Jean-Luc de SAINT JUST : La libido des masses, ou de l’amour dans le lien social

La libido des masses, ou de l’amour dans le lien social Jean-Luc de Saint-Just

A la fin des conférences de cette année qui auront lieu au CNAM à 20h30 (cf. conférences EPP2 présentées sur le site de l’ALI LYON), le mardi 26 juin à 21 heures ici (60 rue des Rancy LYON 3°), je vous propose qu’on prenne un temps de ponctuation. C’est-à-dire qu’à l’issue des 6 conférences, au-delà de chaque intervention où il y a un temps pour poser des questions, que nous puissions consacrer une soirée afin de revenir sur ces conférences.

Je voulais vous également rappeler que nous sollicitons les personnes qui assistent aux conférences dans le cadre de la deuxième année pour en transcrire, au moins une. La première année vous prenez des notes. Là nous enregistrons et il s’agit de transcrire à partir d’un enregistrement la totalité de la conférence, discussion comprise. Cela nous permet ensuite, après relecture du conférencier, de diffuser chaque conférence sur le site. Ce qui permet ensuite à ceux qui veulent travailler sur un sujet de pouvoir trouver sur le site de l’ALI/Lyon des conférences sur divers sujets.

Une auditrice : Il y a des logiciels qui convertissent les voix en écrit directement.

Jean-Luc de Saint-Just : Oui, mais c’est aussi un exercice très utile de revenir sur le texte en le transcrivant. Je vais vous donner ces dates les différents intervenants et les thématiques, les titres nous ne les avons pas encore tous. On fera pour chaque conférence une affiche que l’on diffusera.

  • Le 28 novembre, ce sera Françoise Bernard qui est psychanalyste à Paris. Elle travaille aussi dans des écoles. Elle a une pratique assez spécifique, c’est-à-dire qu’elle intervient auprès de groupes dans des collèges, des lycées, ou des universités, le plus souvent dans la région parisienne, mais pas uniquement. Elle intervient souvent pour résoudre des situations de crise. Dans ce cycle de la psychopathologie de la vie collective, elle va vous parler de l’école, de ce qu’elle observe, de ce qui se passe dans l’école.
  • Le 23 janvier 2018, nous aurons deux intervenants Brigitte Paria et Nordine Abderahmane qui sont tous deux infirmiers au Centre Hospitalier du Vinatier et qui font un travail psychothérapeutique auprès de personnes condamnées pour des délits ou des crimes et ayant de la part du juge des obligations de soins. Ils viendront nous dire comment sont accueillis, y compris par le social de l’hôpital, ces patients, mais aussi comment ils travaillent avec cette question de l’obligation de soins.
  • Nous aurons le 27 février le docteur Jean-Louis Chassaing de Clermont-Ferrand qui revient à nouveau cette année. Il est psychiatre et psychanalyste. Il propose comme titre de son intervention, lui a déjà un titre : « Ecranté ». J’ai déduit qu’il allait nous parler cette année des effets des écrans sur la vie collective.
  • Le 27 mars, nous accueillerons le docteur Nicolas Dissez qui est psychiatre et psychanalyste à Paris, à Sainte-Anne et qui a aussi donné un titre : «  De l’asile au droit d’asile ». Vous entendez que la question est de savoir si l’asile sous-entendu l’hôpital psychiatrique fait encore asile pour les personnes dont ils s’occupent.
  • Le mardi 24 avril on accueillera Philippe Candiago qui est chef de service dans un service d’accueil de femmes réfugiées du Conseil Général de l’Isère à Grenoble. Et qui a beaucoup travaillé sur les institutions. Il viendra nous parlez des institutions, des institutions sociales et médico-sociales… entre autres, mais pas uniquement celles-là.
  • Le mardi 22 mai le docteur Jean-luc Cacciali, psychiatre et psychanalyste à Grenoble qui posera cette question : « Le désir est-il toujours Autre ? ».

Et donc, le mardi 26 juin cette fois-ci à 21 heures ici pas au CNAM ce sera l’occasion de pouvoir faire un travail de retour sur ces différentes conférences.

