la forme. Ils éprouvent souvent dans leur écriture la nécessité de définir et redéfinir le rapport qu’ils ont avec la langue Française, langue d’écriture dans aussi son rapport aux langues et dialectes. En écrivant dans une langue, ils font sortir l’Autre de cette langue, ils migrent entre les langues. La langue Française sert à faire sortir les sentiments qu’on éprouve dans une autre langue. Dans cette petite histoire, il y a une forme d’arabisation du français. Le français est habité par des sonorités de l’autre langue.
Pour continuer encore un peu sur ce rapport que les écrivains Magrébins entretiennent avec la langue Française, Kateb Yacine qui a vécu la colonisation la langue Française était pour lui un butin de guerre mais pour Kamel Daoud qui n’a pas connu la colonisation qualifie la langue française comme un bien vacant. Un bien vacant c’était les biens après l’indépendance qui appartenaient encore aux français et que l’état a récupérés et qu’il distribuait après en fonction des situations et en fonction de l’époque à l’indépendance. Donc une langue sert parfois d’espace à des sentiments qu’on éprouve dans une autre langue. Et les écrivains, je trouve, magrébins, ont toujours, comment le dire, eu besoin, on va le dire un peut comme ça, de l’arabe classique, de l’arabe parlé dialectal, du français et du berbère. Certes, dans la société algérienne, je dirais dans les pays du Maghreb en général, mais particulièrement dans la société algérienne, l’arabe classique est considéré comme la langue nationale et officielle. Mais il y a aussi l’arabe dialectal, l’arabe parlé, qui est considéré par certains comme une forme dégradée de la langue arabe classique, que souvent on appelle la langue pure, celle du Coran. Mais les écrivains souvent, comment dire, nous font sentir que toutes ces langues sont solidaires. Cette solidarité cela m’a fait penser à ce que disait Edouard Glissant en évoquant la question de l’écriture et de l’écrivain. Il disait que même si un écrivain ne maitrisait qu’une seule langue, il écrit toujours en présence de toutes les langues du monde et tient compte de l’imaginaire des langues. Dans son cours de linguistique, Ferdinand de Saussure parle de cette faculté humaine de langage articulé comme une faculté universelle. Universelle, mais se manifestant dans divers et variés idiomes et langues. Donc une diversité de langues très différentes les unes des autres, mais toutes ces langues sont le résultat pour lui de cette faculté humaine de produire et de constituer une langue. L’unicité de l’espèce humaine est justement cette faculté de langage propre aux humains. Donc non seulement l’homme parle, est un être de parole, c’est cette prédisposition à la parole, donc à l’échange qui fait que l’homme est considéré comme un animal social. Pour revenir à ma petite histoire, on peut avancer l’hypothèse que cette transformation suppose et fait place à l’autre dans un imaginaire linguistique qui se fait acte et qui reflète la structure sociale dans ses spécificités. Une communauté ne peut donc se concevoir sans une langue ou des langues au pluriel, ni une langue ne peut se concevoir sans communauté. Benveniste a pu dire langue et société sont pour les hommes des réalités inconscientes. L’une et l’autre sont toujours hérités.
Vous voyez, si on s’intéresse ici à l’arabe algérien, dialectal, parlé, et je pense que c’est valable pour toutes les langues, ceux qui utilisent cette langue agissent sur elle de sorte que la langue devienne une sorte de praxis sociale.
Pour rester dans le cadre du séminaire sur la langue arabe, je vais essayer un peu de vous brosser, mais vraiment très schématiquement, les différences entre l’arabe classique, ou littéral, l’arabe dit dialectal, et ce que l’on appelle aujourd’hui l’arabe moderne ou standard. Nazir Hamad au mois d’octobre nous a parlé de sa discussion avec Moustafa Saffouan et du coup de son opposition à la position de Moustafa Saffouan d’écrire dans l’arabe dialectal égyptien. Notamment, il a traduit Othello de Shakespeare en arabe égyptien. Voilà comment justement parle de cette position Moustafa Saffouan dans son livre « Pourquoi le monde arabe n’est pas libre ? ». Je le cite : « On pense et on dit souvent que l’arabe est une seule et même langue, mais la distance entre l’arabe classique et l’arabe égyptien, entre celui des états du golfe et de l’Afrique du nord, est la même que celle qui existe entre le latin et les langues romanes, l’italien, l’espagnol et le français. L’échec ou plutôt le refus de reconnaître ces différences équivaut au refus de permettre aux illettrés une parole pleine sur leur avenir. Prenant conscience des effets dévastateurs de cette politique de mystification, je me décidais à écrire non pas en arabe grammatical, l’arabe classique, langue de l’élite, mais dans la langue vernaculaire. » Donc, l’arabe dialectal, plus loin il rajoute. « La raison pour laquelle je choisi de traduire Othello en langue vernaculaire est donc claire, permettre au peuple de lire les grand écrivains dans la langue qu’il apprend au berceau et dans laquelle il passe sa vie de la naissance à la mort. » Voilà la position de Saffouan. On peut tout à fait entendre sa position ici comme une position politique. Certains diraient peut-être une position même idéologique. Et je pense que c’est pour cela que Nazir Hamad ne le suivait pas dans cette position là. Et peut-être même une forme de lutte des classes.
Cela a été le cas, j’en ai parlé un petit peu la dernière fois, cela a été le cas quand dans la fin des années soixante dix début quatre vingt en Algérie il y a eu cette politique de l’arabisation, où beaucoup de personnes, beaucoup d’intellectuels, l’on vécu comme une annulation de leur propre subjectivité et du coup comme quelque chose du côté d’une langue du pouvoir.
Alors de quoi parle t-on lorsque l’on dit langue classique et langue vernaculaire ? L’arabe classique est nommé « El Arabia el Fus’ha », l’autre mot c’est « El Assila». L’arabe dialectal est nommé « Dârija » ou « Ammiya». « El fus’ha» veut dire la belle langue, une langue éloquente, pure. Quelqu’un qui parle bien, qui est éloquent on va dire qu’il est : « Fasih ». « Assila » c’est la langue authentique, originelle. « Ammiya » pour le dialecte, c’est une langue pas précise, qui est généraliste et cela implique l’idée de la langue populaire, celle de la masse. « Dârija» dans ce mot il y a l’idée d’une parole non assurée, une voix tremblante. Pour les linguistes l’arabe classique se situe au niveau d’une variété haute. La variété basse concerne les dialectes régionaux et qu’on appelle donc langue vernaculaire. C’est à dire familière, utilisée dans la vie quotidienne. Comme vous le savez l’arabe est une composante de la famille des langues chamito-sémitiques. Le terme de chamito-sémitique désigne géographiquement l’ensemble des langues qui couvrent une partie de l’Afrique et une partie de l’Asie. Les deux langues les plus connues sous le terme de langues sémitiques c’est l’arabe et l’hébreu. Des caractéristiques ont été proposées, le sociolinguiste Malherbe par exemple, pour définir les langues sémitiques. Voilà les caractéristiques qu’il avançait pour les définir ces langues sémitiques : Un système de consonnes très complet, beaucoup d’entres elles sont articulées dans la gorge, les mots se forment souvent par enrichissement d’un radical de trois lettres, le féminin est souvent dérivé du masculin grâce à la lettre en arabe « ت » « t ».
Et pour vous schématiser les différences entre l’arabe classique et l’arabe dialectal, on peut dire que l’arabe classique est régit par des règles strictes de grammaire et de syntaxe. Il existe des livres de grammaire, ainsi que des dictionnaires. Le dialectal a des règles qui sont sous-jacentes, pas de diffusion de livre, ni de dictionnaire. Au niveau vocabulaire l’arabe classique est très riche. Un vocabulaire commun a tous les arabophones, et il y a très peu de tolérance aux mots étrangers. Le vocabulaire du dialectal varie d’une région à une autre. Il tolère facilement les emprunts des autres langues étrangères. L’arabe classique se prononce uniformément. Le dialecte c’est très varié. Quand vous allez en Algérie, d’une région à une autre, cela peut être très différent. Les gens se comprennent quand même, mais cela peut être très très varié. Je parle de l’arabe parlé, je ne parle pas des autres, du berbère ou du « chaoui», du « targui ». Cela c’est encore autre chose. Le lexique de l’arabe classique est très riche, les mots sont invariables. La structure des phrases est complexe. Pour le dialecte les phrases sont simples, courtes. La conjugaison pour l’arabe classique obéit à des règles très strictes et écrites, alors que le dialecte est une forme plutôt parlée. L’arabe classique est une langue de l’écriture, langue officielle, et langue d’enseignement. Le dialecte est une langue maternelle et familière. Le dialecte n’a pas d’écriture validée et enseignée. Sans oublier que l’arabe classique est la langue du texte coranique, alors que le dialecte est utilisé dans la sphère familiale et localisé géographiquement.
Comme nous l’avons déjà discuté au mois d’octobre la période antéislamique était une période essentiellement de culture orale. Cette tradition orale a beaucoup enrichie et développé la passion pour la poésie. Les historiens sont d’accord pour dire que cette poésie, ce genre poétique, remplissait une fonction d’échange et de communication entre les tribus de l’époque. D’après Roman, historien, « la langue arabe entre linguistiquement dans l’histoire à la fin du VI° siècle d’abord avec les vers de ses premiers poètes connus et avec le Coran qui va déterminer son destin. Et elle entre dans l’histoire comme une langue commune aux tribus ».
Comme vous le savez, la révélation du texte coranique s’est étalée sur une période de vingt trois ans, entre 610 et 632 après JC. Ce texte a été oral, ce qui a obligé la mise en place de groupes de personnes pour le mémoriser. On les appelait « Hufaz», les apprenants.
Cela me rappelle ce que je disais la dernière fois, que l’arabe classique en Algérie on l’apprenait comme une langue étrangère. Et personnellement je suis venu à l’arabe classique par l’école coranique. On allait à l’école coranique très jeune, à partir de cinq, six ans, et on apprenait le Coran, mais sans le déchiffrer, sans le comprendre. Et donc on écrivait des versets du Coran sur les planches en bois, avec un morceau de roseau et de l’ancre et on récitait cela toute la journée avec le « Taleb» l’imam. Et il nous autorisait à aller les laver ces planches en bois à partir du moment où c’était enregistré. Et donc pour moi dès que je pouvais aller laver ma planche en bois, je savais que c’était dans ma tête.
Donc à l’époque il y avait ces personnes qui apprenaient par cœur le Coran pour pas qu’il soit oublié. Parce qu’il n’y avait pas encore l’écriture. D’après les chercheurs, il existe très peu de sources sur les langues parlées de l’époque. Certains des chercheurs parle de la langue de la tribu de « Quraiche». Tribu dont est issu le prophète. Mais ils parlent aussi d’une forme de Koïnè au sens grec du terme, une langue commune qui existait dans la grande variété des dialectes et qui permettait que les tribus se comprennent entre eux.
Le Coran évoque onze fois la question de l’arabe dans le texte. Verset 26 par exemple c’est écrit : « C’est une révélation en arabe pur » ; verset 43 nous avons fait de l’écriture une prédication en arabe ». On fait souvent référence au mot « i’jâz» en arabe pour parler du texte du Coran pour insister sur sa perfection dans son style avec la conviction qu’aucun homme ne serait apte à reproduire la même chose. Et le Coran évoque cela à plusieurs reprises. Je vous cite un verset : « Si vous êtes dans le doute de ce que nous avons révélé à notre serviteur, apportez moi une sourate semblable à ceci » dans la traduction de Coran de Régis Blachère. C’est pour cela qu’on peut dire que la langue du Coran est à la fois une prophétie et une poésie. Voilà ce qu’écrit Féti Benslama sur cette question de la langue, posée au prophète : « Ce que nous appelons l’équation monothéiste, un homme, un peuple, un livre. On pourrait la localiser spécifiquement dans le rapport d’énonciation de l’homme au livre à travers la langue d’un peuple. Tandis que dans le judaïsme ce rapport semble se nouer en un peuple élu et la loi écrite que l’on transmet au prix de la brisure de ses tables, ce qui est la condition de sa lisibilité, tandis que dans le christianisme l’homme est ce verbe incarné qui fait œuvre de loi pour le supplice de son corps, en Islam le fait essentiel semble se dérouler sur le plan de l’énonciation de la parole, l’énonciation de la parole de la loi par l’homme au moyen de la langue. En ce sens qu’avec Muhammed l’être du langage va se manifester dans la langue arabe. » Et il cite un verset du Coran : « Nous t’avons inspiré un Coran arabe pour que tu avertisses la mère des cités et ses alentours ». Les travaux de recherche sur l’écriture de la langue arabe remontent sur son origine à l’écriture inventée par les phéniciens. Cette écriture à été transmise aux araméens qui ont été remplacé après par les nabatéens qui a donné l’arabe. Et Blachàre décrit ce parcours en disant : « l’écriture arabe, le fait est aujourd’hui est bien établi, dérive de la cursive utilisée par les nabatéens en Pétra, introduite en Arabie occidentale, notamment à la Mecque au sixième siècle avant JC au plus tard. » L’alphabet de l’arabe classique est composé de vingt-huit lettres. C’est une langue qui s’écrit de droite à gauche. Il n’y a pas de majuscule. L’arabe classique ne peut être compris que grâce aux signes diacritiques. Il y a les points au dessus des lettres, des points en dessous de la lettre. Je vais vous donner un exemple.
(Noureddine Hamama écrit au tableau) تُ tou تَ ta تِ ti. On peut faire cela avec toutes les lettres.
Ce que je voulais préciser. Ce qu’on appelle les voyelles, parce qu’il n’y a pas de voyelles. C’est des signes diacritiques. Il y a « hamza,fatha damma et kasra ». Là par exemple si je mets ce trait là comme cela, cela se prononce « ta », je fais la même chose et je le mets là cela se prononce « ti », je fais la même chose et je fais cela, cela fait « tou ». Donc c’est ces signes diacritiques qui font un peu les voyelles. La grammaire se dit en arabe « E’nahou». Je disais la dernière fois que cela a aussi une connotation de direction. « Nahoua » qui veut dire en direction de… Je pense que c’est en lien avec la mise en place de l’écriture de l’arabe qui incitait les grammairiens à prendre une direction ou une autre. Donc cette originalité de la langue est à considérer à partir d’une part de son histoire, mais aussi à partir du travail fait sur son écriture. Et cela a été le rôle des grammairiens arabes qui ont su par leur travail préserver la version originale de l’arabe classique, celui du Coran. Aujourd’hui à coté de cette langue arabe considérée comme sacré puisque d’origine divine, se développe une langue arabe dite moderne ou standard. Une langue simplifiée qui se situe entre l’arabe classique et les dialectes régionaux. Cette langue moderne fonctionne par une arabisation des mots empruntés à des langues étrangères, mais beaucoup d’arabophones considèrent cela comme une régression. Et l’exemple qui est souvent donné pour parler de cet arabe moderne, c’est celui de l’arabe de la télévision.