Ceci étant posé, pour introduire le thème de cette année, ce que je vous propose, comme nous ne sommes pas très nombreux, c’est plutôt une discussion. C’est-à-dire que je vais un peu déplier ce que j’ai prévu de vous dire et puis on pourra commencer à en discuter.

Je suis retourné au texte de Freud, Psychologie des masses et analyse du moi de 1921, que j’ai relu pour voir comment Freud posait cette question de la psychopathologie de la vie collective. Il se demande en premier lieu de quel droit, quelle légitimité un psychanalyste a pour parler des foules, des masses ? C’est plutôt le champ des sociologues. Pourquoi les analystes s’intéressent aux questions politiques, aux questions sociales ? Il pose cette question et réfute en même temps cette objection en démontrant que ce qui donne sa légitimité à l’analyste, c’est sa pratique. Il fait remarquer que dans le cadre d’une cure analytique le sujet n’est jamais seul lorsqu’il parle. Bien entendu, il va convoquer tout un tas de figures d’autres, ses proches, ses collègues de travail, ses amis, et il va bien entendu faire état de la façon dont ces autres déterminent, ou ont déterminé un certain nombre de choses dans son existence. Ce sont tout un tas d’autres qui sont convoqués dans sa parole, mais ce qui est convoqué également c’est l’Autre avec un A ; c’est-à-dire l’ensemble du discours social.

Ce qui empêche Robinson Crusoé de devenir fou ce n’est pas tant l’arrivée de Vendredi. Vendredi n’arrive que dans un second temps. C’est le fait que, avant même qu’il y ait un petit autre qui est Vendredi, Robinson pour ne pas devenir fou va se créer une société, va avoir besoin de régler son existence, de se donner des obligations. C’est-à-dire de recréer du social, même seul, et donc même seul il n’est pas seul.

Il y a un film plus récent avec Tom Hanks qui s’appelle « Seul au monde » (2000). Je ne sais pas si vous avez vu ce film qui est passé à la télévision il y a peu, le film a quand même quelques années, où l’on voit comment à partir de l’aménagement qu’il fait d’un ballon, il va créer un totem qui est en même un petit autre auquel il s’adresse, mais aussi, en même temps, un grand Autre qui est porteur de tout le social. Pour lui permettre d’éviter de devenir trop fou, pas tout à fait parce qu’il aura des moments quand même de délire dans cette expérience, mais pas au point de plonger dans une décompensation sans retour.

Voilà l’argument que donne Freud à cette première question. Vous savez que Lacan va poursuivre et même aller plus loin que Freud sur cet aspect-là parce qu’il va évoquer qu’il n’y a pas de parole, sauf dans certains cas assez spécifique, il n’y a pas de parole qui ne s’inscrive dans un discours. C’est le discours lui-même qui fait lien social. Vous vous souvenez, on avait écrit le mathème au moins d’un discours qui est le discours du maître :             S1 ® S2.

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Cela vient aménager la place de l’Un et de l’Autre pour un sujet. C’est l’argument de Freud et la façon dont Lacan va le reprendre en développant et donnant les coordonnées logiques des discours.

Freud va principalement s’appuyer sur un ouvrage majeur de son époque. Un ouvrage de Le Bon, Psychologie des foules (1895). Il reprend la question de Le Bon : Comment comprendre, comment rendre compte du fait, je la formule à ma  façon, qu’un sujet lambda quand il est dans un collectif, n’a plus le même comportement ni la même façon de penser que s’il est seul ? Le Bon liste un certain nombre de caractéristiques. Principalement qu’il va y avoir une exaltation des passions, et une diminution de l’esprit critique. Donc quelque chose qui n’est pas présenté quand même de façon très positif. Pas très positif dans la mesure où pour ces auteurs il y a une altération des capacités de la personne, avec une tendance à l’excès, mais aussi une tendance notée au sacrifice.

Marc Darmon l’évoquait vendredi soir. Il faut voir les images d’archive de tous ces hommes qui partaient en 14 à la guerre. Si on leur avait demandé individuellement ce n’est pas sûr qu’ils y soient allés de si bon cœur, mais là ils étaient en groupe, ils étaient en foule et il y avait cet effet.

Le Bon parle de contagion, d’effet de contagion de la suggestion. Comment peut-on rendre compte que, lorsque l’on met des personnes ensemble sous certaines conditions, il y a cet effet de contagion de la suggestion ? Que tout le monde va dans le même sens, que tout le monde va avoir la même opinion. Quand j’évoque cela, vous voyez, on en reparlera dans les conférences, c’est aussi un effet du travail en équipe, dans les associations, y compris d’analystes et plus généralement dans les institutions. La réponse de Le Bon c’est de dire que c’est un effet de suggestion.

Freud va reprendre cette idée de la suggestion, mais en même temps dans sa lecture critique il ne va pas s’en contenter. Dire que cela relève de la suggestion, ne résout pas la question, ne permet pas d’en rendre compte suffisamment. Une fois que l’on a dit suggestion, on n’a pas forcément avancé sur le sujet. Comment cela opère cette suggestion ? Comment cela fonctionne ? Freud précise qu’il n’a pas fait une revue de la littérature de son époque. Il ne s’appuis que sur quelques auteurs, mais il va amener quelque chose qui est tout à fait nouveau en pointant qu’en fait ce qui opère dans cette suggestion : c’est l’amour. Cela ne semble pas évident de prime abord de le poser ainsi.

C’est l’amour, mais c’est l’amour pour un meneur, ou pour une idée. Ce qui est en filigrane de son article ça va être de dire qu’en fait c’est l’amour du Un. Freud est ennuyé parce que Le Bon ne va quasiment pas traiter de la question du meneur, ou très peu. Freud, lui, par contre va s’y intéresser de façon très précise. Au passage, il utilise le terme de meneur traduit en français, mais en allemand vous savez comment on dit meneur, c’est führer. C’est un travail qui date de 1921 ! C’est étonnant quand même. Freud va dire : « le truc important dans la suggestion, c’est l’amour pour un führer ». Et la fureur est un effet de l’amour pour un führer. L’amour du meneur, du guide, l’amour pour le Meneur est quelque chose dont il va pouvoir rendre compte assez facilement dans les deux grands exemples qu’il va donner d’organisations collectives que sont l’Armée et l’Église. Mais il reconnaît aussi qu’il y a des foules où il n’y a pas de meneur. Il y a des organisations où en tout les cas ce n’est pas évident. L’exemple qu’il donne est assez intéressant. Il faut croire qu’il y en avait déjà à l’époque, car il prend comme exemple des groupies. Toutes ces jeunes femmes qui sont amoureuses d’un chanteur ou d’un pianiste. à Vienne, il devait y avoir dans les concerts ; on imagine ça plutôt dans les années 1960. Vous voyez avec les Beatles. Ça devait exister certainement au début du siècle. Moi, je n’ai pas de descriptions de ça, mais bon, manifestement, il décrit quelque chose qui semble être connu. Puisqu’il le prend comme exemple pour illustrer son propos. L’explication qu’il donne c’est qu’elles savent qu’elles ne pourront pas l’avoir, le fameux chanteur, comme objet d’amour exclusif, qu’elles sont tellement nombreuses que ce n’est pas la peine de déployer une jalousie entre elles, parce que le premier réflexe s’est bien entendu de trucider la concurrente pour pouvoir prendre la place, alors elles vont s’identifier les unes aux autres et partager ensemble l’amour du même objet. Ce que Freud dit dans son article avec la rigueur qu’on lui connaît, c’est que le ressort de la suggestion, la suggestion par le meneur, mais aussi la suggestion des membres de la foule entre eux, c’est cet amour de l’Un, de faire Un.

C’est ce que Charles Melman redit dans son avant propos de toute une série de conférences qu’il va faire avec Marcel Gauchet sur ce sujet qu’est « la maladie d’amour » et publié dans la revue « La Célibataire » (n°26, automne 2016). Charles Melman pointe dans ces conférences qu’en fait il n’y a qu’un seul amour qui peut prendre des formes tout à fait diverses, c’est l’amour du Un.