Question de la salle

Si j’ai bien compris, il y a la langue originelle du Coran, il y a tous les dialectes, et la différence entre l’arabe classique, littéraire, et l’arabe moderne c’est le fait qu’on apprend et qu’on arabise des mots des autres langues.

Noureddine Hamama

Je n’ai pas fini, mais c’est plutôt pour simplifier. C’est pas simplement on emprunte des mots à d’autres langues étrangères. C’est pour simplifier la complexité de l’arabe classique, et pour répondre peut-être aux nouveaux modes de vie d’aujourd’hui. Je vais vous donner quelques. L’exemple de la télévision, on peut pensez à la chaine Al Azira, les journalistes viennent de tous les pays. Vous ne pouvez quand vous les écoutez les différencier par nationalité. Il y a quelque chose dans la langue arabe qui s’est adapté, comment dire, à la télévision pour être le plus compréhensible possible. Donc en effet on parle de la modernisation, on en a parlé la dernière fois au mois d’octobre, de la langue arabe. C’est-à-dire son évolution, qui est considérée cette modernisation par les partisans de cette modernisation, comme une preuve de sa vitalité et de son aptitude à exprimer les réalités des nouveaux modes de vie.

Alors un exemple de modernisation, le mot « dialectique » est prononcé en arabe moderne « dialectiquia » ? C’est difficile hein ! Mais en arabe classique cela se dit « jadalia ». Donc vous voyez c’est emprunté, mais c’est détourné pour rendre peut-être l’arabe plus compréhensible. « jadalia » il faut prendre un dictionnaire pour savoir ce que cela veut dire. Oui, Nazir Hamad…

 

DISCUSSION AVEC LA SALLE :


Nazir Hamad

« Jadal» veut dire discuter. « Tajadala » c’est la discussion, c’est la « disputatio » en latin. « Al tajadol » est le débat avec ce qu’il introduit comme raidissement ou comme relativisation des valeurs. L’arabisation des mots étrangers suscite un tel débat. On note deux tendances chez les linguistes : il y en a qui reprennent le mot latin et qui l’écrivent en arabe comme par exemple « le téléphone s’écrit téléphone en arabe », et il y a ceux qui cherchent effectivement une racine arabe pour inventer un nouveau mot. Pourquoi faut-il absolument trouver une racine arabe pour des mots qu’on peut tout simplement emprunter ? La réponse n’est pas facile. Les langues n’ont jamais cessé d’emprunter des vocabulaires les unes aux autres. C’est vrai pour la langue arabe comme pour les autres langues. Cependant, Les deux positions sont défendables. Pourquoi emprunter quand on peut inventer des mots à partir de l’ancien arabe, ou pourquoi faut-il absolument toujours revenir en arrière et chercher une racine quand on peut emprunter tout simplement un mot à une autre langue et l’écrire en arabe. Avouez que c’est le même débat qu’on trouve dans beaucoup de langue et c’est pour cela souvent que l’on trouve un mot qui entre directement en français en anglais ou en allemand, avec une nouvelle écriture tout simplement. C’est une position, c’est un point de vue, c’est un débat entre les linguistes de tous bords.

Noureddine Hamama

Merci Nazir Hamad, mais c’est vrai que l’emprunt.

Question de la salle :

Cela donne je délire ? J’ai compris je délire. (rires)

Jean-Luc de Saint-Just

C’est une très jolie équivoque. Pour aller dans le sens de ce qui disent Noureddine Hamama et Nazir Hamad, j’avais donné la dernière fois l’exemple du mail. C’est très intéressant l’exemple du mail. On peut se plaindre de cette façon dont la langue anglaise nous envahi, mais en méconnaissant que c’est un mot français. C’est la malle, la malle poste. Les anglais pourraient se plaindre qu’il y a trop de mots français dans leur langue, et en effet il y en a beaucoup, et nous nous pouvons nous plaindre du nombre de mots anglais dans la notre, y compris lorsque ce sont des retours déformés des propres mots de notre langue. C’est une illustration de la façon dont les signifiants se promènent d’une langue à l’autre et bien entendu vont prendre la couleur de chaque langue.

Noureddine Hamama

Oui, parce que ce que l’on constate dans cet arabe moderne, c’est qu’en effet on prend des mots dans d’autres langues. C’est au niveau de prononciation que cela bouge. Jacques Berque parle de cet arabe, il ne nomme pas standard ou moderne, il l’appelle l’arabe moyen « wusta ». Et donc cet arabe moderne pour les partisans de cet arabe moderne, ils pensent que c’est un arabe qui peut garder une forme de fidélité à la langue classique, mais en même temps en s’ouvrant au temps du monde moderne.

Pour revenir à cette différence entre arabe classique et arabe dialectal, les sociolinguistes parlent de « diglossie » qui n’est pas le bilinguisme. La diglossie c’est la coexistence dans une même langue de deux niveaux, mais dont l’évolution les installent dans des statuts différents et dans fonctions divergents. Pour eux, les sociolinguistes, l’un des niveaux est considéré comme le niveau supérieur de la langue, et l’autre comme le niveau inférieur de cette même langue. Cette diglossie de la langue arabe, elle n’est pas spécifique aux pays du Maghreb. On peut la retrouver dans tous les autres pays arabes.
Comme je vous disais tout à l’heure je ne pense pas que cette notion qui est de Ferguson peut décrire complètement ce qui se passe dans les pays du Maghreb au niveau linguistique. Il n’y a pas que l’arabe classique et l’arabe dialectal, il y aussi comme je vous le disais tout à l’heure les autres langues, le français entre autres, mais aussi les autres dialectes, surtout le berbère.

Jérôme La Selve

Noureddine j’aurais une question. L’arabe parlé par les djihâdistes, c’est de l’arabe moderne ou de l’arabe classique détourné ou je ne sais pas. Tu parlais tout à l’heure de la langue du pouvoir.
Noureddine Hamama
Nazir qu’en penses-tu ?

Nazir Hamad

Ecoutez, comme ils viennent de partout, il y en a même qui ne parlent pas du tout arabe. Et la majorité ne parlent pas l’arabe. Ceux qui viennent d’Afghanistan, du Pakistan, du Caucase, etc. ne lisent ni l’arabe, ni le Coran. C’est pour cela que je… Est-ce que je peux ?

Noureddine Hamama

Je voulais juste rajouter. J’ai appris la semaine dernière que 40% des gens qu’on nomme djihâdistes sont de familles de confession entre autres chrétiennes, 40% sont de familles athées et 20% de musulmans.

Nazir Hamad

Nourredine, ton histoire de source nous as fait découvrir un mot d’esprit extraordinaire. « Ain » cela veut dire la source et cela veut dire l’œil. « Tanbal» en arabe veut dire idiot et paresseux. Quelqu’un de « tanbal » c’est celui qui ne comprend ou ne s’intéresse à rien. On se retrouve devant une histoire absolument délicieuse. Cette source s’appelle « Ain Aboutanbal » c’est-à-dire l’œil de l’idiot. Qui est l’idiot dans cette histoire ? Avec le temps cette expression a perdu son sens, balloté entre deux langues. A l’origine, on a écrit « eau non potable » en français, mais petit à petit, l’expression française s’éloignait de sa signification française pour se rattacher homophoniquement au dialecte local introduisant ainsi une signification nouvelle. La rencontre entre langues peut être cette rencontre entre « tanabel», entre les idiots. Voici à titre d’exemple une rencontre entre deux langue qui exclut l’idiot.

Il s’agit de l’histoire de la pierre de Rosette. Est-ce que vous savez cette pierre se trouve en Angleterre alors que c’est un français qui l’a trouvée ? Tout simplement, au cours d’une bataille entre Napoléon et les anglais, les anglais attaquaient et les troupes françaises essayaient de se protéger en construisant une barricade. Alors qu’ils se barricadaient, un soldat qui n’était pas « tanbal », tombe sur la pierre de Rosette. Il atout de suite compris que cette pierre était importante. Son chef l’a examiné a conclu lu aussi que cette pierre était vraiment importante. Ils l’ont mise de côté afin de lui éviter de s’abimer. Les anglais ont gagné la bataille et ont exiger des français de partir en ne transportant que ce que chaque soldat pouvait transporter seul. Ils n’avaient pas le droit de porter des choses lourdes à deux. Et comme la pierre de Rosette était lourde, elle est restée sur place. Les anglais e n’étaient pas bêtes non plus. Ils ont vite compris l’intérêt de cette découverte. Ils ont fait l’hypothèse que cela veut dire quelque chose et en posant une telle hypothèse, l’idiot éatit déjà écarté. Quand on fait l’hypothèse que cela veut dire quelque chose il n’y a plus d’idiot. Le non lecteur n’est pas un idiot. Celui qui n’a pas cette langue n’est pas l’idiot. C’est celui qui ne fait pas d’hypothèse qui est idiot. Et alors, qui est le premier qui a fait l’hypothèse, c’est un français. Qui a mis la pierre de côté. Et qui est-ce qui a déchiffré le texte ? C’est celui qui a fait le premier l’hypothèse que ce texte voulait dire quelque chose ; autrement dit, un français.
C’est exactement ce qui se passe dans « lalangue », « lalangue » en un seul mot. Quand l’enfant gémi, hurle, cri, etc. Il y a toujours quelqu’un que dans notre jargon de psychanalyste on appelle l’Autre maternel, autrement dit, la mère, qui fait l’hypothèse que son bébé est en train de lui dire quelque chose. Et que c’est un langage, et que ce n’est pas une simple expression de douleur. Il s’agit d’un langage qui n’emprunte pas encore la parole de l’enfant à cause de son immaturité biologique. Devenir parole dans la bouche de l’enfant est aussi un pari d’un adulte, de l’entourage. Sans ce pari l’idiot prend toute sa place. Or que fait le colonialiste en arrivant dans les autres pays ? Il fait une hypothèse le concernant. L’hypothèse qu’il arrive avec une richesse, avec une culture, avec une civilisation et qu’il a à les inculquer à des gens inferieur à lui. Il ôte aux autres langues toute hypothèse de validité culturelle et civilisationnelle. Seulement, en arrivant dans ce qu’on appelle le monde arabe et les pays musulmans, ils sont tombés sur un os et cet os, et cet os est effectivement le Coran. Dans ce sens là il y avait un va et vient en permanence entre le Coran et la langue arabe. La langue arabe a donné le Coran et le Coran a protégé la langue arabe aux moments difficiles, face au colonialisme et face à l’empire ottoman qui a duré des siècles. Pendant ces siècles, l’empire ottoman n’a jamais réussi à étouffer cette langue, au contraire, les Ottomans étaient obligés de l’adopter dans l’administration et dans la théologie, la langue du Coran.
Quand on parle des trois langues, c’est vrai et c’est faux à la fois. C’est vrai parce que la langue du Coran c’est le corpus auquel il ne faut pas toucher. C’est le cas d’ailleurs des autres textes sacrés. On ne touche pas à ce corpus. C’est le message, c’est la révélation. La révélation est à accepter telle quelle. Mais aussi, ce n’est pas vrai dans l’histoire de l’islam. Le texte coranique a connu des altérations, parce que pour écrire le Coran, pour lui donner sa forme définitive, on l’a purgé. On a organisé le Coran pour lui donner sa forme définitive. C’est le Calife Osman qui l’a ressembler come il paraît de nos jours. C’était une nécessité parce qu’à l’époque, des versions différentes circulaient qui menaçaient l’unité du Coran. Et pour éviter tout conflit potentiel au sein de l’islam autour de la version du Coran, ils ont décidé d’éliminer ces différences et de la bruler. Ils ne se sont pas rendu compte à quel point leur geste allait s’inscrire effectivement dans l’évolution de l’islam plus tard. Ils ont privé l’islam, privé le corpus musulman, de toute antériorité, de toute historicité. Autrement dit, ce qui a été éliminé pouvait servir aux chercheurs, aux historiens de travailler sur l’enfance du Coran et pour résoudre des énigmes et des difficultés d’interprétation qui perdurent. Par exemple, et cela fait parti des énigmes du Coran, il y a beaucoup de sourates qui commencent avec deux lettres ou trois lettres. Il y a un sourate qui commence « Alef, Lam, Mim » et cela se lit comme tel, ou bien « Ya, Sin ». Et qu’est-ce qu’ils en disent les exégètes musulmans ? Ils disent que cela fait partie des miracles du Coran. Peut-être pas ? Cela fait partie des bêtises de ceux qui ont censurés le Coran. Vous voyez comment l’on peut contourner l’histoire en renvoyant à dieu ce que la main de l’homme a fait. Si cela veut dire quelque chose, c’est qu’il faut relativiser le sacré. On ne peut pas appeler sacré ce que la main de l’homme a altéré. La raison même de l’arrivée du Coran est dit dans le Coran, c’est pour parfaire le Message. Parce que les autres religions sont ce même message mais qui a subit des alérations. Ils n’étaient pas plus malins que les autres puisqu’ils ont eux aussi altéré ce qui devait venir parfaire le monothéisme. Y a-t-il une langue qui se fige ? Oui, les langues qu’on appelle mortes. La langue arabe n’est pas une langue morte. Elle évolue en permanence. Il est vrai que la langue du Coran reste la même, mais si vous Prenez un livre qui a été écrit il y a cent ans, vous découvrez à que la langue n’est plus la même. C’e. Comme le français, essayez de lire un livre de Balzac, etc. Vous allez trouver qu’effectivement ce n’est plus la même langue, ce n’est plus le même vocabulaire. Dans l’arabe classique c’est la même chose. Là j’ai une traduction, la seule traduction valable en arabe du texte d’Homère, qui a été traduit au début du siècle. Je vous assure que j’ai besoin de chercher dans beaucoup de vocabulaire pour comprendre. Et puis il y a la langue moderne ; autrement dit, ce qu’on appelle la langue moderne, c’est la langue de nos jours. Une langue est vivante dans la mesure ou elle évolue. Comme je suis coupé de la langue arabe depuis quarante, cinquante ans, il est évident que son évolution se fait sans moi. Quand je suis au Liban et que je discute avec les jeunes libanais, cela les fait rire. Quand je leur demande pourquoi cela vous les rire, ils me répondent : tu parles comme mon grand père. Tu dis des mots comme mon grand père. Effectivement, je suis loin depuis cinquante ans de cette langue. Donc je n’ai pas le vocabulaire de la langue qui est vivante. C’est pour cela que je n’arrive pas à comprendre pourquoi les arabophones ont tendance à dire : « il y a trois langue ». Non, il n’y a pas trois langues. Il y a une langue qui ne cesse d’évoluer et j’utilise des mots désuets. Une langue qui n’est pas vivante c’est une langue qui va se refermer sur son groupe et ce groupe se referme dans cette langue. C’est un problème essentiel, surtout pour les français d’origine arabe, d’Afrique du nord ou du Moyen-Orient. C’est-à-dire ceux qui se renferment avec cette langue dialectale, une langue qui s’appauvrit génération après génération. On dit que cette langue n’a trouvé à se renouveler que dans le mariage entre plusieurs dialectes, plusieurs langues. Comme c’est le cas dans les banlieues. Les banlieues sont en train de secréter, inventer leur créole. Cette langue c’est le créole, moderne. Pourquoi ? Parce qu’effectivement les banlieues sont des laboratoires vivants où des diverses langues se croisent et se créolisent.

Patricia Marion

Pour l’arabe dialectal, prenez par exemple le libanais. Celui-ci est très différent de l’arabe classique. En tant que libanaise, si je veux écrire un roman, j’aimerais bien pouvoir l’écrire en libanais. S’il faut l’écrire en arabe littéraire et j’en serais capable, cela mon conduirait à une forme de trahison de ma pensée.

Nazir Hamad

Je suis d’accord, ce n’est pas cela que je conteste. En tout cas si vous écrivez un livre en arabe dialectal vous l’adressez aux lettrés.

Patricia Marion

Aux lettrés, en tout cas aux libanais.