Freud ne s’en contente pas pour rendre compte du phénomène. Il dira que c’en est l’essence. Prenez-le y compris dans sa métaphore, c’est-à-dire que c’est le carburant, mais il ne va pas s’arrêter à cela. Il va poser la question de savoir ce qu’est l’amour, ce qu’est ce lien affectif. Comment cela opère ? Il va consacrer un chapitre central, le sept sur « L’identification » qui est le chapitre qui est généralement le plus commenté. Je ne vais pas vous le commenter à nouveau, juste vous en dire l’essentiel. Vous le relirez éventuellement.

Ce qu’il y avance c’est que l’amour procède par identification. Et pour ne pas reprendre tout ce qu’il va pouvoir en dire, c’est une identification à un trait, à un trait de l’objet. C’est-à-dire qu’il va y avoir un double processus, ça nous renvoie directement à la bande de Möbius. Un double processus qui est celui de choix d’objet, choix d’objet d’amour qui va être un choix qui ne va se déterminer que par un trait d’identification. On ne va pas s’identifier ou identifier au tout de l’objet, mais juste à un trait. Et puisqu’on parlait du fürher tout à l’heure, Jacques Lacan fera remarquer que pour le peuple allemand, il y avait eu manifestement une identification au petit trait de la moustache qui venait marquer quelque chose de tout à fait singulier, de tout à fait distinct, et qui n’avait pas été sans importance dans ce mouvement de masse.

Dans cet article Freud va sans arrêt faire des ponts entre les foules, la foule, la masse, le collectif et la question de l’amour, de l’état amoureux. Montrant finalement que c’est le même processus, et que l’on retrouve également le même processus dans l’hypnose. L’hypnose c’est quand même la mise en état d’une suggestion la plus totale et la plus absolue. Freud va identifier ces processus, ces états de suggestion à des processus pathologiques. En pointant que là où le sujet peut avoir par ailleurs individuellement un esprit critique sur ce qui lui arrive, dès qu’il va se retrouver dans un collectif, va perdre cet esprit critique, va perdre sa lecture d’une réalité, et faire Un avec les autres, avoir la même lecture, la même  pensée. On retrouve cela dans le processus amoureux, comme dans l’hypnose et tout aussi bien dans la névrose où le névrosé va suivre quoi ? Quelle que soit l’expérience du névrosé il va sans cesse abandonner toute lecture critique qu’il pourrait avoir par ailleurs, qu’il peut avoir par ailleurs. Ce n’est pas un manque d’intelligence, mais c’est le fait de privilégier ce qui fait Un pour lui : c’est-à-dire son scénario infantile. Vous vous souvenez qu’on avait donné cette définition de la névrose qui était de dire que la névrose c’était l’attachement, l’amour immodéré pour son scénario infantile, pour Un scénario infantile.

Ce que je trouvais intéressant de vous faire remarquer dans le parcours de cet article de Freud c’est de retrouver d’une certaine façon la raison de la définition que nous vous avons proposée de la psychopathologie, y compris collective. C’est-à-dire que les symptômes qui constituent cette perte de l’esprit critique de la pensée individuelle de la foule, des collectifs, sont des défenses.

Freud avec Le Bon fait remarquer qu’il n’y a jamais eu aucune grande découverte collective. Cela toujours été le fruit du travail d’un, parmi d’autres, mais de l’un ou de l’autre. Un qui s’est mis au boulot. Parfois plusieurs ont découvert des choses similaires, mais cela n’a jamais été quelque chose de collectif. Le collectif au niveau de la pensée va du côté, je le dis comme cela, mais c’est ce qu’il décrit, de la plus petite pensée commune. C’est-à-dire, va du côté d’une simplification.