Nazir Hamad

Oui, les libanais sont lecteurs. Quand vous pensez qu’en Egypte c’est un pays qui compte quarante millions de non lecteurs. Vous leur écrivez dans n’importe qu’elle langue le resultat est toujours le même : en tous cas ils ne sont pas en mesure de lire une langue écrite. Autrement dit, là ou Moustafa Saffouan ne veut pas voir, c’est que la question ce n’est pas dans qu’elle langue on écrit. La question c’est de donner aux égyptiens les moyens d’apprendre à lire et à écrire.
Patricia Marion
C’est un autre problème, mais il faut aussi donner une place aux langues du pays, aux langues vernaculaires. Elles ont aussi le droit de s’exprimer.
C’est une question très importante dans nos pays d’autant plus que nous avons tendance à assimiler tous les dialectes à l’arabe. Je suis archéologue et j’ai étudié les langues anciennes. Le libanais est une langue qui a hérité du phénicien, de l’araméen, du syriaque, que ce soit sur le plan de la grammaire ou de la syntaxe. On ne peut assimiler le libanais à l’arabe classique. Et dieu sait que j’ai du plaisir à lire l’arabe classique, à lire le Coran ou autre chose. Parce que l’arabe n’a pas commencé avec le Coran. Le Coran est le premier livre écrit en arabe, mais il y a des inscriptions arabes que les archéologues ont découvertes récemment en Syrie et en Arabie. Il faut arrêtez de sacraliser cette langue parce qu’elle n’appartient pas qu’au Coran. Elle appartient aussi à d’autres civilisations, à d’autres cultures. Il faut développer les langues dialectales. Au Liban, seule la poésie, le zajal et autres, a échappé à cette main mise de l’arabe classique, parce que étonnamment seule la poésie peut être écrite en libanais.
Nazir Hamad
D’un point de vie historique, en France, il y a à peine quelques décennies, l’état français instaure la langue française en tant que langue nationale interdisant du même coup, les langues régionales. Des témoignages de l’époque nous révèlent que des enfants ont été mis à contribution pour dénoncer leurs parents quand ils parlaient ces langues régionales. Et comme par hasard, quelques décennies plus tard, ces mêmes langues font leur retour.
Si on prend le cas de la Suisse on constate que les Suisses ne confondent pas la langue suisse avec la langue allemande. Seulement pour l’école, pour l’enseignement, il ne suffit pas d’une langue orale. Il faut effectivement pour l’enseignement, pour l’éducation, il faut quand même une langue écrite. C’est pour cela que pour les Suisses cela n’a jamais posé un problème, ils parlent suisse dans le quotidien, mais à l’école ils parlent « allemand », l’allemand haut. Eux-mêmes ils font la différence entre l’allemand haut et l’allemande bas, mais la question c’est une question absolument incontournable. Par quoi passe l’éducation scolaire et universitaire ? Cela passe par une langue écrite.
Il s’agit de la même chose dans le monde arabe. Les Arabes parlent les divers dialectes dans la vie quotidienne, et ils ont recours à la langue littérale dans l’enseignement et la communication.
En psychanalyse on emploie le terme « lalangue » en un seul mot. Il s’agit de la langue intime, la langue de la mère. C’est la musicalité portée par sa voix, la prosodie maternelle, mais qu’est-ce qui nous sauve de la prosodie maternelle ? Une jouissance que partage l’enfant dans son vécu avec sa mère. Lalangue est le terreau de toutes les langues ! le bébé qui est pris dans lalangue avec sa mère est apte à apprendre n’importe quelle langue. Cependant, comme toute jouissance mère enfant, il faut une limite. Pas trop de jouissance. Ce qui vient faire limite à cette jouissance dans le lien mère enfant, c’est la langue articulée, il y en a qui l’appellent la langue du père. C’est celle là qui vient mettre un frein et introduire ce moins de jouir entre mère et enfant. La mère reste l’agent de cette moins de jouissance avec son bébé par le fait de lui signifier qu’elle ne se contente plus de l’entendre gazouiller et qu’elle veut qu’il veut l’entendre répéter ses mots et ses phrases.
C’est pour cela qu’une langue est ce qu’il y a de plus narcissique. C’est pour cela que ce n’est jamais facile de reformer une langue. Les linguistes se battent entre eux non pas parce qu’une langue n’est pas modifiable, mais parce qu’ils sont effectivement entre la nostalgie de la prosodie maternelle, et l’absurdité de l’orthographe. Cela s’écrit avec accent circonflexe attention ! Pourquoi le fait d’enlever l’accent circonflexe ôte à la langue quelque chose de sa valeur ? Parce que cela contient toujours ce que l’enfant estime, ma mère la plus belle et sa langue aussi. Il faut un support écrit pour que la langue prospère. Beaucoup de langues orales qui n’ont pas le support d’écrit, sont condamnées. Vous savez combien de langues sont mortes. Combien de langues risquent de mourir. Parce qu’elles n’ont pas le support de l’écrit. Juste je termine par une anecdote. La planche de bois, vous savez pourquoi on écrit le Coran sur une planche de bois ? Parce qu’on les brule, parce que comme c’est sacré on ne les laisse pas trainer. Les planches de bois que des enfants africains utilisent pour apprendre le Coran sont brulées quand elle s’abiment. On les brule parce que la parle de Dieu ne devrait pas trainer sur des support qui tombent dans les rues ou la nature. Les bruler est une façon d’éviter au texte sacré de tomber dans un milieu impure. Je me souviens, j’étais en vacances à Djenné. Djenné c’est la Mecque africaine en quelque sorte. Il y avait tous ces enfants avec leur planche de bois en train de réciter le Coran. Je demande à un enfant de venir me réciter ce qu’il était en train de lire. Il ne savait pas lire. J’ai découvert qu’il récitait ses sourates par cœur. J’ai pris le risque d’aider quelques uns dans leur lecture, et c’est alors, Ces enfants me regardaient avec étonnement et m’ont demandé si j’étais un imam blanc. Ils ont commencé à courir dans la rue à Djenné répétant : « il y a un imam blanc (rires). » Voilà ce que je pensais être une blague d’enfant, n’était pas si blague que cela, puisque les adultes sont sortis et m’ont demandé de présider la prière dans la mosquée de Djenné. J’avais un mal de chien de leur expliquer que ce n’est pas parce que je sais lire l’arabe et que je sais lire le Coran que je suis forcément un imam. C’est ça le raccourci pour revenir à « ain aboutanbal » entre un lecteur et un « tanbal ». Tu vois Noureddine pourquoi ton anecdote représente pour moi un mot d’esprit extraordinaire. Les enfants africains dans mon anecdote sont semblables aux enfants algériens, pour eux, pour leurs parents, lire le texte coranique fait l’imam « ain aboutanbal », l’œil de l’idiot. L’œil de l’idiot non seulement il ne voit pas, mais il ne fait aucune hypothèse.

Question de la salle

Moi je ne suis pas une spécialiste de la langue arabe, ni des langues arabes, mais ce que j’entends à travers des discours, est-ce qu’on peut considérer que le langage c’est un outil de communication finalement, c’est un support, et après le Coran c’est une forme de codification de ce langage pour qu’il puisse être compris par les autres. La culture, l’histoire de la l’homme, de sa communauté, enregistre ce langage là pour qu’il puisse aussi perdurer à travers le temps. Est-ce qu’on peut synthétiser de manière générale les choses comme ça ? C’est par rapport à ce que disait la dame. Le fait est qu’il y a plusieurs dialectes, et c’est propre à chaque pays, etc. Ce dialecte c’est juste finalement un canal de communication avec les autres. Cela permet aussi de montrer la couleur du pays et de se faire comprendre par une même culture, mais au final, ma base c’est bien.

Nazir Hamad

Le dialecte n’est pas seulement différent d’un pays à l’autre, c’est différent d’un village à l’autre. Quand je suis dans mon village, dans le village voisin qui se trouve à de dix kilomètres, on reconnaît les gens de notre village. Pourquoi, c’est cela qui fait la communauté dans le village, la musique de leur langage. Cela fait communauté. Quand je suis dans un village et que je viens d’un autre village, mais toi tu viens de tel village ! Ah oui ! Voilà comment cela devient identitaire la musique d’un langage. Cela devient identitaire. Dans la guerre civile libanaise, comme dans toutes les guerres civiles, cela devient plus qu’identitaire. Cela devient mortifère. Entre celui qui dit « soum » et celui qui dit « toum » ( ail), on reconnait la des régions, des villages différents, voire une appartenance. Et si pendant la guerre civile, je disais (soum) à celui qui dit « toum », je suis condamné. Il y a une blague comme cela pendant la guerre civile, il y a un shiite qui tombe entre les mains d’un maronite. Il essaie de s’en sortir comme il peut, et prétend qu’il est chrétien. Le maronite lui demande de jurer qu’il était chrétien, et c’est alors que le chiite retrouve son reflexe naturel et jure par la barbe d’Ali qu’il était chrétien. (rires)
Jean-Luc de Saint-Just
Juste deux mots et je vais me mettre dans la position de l’étranger puisque je ne suis pas de culture arabe.
Peut-être que la différence avec laquelle nous appréhendons nous psychanalyste la question de ce rapport à la langue c’est, comme cela a très bien été dit la dernière fois et aujourd’hui, que notre expérience nous faire dire que l’on ne maitrise pas une langue. C’est la langue qui nous maitrise. Ce n’est pas du tout la même chose. Ce n’est pas un outil. Nous sommes en tant que locuteurs les outils de la langue. Nous sommes forgés, déformés, par cette langue qui nous échappe et dont nous n’avons pas la maitrise.
Dans l’échange qu’il y a eu, mais cela a coupé l’intervention de Noureddine Hamama, donc je vais lui redonner la parole, mais dans l’échange qu’il y a eu et dans cette position d’étranger cela m’a beaucoup fait penser à ce qui s’est passé dans une région ou je suis né et ou j’ai habité quelques années, qu’est la Bretagne. En Bretagne, il s’est passé un certain nombre de choses tout à fait similaires. Le fait que l’école de la république ait interdit aux enfants de parler Breton.
Interruption dans l’enregistrement
Question de la salle
Quand on écrit la langue on découvre l’étymologie. Par exemple l’accent circonflexe sur forêt quand on écrit déforestation, l’accent circonflexe c’est le s. En fait, l’histoire des langues inscrit l’individu dans la dimension verticale, alors que la mère l’inscrit dans la jouissance d’un lien horizontal. Je pense que c’est valable dans toutes les langues, même si je ne connais que le français. Je pense que ce n’est pas négligeable que cet accent circonflexe, parce que c’est dire qu’il n’y a pas de langue sans son histoire et donc sans son étymologie. Une fois que l’on a intégré cela on est inscrit dans la dimension verticale.

Nazir Hamad

Je suis absolument d’accord avec vous. Ce n’est pas la culture qui est la sortie de la langue maternelle, c’est le moins de jouissance qui est la sortie de la langue maternelle. Vous savez un des symptômes que vous trouver pour ceux qui travaillent avec des enfants, une des difficultés pour l’enfant quand il commence à lire, c’est la place de la lettre, la fonction de la lettre. Un enfant qui déchiffre n’est pas encore lecteur. Quand on commence, on commence par déchiffrer, c’est-à-dire l’intérêt pour l’enfant c’est de pointer toutes les lettres qui composent un mot. Mais en pointant et en prononçant toutes les lettres qui composent le mot, ce n’est absolument pas la lecture. On sait qu’un enfant est lecteur avec la chute de la lettre. Tant que la lettre ne chute pas, l’enfant n’est pas lecteur. Autrement dit, on n’a pas besoin de visualiser et de prononcer toutes les lettres pour lire un mot. Lire implique effectivement la disparition, le voilement, des lettres. Accepter qu’il y a des lettre qui ne font qu’une figuration, parce que cela ne se prononce pas est une découverte tardive dans l’apprentissage d’une lange. Ce que j’appelle des fautes logiques c’est la confusion entre une lettre et un groupe de lettres qui se prononcent pareillement. (o-eau) par exemple. Ce n’est pas une faute, c’est une faute logique quand un enfant écrit fardeau avec o ou avec eau. A l’école on ne compte pas les choses de cette façon. La lecture est effective quand l’enfant arrive à faire avec ces nuances. Mais une fois que la lettre chute, elle ne disparaît pas pour autant. Sa fonction de base, c’est de nous jouer des tours. Et pour rajouter à ce que tu as dit. Si il y a un maitre, ce n’est pas la langue, ce n’est pas le langage, c’est la lettre. Parce qu’elle n’arrête pas de nous jouer des tours. Un de ses premiers tours on le retrouve, c’est adorable quand vous travaillez avec les enfants et que vous découvrez la difficulté pour cet enfant de faire avec les lettres et les sons.

Noureddine Hamama

Juste en effet pour insister sur ce point éminemment psychanalytique, en effet ce qui compte ce n’est pas uniquement quelle langue on parle, mais comment on est parlé par la langue. Je voulais juste vous parler d’une situation, très rapidement. Une jeune femme qui venait me voir pour des problèmes de surpoids et qu’elle rendait responsable de ce qu’elle appelait son état dépressif. Et dans son travail à un moment donné elle a commencé à parler un peu de ses relations. Son père était décédé quand elle avait 14 ans. Et puis elle se mettait à parler de ses relations avec ses frères et sœurs, et son prénom c’est Yasmina. Elle disait que ses frères quand tout allait bien, quand ils sont sympas avec elle, ils l’appelaient « Yas ». Et quand cela n’allait pas, ils l’appelaient la grosse. Et un moment donné je lui dis, mais comment on dit la grosse dans votre famille ? Elle a vu toute suite, elle a dit, « smina », la grosse. Elle a fait tout de suite le lien disant : « ils n’ont pas le droit de me découper de cette manière là », entre « Yas » et « smina » la grosse. En rajoutant que ce prénom Yasmina a été choisi par son père parce que cela voulait dire Jasmin, cela lui rappelait son Algérie natale. Elle rajoutait en effet qu’elle a commencé à prendre beaucoup de poids après le décès de son père.
C’est à partir de ce moment là qu’elle a commencé à vraiment faire des efforts pour perdre du poids. Voilà, c’est un peu cette question de comment on peut être parlé et ce que cela peut venir inscrire pour nous.

Question de la salle

C’est plutôt une question et qui va vers l’extrême orient. En Corée et au Vietnam la langue est devenue écrite quand elle a été transformée en lutte contre l’emprise de la Chine. Ma question c’est le passage par l’écriture, l’écrit pour pouvoir communiquer. Parce que là on est dans un autre type de culture, parce qu’il y a des différences entre le Viet de Hanoï ou de Saigon. Par rapport à la Chine, il y a eu une écriture syllabique, alphabétique, qui a été crée pour lutter contre la Chine. Ceci avant la colonisation française, et en Corée indépendamment, c’était antérieur au Vietnam.

Autre question

Je voudrais juste intervenir sur ce qu’on a dit un petit peu avant, parce que entre l’arabe littéraire qu’on apprend à l’école et celui qui s’apprend dans l’espace familial, à la maison, la langue maternelle comme vous le dites. Il y a cette différence que l’un est acquis à l’école et l’autre est acquis dans le milieu familial pour commencer, mais dès qu’une forte différence existe entre l’un et l’autre apparaît des zones de langue mélangées, d’arabe mixte. Et personne, même « ??? » qui a voulu écrire une œuvre en arabe dialectal, écrit dans un arabe mélangé. C’est impossible, on ne peut pas, parce qu’il y a beaucoup de mots, les mots de la vie courante, des mots d’ordre pratique, viennent soit d’une langue étrangère. « ??? » disait que c’est impossible de conduire une voiture en arabe littéraire parce que tous les mots sont en arabe dialectal et en fait ce sont des emprunts. Il y a tout ce problème « ??? » de la circulation. En fait, cette circulation qui crée des espaces mélangés. J’ai défendu l’idée d’une pluriglossie, d’une polyglossie de l’arabe pour cette raison justement. Je l’ai quand même défendu de manière à ce que ce soit introduit dans les programmes de l’enseignement à une époque ou j’en étais responsable en France. De fait, cette notion c’est la notion de subsidiarité, c’est un terme juridique administratif européen. La subsidiarité permet au niveau local de gérer ce qui n’est pas au niveau vertical de gérer ce qui lui revient, une sorte de va et vient à l’intérieur de la communauté européenne. C’est ce que l’on a constamment quand on parle l’arabe. Dans la pratique quotidienne de l’arabe, on a un mélange avec à la fois des choses qui sont locales. Je vais vous dire. Si je veux dire par exemple, je ne veux pas. Tous ces verbes, les verbes qui veulent dire je veux, je peux, je dois, etc. Ils changent d’un dialecte à l’autre. Il y a des termes techniques pour les désigner. Quand on écrit, si on écrit un roman on aimerait bien être lu d’une façon générale, et d’être lu par le plus grand nombre de gens possibles ; autrement que dans une traduction en anglais. Si aujourd’hui les Berbères veulent écrire un roman ils ont un problème. Il n’y a pas de codification d’écriture. C’est complètement éclaté. Dites moi le nom d’un grand romancier Berbère, mais qui écrirait en amazirc ou en tamazirc, selon la région ou vous êtes avec un t ou sans t, selon si vous êtes au Maroc ou en Algérie ? En fait, on a ce problème, la subsidiarité fait que dans l’espace culturel arabe, au contraire de l’espace culturel français, la langue verticale ne tue pas les autres, elle les laisse vivre en quelque sorte. Il y a un espace ou il y a un arabe littéraire et les dialectes on les laisse vivre. On les laisse fonctionner, ils vivent leurs vies, il n’y a pas de problème. La gestion entre le deux se fait avec ce que j’appelle moi, en empruntant le terme de subsidiarité.

Nazir Hamad

Ecoutez, je crains fort que l’instauration d’une langue qu’on appelle nationale est un passage obligatoire pour toutes les nations à partir du moment où la nation se construit. C’est-à-dire que cela fait partie des éléments qui définissent une nation et une identité. La langue a toujours fait partie des éléments constituants de l’identité nationale. Mais une fois la nation est construite, le pays devient fort, on n’a plus la même exigence vis-à-vis des autres langues. La langue nationale ne se sent plus menacée pareillement par les autres langues qu’elle a essayé d’étouffer ou de faire taire. C’est le cas partout maintenant en Europe. Maintenant le danger c’est quoi ? Que ces langues recommencent à vivre tant mieux ! Le danger c’est quand cela devient une espèce de lutte, de guerre, entre la langue nationale et les langues régionales. Je suis d’accord qu’il faut une référence à une langue commune mais quand le dialecte devient un ennemi de la langue nationale, on se demande ce qui se passe. Pourquoi pas, on peut faire vivre un dialecte, écrire un dialecte, mais cela ne veut pas dire parce qu’on parle un dialecte qu’il faut faire la guerre contre la langue nationale. C’est vrai Jean-Luc, tu l’as dit que le retour du Breton en tant que langue identitaire, ethnique, fait dans la tête de quelques uns la guerre contre la langue française. La question est la suivante: est-ce que c’est un temps logique nécessaire pour faire revivre une langue qui a été étouffée ? Peut-être ? Je n’en sais rien ! Est-ce qu’il faut un troisième temps pour trouver la paix entre les langues régionales et la langue nationale ? Dans ce cas là on entre dans la catégorie des temps logiques de Lacan. Peut-être c’est le temps d’apaisement. Peut-être faut-il recentrer un peu plus le débat en revenant à langue arabe. Il y a une communauté d’origine arabophone qui génération après génération continue à parler cette langue qui va en s’appauvrissant. Parce que ce groupe s’isole de plus en plus de sa langue d’origine. Comment une langue s’enrichie ? Comment une langue reste vivante ? Dans les écoles, on compte la langue arabe comme une langue rare, alors qu’en principe il y a beaucoup d’arabophones en France. Mais pourquoi elle est comptée ainsi ? C’est toute la question.

Stéphane Deluermoz

Moi j’ai une question parce que j’étais parti dans l’idée effectivement comme vous l’avez exprimé qu’il y avait l’arabe du Coran, l’arabe classique, et l’arabe dialectal, vernaculaire, et puis plus la discussion avance plus je vais un peu dans la confusion. Et j’ai l’impression effectivement qu’il y a plusieurs langues différentes selon l’expression de Mme Marion. Et puis aussi à propos des multiglossie, me font poser la question : est-ce qu’en fait il y a une structure de langue arabe ou est-ce qu’il y a différentes structures de langue arabe ? Parce qu’en français, effectivement on conçoit qu’il y a le belge, l’helvète, la canadien, mais on se réfère à la même structure de la langue. Est-ce qu’en ce qui concerne la langue arabe, est-ce qu’il y a des structures différentes de langues arabes, ou est-ce que ce sont uniquement des variations vernaculaires ? En d’autres termes, est-ce qu’un mot d’esprit ou un lapsus prononcé par un libanais ou une libanaise peut être compris pas un égyptien ?