Je ferais remarquer par ailleurs comment dès que l’on s’adresse à un collectif, on est aujourd’hui dans l’injonction de faire au plus simple, au risque d’être renvoyé à un élitisme qui ne serait pas de bon goût. Si vous écrivez un ouvrage de psychanalyse ou de psychopathologie l’éditeur va vous dire, il faut que ce soit accessible au grand public. Il faut simplifier le propos que tout le monde puisse comprendre. On en arrive finalement à quelque chose dont tout le monde va se plaindre par ailleurs qui est une pensée unique, qui est une pensée de masse qui ne supporte aucune critique. Le fait que Freud dise que ces phénomènes de foule, ces phénomènes collectifs, dont Lacan se méfiait comme de la peste, relèvent d’une pathologie, on peut l’entendre comme le fait que cela relève d’une défense contre la structure du « parlêtre ».

Par amour du Un, le sujet va préférer se débarrasser de sa subjectivité ; c’est-à-dire qu’à une lecture singulière du monde, un abord différent des choses, des désaccords, y compris avec soi, le sujet va privilégier ce Un.

Pour déplier un peu cette question, cette difficulté, cette tension, je me suis appuyé sur une partie d’un ouvrage de Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique (2005), qui va reprendre l’expérience de Socrate. Qu’est-ce qui fait que Socrate à une époque où, dit-elle, la politique dans les cités grecques rencontraient quelques difficultés, qu’est-ce qui fait que l’enseignement de Socrate a été insupportable pour le politique au point qu’il soit condamné à mort ? Je ne vais pas reprendre tout ce qu’elle développe sur cette question-là, mais elle pointe quelque chose qui me semble tout à fait important, même si elle ne se réfère pas à Freud, mais ce qu’elle dit est en résonance à ces apports. C’est que bien entendu la cité se fonde sur l’amour du Un, alors que l’enseignement de Socrate s’appuyait sur deux princeps qui y font objection : le premier était inscrit au fronton du temple d’Apollon à Delphes, « connais-toi toi-même » qui est un princeps qui pose problème. Non ?

Une auditrice : Moi, je ne vois pas le problème ! Pour un pouvoir c’est problématique !

Une auditrice : C’est contradictoire. Les autres, on est fait des autres. On est constitué de ce que les autres nous ont apporté.

Une auditrice : On est des « parlêtres », donc, on ne peut pas être seul, c’est pas possible.

Jean-Luc de Saint-Just : C’est vrai, mais encore ? Il y a là quelque chose qui avait été repérée par les Grecs et qu’ils prenaient en compte dans leur existence, mais il faudra longtemps pour que ce soit remis en évidence par Freud. S’il y a cette invitation, cette incitation, « connais-toi toi-même » cela implique quoi ? Cela implique qu’on méconnait qu’on ne se connaît pas. Autrement, on n’aurait pas besoin d’être invité, incité, à se connaître ! Cela vient poser comme principe, que tout un chacun ne sait pas qu’il ne se connaît pas. Et vous savez que la grande visée de Freud n’était pas la connaissance, mais de lutter contre la méconnaissance. Ce n’est pas du tout la même chose. L’évidence, c’est de dire : « je me connais, je sais bien ce que je fais, je sais bien comment je fonctionne, je sais bien ce que je veux ». Vous voyez que les Grecs à cette époque-là disaient : « non, non, tu ne se connais pas ». Non seulement tu ne te connais pas, mais tu le méconnais.

Un pas de plus, encore un, si on pose la question ainsi : « connaît-toi toi-même », cela implique qu’on est en mesure, et c’est exactement ce que déployait Socrate dans son enseignement, de dialoguer avec l’autre, et aussi bien avec l’autre en soi. Ce que l’on fait assez quotidiennement. Si on est en mesure de dialoguer avec l’autre en soi et bien cela implique que l’on est divisé. Cela veut dire que cela ne fait pas un pour le sujet parlant, qu’il y en a plus d’un. Freud le dit comme ça ; Il y a un moi qui va vers la division et un moi vers l’unité. Vous savez que la démarche philosophique de Socrate sera nommée maïeutique, c’est-à-dire l’art d’accoucher, pour ce fils de sage-femme, l’art d’accoucher les idées. Socrate n’était absolument pas intéressé par l’art d’accoucher de grandes idées, de grands principes, mais par l’art d’accoucher les idées de chacun. Le travail de Socrate, sa visée politique n’était pas d’amener un progrès, là je reprends les propos d’Hannah Arendt, d’amener une vision du social, de la cité, de la politique, mais que le social, la politique puisse avancer non pas à partir de la doxa, c’est-à-dire de l’opinion publique, mais à partir des doxais, de la lecture de chacun, de permettre à chacun de pouvoir soutenir son propre savoir. L’exemple de la maïeutique, il suffit de reprendre tous les textes de Platon où Socrate utilise cette modalité, y compris dans le Banquet où il dévoile ce qu’est l’amour. Il ne le révèle qu’à partir du savoir de ses interlocuteurs, de l’autre.