Nazir Hamad

Je laisse la parole à l’autre libanaise.

Patricia Marion

Pour répondre à cette question il faut des linguistes. Moi je ne suis pas linguiste, mais comme je suis archéologue et que j’ai étudié les langues, je peux vous dire qu’au niveau de la syntaxe, de la grammaire, on est loin de l’arabe classique. Il y a des emprunts bien sûr, mais la langue libanaise est une langue différente de l’arabe classique.

Stéphane Deluermoz
Ce qui fait qu’il y aurait alors plusieurs structures de langues

Patricia Marion
Bien sûr ! Même au niveau du vocabulaire.

Question de la salle
Qu’est-ce qu’on appelle une structure de langue ?

Stéphane Deluermoz

La structure de la langue au niveau de la grammaire, de la syntaxe. Ce qui au niveau de la langue il y a comme possibilité de substitution, de métaphore…
Intervention de la salle
Le français, l’italien, l’espagnol qui sont issues, avec beaucoup d’autres apports, mais qui sont issues du latin en grande partie. Qu’elle définition on se donne, mais pour cela il faudrait peut-être un linguiste, pour dire c’est des structures différentes ?

Stéphane Deluermoz

Ce que je trouve dans le débat, c’est cette question là que je trouve effectivement pertinente, c’est d’une manière d’utiliser une langue commune, différente en fonction des régions et des endroits. J’ai l’impression que la structure même de la langue, sa syntaxe, dans ses références grammaticales et autres, est différente d’une langue à l’autre.

Nazir Hamad

C’est vrai et pas vrai !

Jean-Luc de Saint-Just

Il me semble que, sans y répondre directement, la question que tu soulèves c’est une question que nous avions déjà abordée lors de la première séance, qui est vraiment la question de ce qui fait Un, dans le rapport à ce Un, de ce qui fait étranger, ce qui serait radicalement Autre, et de ce qui fait altérité. C’est-à-dire un même qui est différent. Parce que vous voyez bien que ces questions que nous mettons au travail entre nous du rapport aux langues, au pluriel, cela a voir aussi avec des questions éminemment sociales. C’est-à-dire : Comment on considère l’autre ? Parce que s’il est radicalement étranger ou si c’est une altérité ce n’est pas pareil, on a pas le même rapport à l’autre.

Question dans la salle

Je voulais juste en fait quelqu’un a dit la langue libanaise et la langue arabe. En fait, monsieur a bien utilisé le terme de variété de la langue arabe. Je préfère ce terme à celui de disglossie de variété de la langue arabe. C’est la même langue, sauf que dans l’usage on utile l’art dialectal, cela on ne l’a pas dit, et un standard à l’école. L’arabe classique utilisé dans le domaine de la religion. C’est la même langue, sauf qu’il y a des variétés.

Patricia Marion

C’est une même famille, mais ce n’est pas la même langue.

Intervenant précédent

C’est une même langue, par contre… Je ne suis pas linguiste, mais la langue c’est un système. C’est un ensemble de règles la langue, c’est un fait social. Vous ne pouvez pas en fait le modifier. Par contre, la langue c’est un fait individuel. Vous faire ce que vous voulez en fait, du parler. Le parler n’a pas de règles. Donc, quand vous disiez tout à l’heure que vous voulez écrire libanais, certes, mais qui est-ce qui va vous lire puisque le dialecte au fond il ne s’écrit pas. Secundo vous allez écrire que libanais et libanaise. Si vous écrivez en arabe c’est pour tout le monde arabophone. Il faut faire une différence entre un arabophone et un arabe. On peut bien parler la langue arabe, mais ce n’est pas notre langue maternelle. Vous savez bien que l’arabe n’est la langue maternelle d’aucun arabophone. C’est le dialecte qui est la langue maternelle. C’est tout simplement en fait pour dire qu’on ne peut pas en fin de compte comparer une langue et un dialecte. On ne peut pas dire qu’un dialecte c’est une langue. La langue arabe certes c’est ensemble du système, c’est un ensemble de règles qu’il faut respecter, qu’on ne peut pas modifier. On y peut rien, c’est les règles. Par contre, le dialecte oui, puis cela vous appartient.

Jérôme La Selve

Alors à ce moment là pourquoi ne pas parler des langues arabes ?

Intervenant dans la salle

Il n’y a que deux langues « zarabes » avec un z, qui a pris son indépendance, qui écrit dans une autre langue, et la langue arabe dans l’ensemble de ses variétés. Autrement, on est dans un discours qui nous rappelle des périodes sinistres, diviser pour régner, fabriquer une langue arabe par pays cela permet de faire de meilleurs colonies quand même. Même quand il y a un éclatement, la Mauritanie se sent concerné par ce qui se passe sur ce plan.

Nazir Hamad

Pour la langue écrite, il y a une base grammaticale commune, la syntaxe est la même d’un pays à l’autre. Si je suis libanais et j’ai appris l’arabe à l’école, et si j’écris quelque chose, le syrien peut le lire comme l’égyptien, etc. C’est dans ce sens là que la grammaire, pour ceux qui ont appris la langue arabe est la même, peu importe. Il y a des régionalismes. Le saoudien va rajouter du vocabulaire qu’un libanais ne connais pas. Où un libanais va rajouter du vocabulaire qu’un saoudien ne connaît pas. C’est ce qu’on appelle les régionalismes, comme les marseillais vont dire des mots que les parisiens ne connaissent pas, etc. Si je suis libanais et je parle dans le dialecte libanais « chou bard » (quel froid). Est-ce que un marocain est en mesure comprendre mon expression ? Je ne sais pas.

Patricia Marion

Quand j’écoute un Marocain ou un Algérien, je ne comprends rien. Par contre, lui me comprends parce qu’il est habitué à écouter la musique libanaise à la radio, à regarder à la télé les séries, etc..

Nazir Hamad

Le débat au sujet des dialectes peut avoir une connotation idéologique et politique, voire même identitaire. La langue arabe fait partie du patrimoine français, mais qu’elle la nature de l’hypothèse qu’on fait à son sujet ? Cette langue est entrée avec les immigrés arabophones en France. Est-ce que cette langue entre en tant que richesse ou en tant qu’accident dans la vie d’une nation ? Pour vous dire, j’ai entendu quelqu’un qui était en train de débattre et qui était fâché et qui dit, mais qu’est-ce qu’ils ont apporté les arabes, zéro ! Je lui dis oui c’est vrai ce que vous dites, ils ont apporté le zéro (rires) et cela vous l’oubliez. Le système décimal, désolé, c’est les arabes. Au moins, ils vous ont apporté le zéro. Mais vous ne faites plus l’hypothèse de la richesse de l’autre. Voilà, c’est cela la rencontre entre nations. Là, dernièrement, il y a une seule personne qui a dit : l’arrivée de ces réfugiés est une richesse. La pauvre, elle paye le prix, c’est Merkel. Pour moi, Merkel c’est le géant dans un monde géré par des nains. Les nains n’aiment pas les géants. Elle va en payer le prix. C’est la seule qui a tenu à émettre une hypothèse. C’est la seule qui a tenu à dire que l’arrivée de ces gens là pourrait être, est une richesse.

Olivier Marion

Le CNAM aussi ! (rires)

Nazir Hamad

Le CNAM est une richesse.

Question de la salle

La langue arabe et l’écriture arabe par rapport à l’arrivée de la langue française. Ma question parce que je pense à la colonisation et que le destin de la langue Vietnamienne en tant que pays colonisé par la France a été effacé. C’est-à-dire que la langue écrite d’origine, historiquement c’est des idéogrammes qui avaient à faire avec la chine, a complètement disparu. C’est-à-dire que maintenant c’est une écriture alphabétique française avec des signes pour distinguer les diphtongues. Du coup, cela m’interroge par effet de miroir et aussi quels sont les influences de la langue française sur la langue arabe.

Noureddine Hamama

Ecoutez ! Si je prends le cas de l’Algérie, une colonisation qui a durée. La langue arabe à l’époque de la colonisation était enseignée dans les écoles coraniques. Ce que l’on appelait les « Zaouia ». C’est comme cela que les algériens venaient à apprendre la langue arabe classique. Ces « Zaouia» avec la colonisation elles ont été déclarées illicites. Autrement dit, la place de la langue arabe n’était pas reconnue. En tout cas, l’apprentissage de cette langue arabe n’était pas reconnu. D’autant plus que même pour le français, l’école française, elle n’était pas, comment dire, possible pour beaucoup de gens. Il n’y avait que dans les grandes villes où les algériens pouvait aller apprendre la langue française, mais tout le reste ce n’était pas si évident que cela d’aller à l’école. Donc, du coup, aujourd’hui il y a beaucoup de linguistes en Algérie qui disent, cela ne date pas uniquement de la colonisation, même l’échec de l’éducation nationale après l’indépendance, et notamment avec cette question d’arabisation qui a fait pour beaucoup d’auteurs des dégâts. Parce que les gens étaient formés quand même en français et du jour au lendemain on a imposé cette langue dans toutes les structures, soit de l’éducation nationale, soit des administrations, soit beaucoup de choses. Donc, du coup beaucoup de linguistes disent qu’aujourd’hui on a beaucoup construit des analphabètes bilingues. C’est-à-dire qu’ils ne maitrisent pas le français, la langue française, comme il faut, ni la langue arabe classique comme il faut. Donc voilà, il y a des questions un peu comme ça ou justement la langue arabe n’était pas apprise pendant la colonisation parce que cela se passait dans les « Zaouia » et après cela a été déclaré illicite. Parce que l’on pensait que dans les « Zaouia » il pouvait y avoir des positions politiques, ce genre de chose. Donc du coup c’est le dialecte algérien qui est imprégné par la langue française. Je vous cite une phrase : « oug’âde tranquil wala na’teque kotbi » Reste tranquille sinon je te donne un coup de pied. « kotbi » c’est coup de pied. Donc vous voyez les effets de la langue française sur le dialecte algérien. Je disais au mois d’octobre qu’il y a eu un débat très violent, mais vraiment très violent en Algérie et qui continue. Parce que la ministre de l’éducation nationale a émis le souhait d’introduire la langue dialectale au périscolaire. Cela a été très violent, parce que du coup les arabophones et arabisants sont montés aux créneaux en disant que cela risquait de détruire l’apprentissage de la langue arabe. Oui, pourquoi pas, sauf que c’est venu sur des choses très identitaires du coup. Donc c’était un conflit entre arabophones et francophones. Dès qu’il s’agit de dialecte, les arabophones peuvent facilement dire c’est l’histoire de la main de l’étranger un peu. Donc du coup, c’est la France entre guillemets.