L’autre principe de Socrate, c’est qu’il est toujours préférable de privilégier ce savoir singulier au savoir commun ; c’est-à-dire d’être en accord avec le « connais-toi toi-même » puisque tu as appris comment tu fonctionnes, que tu ne méconnais plus tout à fait ce qui te régit, et bien fais les choses en accord avec cela, plutôt que de suivre la foule, de suivre l’opinion. Vous comprenez peut-être un peu mieux pourquoi il a été condamné à mort. Quand je l’ai relu cela m’a fait penser à un autre qui bien des années plus tard disait, ne cède pas sur ton désir. Fais lien social avec les autres, mais ne cède pas sur ton désir. Mais il y a là quelque chose qui fait difficulté, une tension, puisque à partir du moment où l’on fait groupe, où l’on fait collectif, cela va être le plus souvent au prix de devoir céder sur la raison, son désir et le savoir de chacun.

J’aurai tendance à croire que ce n’est pas étranger au fait que même s’il y a une période un petit peu dorée dans les années 1970 dont certains ont la nostalgie, mais qu’enfin quand même en règle générale depuis qu’elle a été inventé c’est quand même la grande difficulté de la psychanalyse, on n’arrive pas à se faire entendre par la foule, on est inaudible.

Pourquoi est-on inaudible ? Un peu comme Socrate, on n’est pas encore condamné à mort, sauf dans certains pays où l’analyse est condamnée à mort. Ce n’est pas impossible que cela vienne, on verra bien. Ce n’est pas impossible, Lacan nous disait que ce n’est pas sûr que la psychanalyse survive. Mais je trouvais intéressant de vous le présenter comme ça, parce qu’on en comprend les tenants et les aboutissants, du côté de la logique.

Je finirai par la référence à un texte justement qui fait entendre que même quand on fait des journées, on verra bien l’écho qu’auront nos journées qui visent quand même à essayer de réfléchir ensemble, à faire reculer notre barbarie quotidienne. Pas sûr que cela intéresse qui que soit. Y réfléchir, de faire comme Socrate d’aller chercher le savoir qui nous constitue. Et là, je ferai référence à un texte qui est quand même une magnifique illustration de cette tension qui est le Jules César de Shakespeare. Qu’est-ce que met en scène Shakespeare dans cette pièce ? Que vous avez un meneur, un führer, brillant, extrêmement brillant dans un contexte où le Sénat romain est un peu moribond. C’est le moins que l’on puisse dire.

Cyrille Noirjean : « c’est d’actualité ! »

Jean-Luc de Saint-Just : Oui ! Tout rapport avec ce que l’on peut vivre actuellement est bien entendu pas sans lien. Vous avez donc un César brillant, brillant intellectuellement, brillant militairement, brillant sur la scène internationale. On peut dire cela comme çà.

Cyrille Noirjean : Son seul défaut, il n’était pas beau !