Question de la salle

Je suis juste frappée par le fait que la transformation est passée pour l’Algérie du côté du verbe, de la parole, et que pour le Vietnam c’est passé du côté de l’écriture. Parce que la transformation elle a été complète, on a plus de…

Autre participant

J’ai une question qui est très pratique. C’est une façon de voire les choses. J’espère que cela ne va comment dirais-je déranger personne. C’est terre à terre, je ne sais pas si on dit cela en français. Quand on apprend ce qu’on appelle l’arabe traditionnel, moderne, je ne sais pas. Dans nos cours on parle de « Lougha », c’est très mal dit, « Lougha » qui présente la langue comme ça. Je suis vraiment débutant si, et ça c’est un texte, c’est un système audio. Le manuel universitaire des universités en Italie pour les langues. Si on poursuit dans cette étude et admettons qu’on apprenne cette langue, je voudrais savoir qui dans le monde arabophone et donc musulman aussi, avec qui on peut raisonnable penser pouvoir avoir un échange ? (rires)

Noureddine Hamama
Avec tout le monde ! Juste parce que vous avez prononcez le mot « Lougha ». On a parlé tout à l’heure du Coran. Le Coran parle beaucoup plus de « Lissane». « Lissane» veut dire l’organe, la langue. Alors quand on parle de « Lougha» souvent aussi on veut dire le parlé. Juste pour reprendre votre mot sur « Lougha ». Pour appendre l’arabe, on peut tout à fait apprendre l’arabe classique, littéraire, en Algérie à l’école facilement. Comme on peut l’apprendre dans les autres pays arabes. Je ne pense pas qu’il y ait… En tout cas, l’arabe enseigné à l’école, dans les universités, c’est l’arabe littéraire classique. Et en effet, vous êtes bien obligé de l’apprendre si vous voulez être enseigné dans cette langue là. Dans tous les pays arabes il y a des dialectes. Ce qu’on constate c’est que les pays du « Macherek » donc du moyen orient, on pense que leur dialecte est beaucoup plus proche de l’arabe classique, littéraire, que les pays du Maghreb où il y a eu une colonisation. Mais surtout les pays du Maghreb où, on oubli de le dire, ont été arabisés avec l’arrivée de l’Islam. Il y avait déjà une langue et notamment le Berbère qui était là et qui existe encore aujourd’hui. Et qui en Algérie récemment on a officialisé cette langue comme langue existante.

Question de la salle

Je voulais vous demander un éclaircissement au niveau de la terminologie. D’un côté la parole et de l’autre la langue, donc je voulais vous demandez vous qui êtes spécialiste de Lacan justement j’en profite. Est-ce que Lacan met la jouissance du côté de la parole et de l’autre côté, du côté de l’écrit jouissance…

Nazir Hamad

Et les lacaniens vous allez dire quelque chose là !

Dominique Janin

Je ne suis pas sure que la jouissance elle soit du côté de la parole. Elle est d’abord du côté de la voix. C’est compliqué à repérer la différence. La voix c’est comment, pour revenir, c’est « lalangue » en un seul mot. C’est ce que dit une mère à son enfant avant même… et c’est comment un enfant entend ce que lui dit sa mère. C’est-à-dire à mon petit loulou, mais t’as faim. Bon ben on va te changer. On peut lui donner le biberon avant ! Vous voyez c’est qu’il va entendre une musique et pour pouvoir se mettre à parler, ou pour pouvoir se mettre à entendre autre chose que la musique, c’est-à-dire des séparations qui vont se mettre en place et qui vont lui permettre d’entendre des mots, il va falloir qu’il accepte de lâcher cette musique maternelle, qu’il accepte de refouler cette musique pour entendre quelque chose qui a du sens, et lui pour se mettre à parler. Un enfant il faut qu’il puisse passer du babil ou du babillage, à des mots, c’est-à-dire à faire passer des coupures dans cette vois musicale. Déjà là, entre voix et parole, avant même d’aller à l’école on a une séparation qui est une séparation pulsionnelle, qui est une séparation de corps qui est l’action d’un tiers finalement entre la mère et l’enfant. C’est-à-dire que l’un et l’autre acceptent de se priver de la jouissance de la musique pour se dire des choses.

Jean-Luc de Saint-Just

Pour compléter ce qui a été très bien dit, en prenant un exemple concret, la difficulté de la question de la jouissance c’est que des jouissances il y en a plusieurs. C’est ce qui est difficile. Lacan va, nous l’avons évoqué déjà, Olivier Marion n’étant pas lacanien c’est quand même emparé du signifiant lacanien. Lacan parlait de la « lalangue » justement en ne passant pas par la coupure qui faisait bien entendre cette affaire là. Pour accéder à la langue, il fallait consentir à une certaine coupure. Il y a une petite vignette clinique de Freud qui est tout à fait illustrante de cela. C’est ce qu’on appelle le Fort-Da, c’est ce petit garçon Ernst qui était dans son lit qui passait son temps à jeter tous les objets qui étaient dans son lit à l’extérieur, sans qu’il y ait aucun objet élu, et en disant à chaque fois « OOOO ». Freud qui était observateur et un peu inquiet de comment cela se passait pour son petit fils est venu remplir une fonction tout à fait essentielle qui a été de demander à sa fille ce que cela voulait dire. C’est-à-dire qu’il l’a poussée à faire l’hypothèse que ce « OOOO » de « lalangue », qui relève d’une musicalité, à quelque chose qui relevait de La langue. Immédiatement la mère de Ernst à dit que cela voulait dire « Fort », ce qui veut dire jeté, parti, en allemand. Ce qui est tout à fait étonnant c’est que Freud a pu observer qu’à partir de ce moment là l’enfant est entré dans la langue. C’est le fameux « Fort-Da » et là il y a quelque chose su signifiant et de la langue qui est apparu.

Ce qui me semble tout à fait intéressant dans les échanges que l’on peut avoir et les différentes lectures qui sont données. C’est que non seulement il y a cette dimension de la tension entre l’Un et l’Autre, mais que de Un il y en a plusieurs possibles. Le Un cela peut être le un du tout, et plusieurs témoignages ont été données de comment à un niveau social il peut y avoir cette tendance du Un de la totalité, tout le monde doit parler la même langue, que le colonisateur impose sa langue. Mais il peut y avoir une passion tout aussi dévorante, jouissive du Un dans le un du singulier, du un par un. Ces deux un répondent de la même jouissance, c’est-à-dire de se défendre à corps et à cris contre l’autre, contre l’altérité. Parce que consentir à ce qu’il y ait de l’autre implique quelque chose que personne n’aime, puisque cela implique la perte. Tu l’as très très illustré tout à l’heure Nazir quand tu rappelais que l’apprentissage de l’enfant à l’école maternelle, cela porte bien son nom, c’était justement de passer de « lalangue » à la langue et que dans ce passage il va y avoir une perte. Il va s’apercevoir que dans le « mamané », la compréhension quasiment charnelle qu’il y a entre la mère et l’enfant, là les autres ne vont pas forcément le comprendre, il va devoir faire des efforts, il va devoir se plier à un certain nombre de choses. Il va devoir plier son corps à un certain nombre d’exigences. C’est une violence tout à fait civilisatrice face à laquelle des enfants résistent, se battent contre ces contraintes. Ils n’en veulent absolument pas.
Comme nous proposons au CNAM RA des études pratiques de psychopathologie, nous proposions la semaine dernière une conférence de Françoise Checca sur les difficultés actuelles d’apprentissage, où elle montrait très très bien que les difficultés d’apprentissage se localisent dans ce passage de consentir pour l’enfant à une perte. Le problème c’est que le refus de la perte est souvent pire que la perte.
Cela dit, on entend très bien dans les discussion que nous avons là entre nous à propos de la langue comment cette question de la perte est encore éminemment sensible. On ne veut rien perdre. On voudrait être dans l’échange avec l’autre bien entendu, mais à condition de ne rien perdre, qu’il n’y ait aucune entame. Ca c’est une difficulté.

Dominique Janin

Juste une petite remarque qui va dans ce sens, c’est-à-dire que Lacan ne dit jamais la lalangue, il dit lalangue, et puis il y a la langue. La perte, vous voyez si on dit la lalangue on refait un mot ou il n’y a pas de perte. Ce qui est intéressant c’est ce mot d’esprit qu’il fait d’ailleurs, parce que c’est un Witz entre lalangue et la langue. Nous on est obligé de le marquer, mais la perte elle ne se fait pas toujours en, elle ne s’objective pas. Voilà, c’était juste pour faire remarquer cela.

Nazir Hamad

A un certain moment Lacan va couper le terme de jouissance en deux, il fait joui-sens. C’est-à-dire que le premier détachement, la première perte, se fait grâce à la mère, quand elle ne se contente plus de jouir de la voix. Elle veut introduire les signifiants, introduire les mots. La mère ne se contente plus d’entendre gazouiller son fils ou sa fille, elle veut effectivement qu’il lui parle avec des mots, des mots qu’elle même lui inculque ou la famille lui inculque à longueur de journée. Pour vous dire, les anglo-saxons ont cette particularité de faire beaucoup de statistiques. Les linguistes ont voulu savoir comment une mère accompagne le bébé pour l’amener à faire son rot. Ils ont voyagé dans les diverses provinces d’Angleterre pour savoir qu’est-ce qu’une mère dit pour accompagner, pour amener son bébé à faire un rot. Ils ont recensé cent mots et expressions pour l’accompagner. Ils finissent avec cette question, mais qui est-ce qui a appris aux mères ? (rires) Qui est-ce qui à appris aux mères ces mots et ces expressions ? Pour amener le bébé à faire son rot ce n’est plus assez de le mettre sur l’épaule et de lui tapoter le dos. Elles accompagnent ces gestes des mots. Comme quoi, d’emblée, ce qui restreint un peu la jouissance c’est ce que la mère introduit grâce au langage. Si la mère ou l’entourage de l’enfant ne le font pas, ce n’est pas il y a un risque de le voir tomber dans l’écholalie, et peut-être dans l’autisme.

Question de la salle

Une dernière question suite à ce que vous avez dit. Est-ce qu’on peut passer d’une langue qui est seulement parlé à une langue écrite. Ce passage à un niveau psychanalytique et plus précisément lacanien, est-ce que ce processus justement est fatalement nécessaire ? Puisqu’on passerait à une sorte de gravité, la jouissance du sein maternel entre guillemet, vers la direction justement du père, c’est-à-dire l’interdit. Au niveau historique, mais essentiellement avec un regard psychanalytique.

Nazir Hamad
Ecoutez ! Dans l’humanité, peut-être dans les cultures récentes dans l’histoire de l’humanité. Je ne sais pas si on a trouvé dans les caves, dans les flancs des montagnes, des traces des passages des humains représentés par des signes ou représenté par des images, est-ce qu’on peut dire c’est une première écriture ? Oui, c’est possible de dire ça. C’est une hypothèse absolument plausible parce que quand les psychanalystes qui travaillent avec les enfants vont compter les premiers dessins, les premières élaborations de l’enfant comme une écriture possible, comme une première écriture. Quand un enfant dit, voilà c’est mon père, ou c’est ma mère, ou c’est ma maison. Vous n’avez pas besoin de mettre cela en doute. Même si cela ne représente pas un personnage, cela ne représente pas une maison, il y a derrière l’intention de l’enfant une écriture ou quand, à l’école les petites enfants qu’est-ce qu’on dit, ils vont faire un signe qui va indiquer leur prénom et qui va absolument le nommer. Il va retrouver ses affaires grâce à ces signes. Autrement dit, c’est une première écriture, mais c’est une première écriture qui n’a pas encore la lettre dans son incarnation actuelle. Maintenant, est-ce que c’est nécessaire ? Non, il y a des civilisations qui ont vécu longtemps qui étaient orales. Mais malheureusement ces civilisations souvent n’ont pas laissé de trace qui permet une meilleure reconnaissance de leurs pensées, de leurs conceptions du monde. Comme on dit, chaque fois qu’un vieux africain meurt il y a une bibliothèque qui meurt avec lui. C’est-à-dire que l’écriture est venue comme une nécessité absolue, pour que l’homme puisse plus que conserver, pour pouvoir étudier, communiquer, pour pouvoir rentrer en contact avec les autres civilisations. Notre civilisation actuelle qui est une civilisation de culture nous indique à quel point l’écrit est… Celui qui n’écrit pas il est « Out » en quelque sorte. Voilà !
Jean-Luc de Saint-Just
Comme en tant que psychanalyste nous aimons bien nous contre dire, ce que dit Nazir Hamad est tout à fait juste, mais pour le dire un peu autrement, ce que nous situons du côté de la lettre et de l’écriture, cela ne renvoi pas forcément aux premières inventions de l’écriture. C’est le passage du dessin au trait. Ce qui n’est pas du tout la même chose, puisque c’est beaucoup plus ancien que les écritures sumériennes ou égyptiennes, ou chinoises dont on a pu reconnaître la trace. Cela consiste à passer de la représentation, ce qui est déjà un pas la représentation, spécifique de notre espèce, au représentant. Les premiers galets, d’ailleurs Lacan était tout à fait fasciné par cela, qui ont été retrouvé, je vous ai dessiné un (//////) avec des traits dessus. C’est-à-dire où il n’y avait aucune représentation, qui étaient de purs représentants. Qu’est-ce que cela comptait ? Les gazelles, les mammouths, on ne le sait pas. Une écriture dès là c’est fondé sur une perte. Cette dimension de l’écriture est contemporaine de l’apparition du langage articulé et des sépultures. Cela arrive ensemble le langage articulé, les langues, dont on a plus de trace, mais ce que l’on fait c’est que pour que le langage articulé apparaisse, il est nécessaire qu’existe cette dimension du représentant en tant que chaine symbolique. Ce que nous appelons la dimension symbolique. En Afrique du Sud on été retrouvé à ces mêmes périodes les premiers colliers avec des ordres dans la disposition des coquillages. Là aussi nous sommes sur le registre symbolique du représentant d’une chaine symbolique, qui se caractérise par le fait qu’on ne sait pas ce que cela représente, d’un ordre symbolique nécessaire au langage articulé. Pour illustrer à nouveau ce mouvement, je vous ai écrit le V et A pour montrer l’origine de la lettre A. C’est à l’origine le dessin d’une tête de taureau qui était une représentation et ce qui est intéressant c’est qu’il suffit de la retourner pour que ce ne soit plus un dessin, une représentation, mais une lettre, un représentant. C’est ce mouvement qui est extrêmement proche de la question des apprentissages. J’évoquais la conférence de Françoise Checca tout à l’heure, vous avez vraiment eu tord de ne pas y venir, où elle disait bien que l’enfant qui ne va pas réussir à écrire, à entrer dans les apprentissages, c’est celui qui en reste au dessin, qui ne passe pas du dessin à la lettre. Passer du dessin à la lettre implique un changement de registre tout à fait fondamental, les apprentissages ne vont pouvoir se faire qu’à cette condition. Cela n’implique pas que dans la culture, ce soit une culture de l’écriture, puisque c’est passer de la représentation au représentant de la représentation.

Nazir Hamad

L’écriture pour qu’elle soit reconnue en tant qu’écriture nécessite une codification reconnue par l’ensemble des gens qui la lisent. Si le trait est un trait d’écriture, c’est que déjà il y avait une codification pour l’ensemble de la population qui a introduit le trait comme modalité d’écriture. On peut avoir plusieurs langues, et on peut avoir au sein de ces langues un code commun reconnu comme tel par l’emble de ces langues comme le code de la route, de l’aviation, ou de la marine… mais pour être reconnue en tant que tel, il faut les définir d’emblée. Quand je mets un rond avec une barre cela veut dire interdit. Un peuple qui n’a pas ce code là risque de n’y rien comprendre. Peut-être pourrais-tu rajouter que pour nous c’est une hypothèse. Le trait est une symbolisation de quelque chose qui n’a plus besoin d’être représenté. Lacan disait le Pas de Calais. On n’a plus besoin de pas pour que le pas de Calais reste symboliquement présent. Mais maintenant, est-ce qu’on peut dire que ce trait est une écriture reconnue par l’ensemble de la population ? Sont-ils quand ils voient le trait de savoir que le chasseur est sorti dix fois à la chasse ? Autrement dit, de lire quelque chose de commun à eux tous. Je ne sais pas.

Patricia Marion

Moi je voulais dire là que « aleph » en phénicien veut dire bœuf. On a découvert à cette époque que lorsqu’on parle, on répète les mêmes sons et qu’il suffisait donc d’identifier ces sons et de les représenter. Alors pour le son « A » par exemple, il s’agit du son que l’on entend dans le début du mot « aleph ». Ce son a donc été représenté par les cornes du bœuf.

Jean-Luc de Saint-Just

Tout à fait, merci de cette précision, puisqu’on voit bien que pour dire A on a plus besoin de ramener un bœuf à chaque fois, ni de passer par la représentation du bœuf. C’est cette dimension de perte qui est tout à fait importante et est fondamentale pour pouvoir localiser dans quoi nous sommes pris lorsque nous sommes pris dans une langue, puisqu’on y est pris par un certain type de perte.

Question de la salle

J’aurais une question à poser à Noureddine Hamama toujours à propos de l’apprentissage. Alors je ne sais pas si tu pourras répondre, mais l’apprentissage de l’arabe en copiant le Coran et en l’apprenant par cœur. Ce type d’apprentissage est-ce que tu peux dire comme se fait le passage à la lettre dans la composition des mots.

Noureddine Hamama

Oui je disais qu’à l’époque on venait à cette écriture de l’arabe codifié à travers l’apprentissage du Coran par cœur. En même temps on l’apprenait par cœur et on le récitait dans l’après coup par mémoire, mais quand on va à l’école coranique on apprend pas à le déchiffrer. On apprend par cœur, ce n’est pas le but, le but c’est de l’apprendre par cœur et de le réciter. On apprenait des versets, on ne savait pas ce que cela voulait dire. On ne savait pas. Quand on passe à l’école après républicaine, c’est là qu’on va apprendre l’arabe classique et du coup dans sa difficulté pour nous, pour des algériens, qui n’ont connu que l’arabe dialectal. C’est une langue qu’on apprend comme le français. C’est la même chose. On est familier de son écriture par l’école coranique, mais on est pas capable, soit de déchiffrer, soit d’expliquer comment les mots sont mariés entre eux.
La calligraphie est connue, mais pas l’alphabet.

Et le son, le son parce qu’on récite et je disais la dernière fois parce qu’on l’apprenait même dans une sorte de rite et de musique. Je dirais même corporelle qui allait avec parce que sinon cela ne rentrait pas. Cela ne rentrait pas. Alors que l’arabe littéraire classique, j’avais oublié de le dire. Il a été codifié par un des grammairiens de l’époque « Sibawayh » qui est toujours valable. Cette codification de l’arabe est toujours valable encore aujourd’hui, Sibawayh qui est d’origine Perse d’ailleurs. C’est un code très complexe. Il a écrit une œuvre « Al Kitab ».
Et cet alphabet est introduit dans l’enseignement par les mêmes procédés pédagogiques que pour le français.

Tout à fait ! On apprend l’alphabet de la même manière que l’on apprenait l’alphabet français, lettre par lettre. « alif, ba, ta … » ainsi de suite, lettre par lettre.
Les « Zaouia» c’était des écoles coraniques que nous appelions les «Zaouia ». C’est religieux comme enseignement. Je disais la dernière fois que moi le français, j’ai commencé à apprendre le français à l’âge de cinq ans. Mes parents m’ont inscrit. C’était une école tenue par des sœurs françaises. Même après l’indépendance, il y avait un contrat qui était passé entre certaines écoles et le gouvernement algérien et qui ont fonctionné pendant un certain nombre d’année. C’était une école tenue par des sœurs françaises, mais il n’y avait aucun enseignement religieux à l’intérieur. C’était pour apprendre le français.

Jean-Luc de Saint-Just

On va devoir s’arrêter là ! Il faut qu’il y ait un peu de perte. On vous donne rendez-vous le 25 avril pour la suite de ces échanges très riches et Nazir Hamad nous parlera de : D’une langue à l’autre.