Jean-Luc de Saint-Just : Il n’y avait pas les médias à cette époque-là ! Voilà un César qui est brillant et qui pour le bien de Rome franchit un interdit qui jusque là n’avait jamais été franchi puisque pour que la République ne devienne pas une dictature, je ne sais pas si vous saviez cela, mais il était interdit aux légions romaines de franchir le Rubicon ; c’est-à-dire d’entrer dans la Cité. Elles devaient rester à l’extérieur de la Cité, ce qui permettait de séparer le pouvoir militaire du pouvoir politique. César lui va franchir, violer cette loi, cette distinction, et avec ces légions franchir le Rubicon pour se faire acclamer à Rome comme Imperator. L’imperator dans la tradition romaine ce n’est par l’empereur, c’est celui qui a vaincu, qui a gagné, c’est le chef des armées. Il est imperator parce que c’est celui qui a amené la victoire. Il est tout à fait question qu’effectivement, de façon j’ai presque envie de dire naturelle, légitime, à la demande quasiment du peuple, le Sénat étant moribond, on soit dans cette démarche, et César est allé au Sénat pour cela, pour qu’il puisse se faire acclamer tyran ; c’est-à-dire cumulant tous les pouvoirs. Face à cette prise totale de pouvoir qui vous voyez bien allait à l’encontre de tous les principes du fondement politique de la société romaine, il y a un certain nombre de sénateurs qui s’appelaient les « Liberatores », dont les chefs les plus renommés furent Marcus Junius Brutus et Caius Cassius Longinus qui décident qu’il faut faire quelque chose pour sauver la République romaine. Vous connaissez la scène, il est poignardé, et pour qu’aucun ne soit accusé de meurtre on va le poignarder tous ensemble, collectivement. Vous voyez l’acte collectif : on va le poignarder tous ensemble. Ils le poignardent pour l’empêcher de devenir un tyran. Cela n’empêchera pas les tyrans à Rome, après, justement !

Ce que va mettre en scène de façon tout à fait intéressante Shakespeare, c’est que face à la réaction massive la foule qui venait manifester son incompréhension voire sa colère, les conjurés vont prendre la parole comme cela se faisait à l’époque. Ils vont prendre la parole pour expliquer leur geste, pour rendre compte de cet acte politique, collectif. Ils n’avaient strictement rien contre l’homme. Ils ne voulaient pas qu’il devienne un tyran, c’est tout. Ils parlent pour expliquer leur geste et les raisons politiques de leur geste. La foule va s’apaiser et comprendre pourquoi ils ont fait ce geste-là, voire en grande partie l’approuver. Jusqu’au moment où un des officiers de l’imperator, le général en chef, Antoine, prend à son tour la parole.

Lui ne va absolument pas, contrairement aux autres, faire appel à la raison. Vous entendez que lorsque les « Liberatores » font appel à la raison cela a un effet d’apaisement. Les gens réfléchissent en disant, mais oui c’est vrai finalement. Nous ne voulons pas de tyran. On trouvait qu’il était brillant, mais pas au point de renoncer aux principes qui nous fondent. Antoine prend la parole après eux, mais lui ne va pas du tout faire appel à la raison. Il va faire un grand discours sur l’amour qu’il a pour le chef ; c’est-à-dire qu’il va faire appel à l’affectif, à la sensation. Shakespeare décrit très bien comment toute la foule comme un seul homme va rentrer dans l’excès de cette passion amoureuse.

J’ai oublié de préciser quelque chose qui semblait aller de soi, mais il faut peut-être le redire. C’est que bien entendu l’amour qui est le moteur de la foule, comme je l’ai évoqué tout à l’heure pour Freud, va toujours avec son corrélat ; c’est-à-dire la haine. C’est la même passion. Antoine va emporter ce qu’on appelait à l’époque la plèbe, tout le peuple, pour engager tout le monde dans une guerre civile. C’est ce que cela va générer. La chasse à mort de tous ceux qui étaient les ennemis du chef adoré. Pendant des années les légions vont poursuivre pour les éradiquer ceux qui ont osé porter atteinte au chef adoré.

Je trouve que cette référence est riche d’enseignements pour faire entendre que l’on ne parvient jamais à faire entendre la raison au peuple lorsqu’à côté il y a un discours passionné de l’amour du Un. Vous avez beau faire appel au raisonnement, à l’intelligence de tout un chacun, pour la foule l’amour du Un l’a toujours emporté. Quand vous allez les prendre individuellement, si vous faites un peu de maïeutique, ils vont dire oui c’est vrai, dans notre expérience on voit bien qu’il y a bien ceci ou cela. Dès qu’ils vont être en groupe et bien c’est l’opinion qui va prendre le pas, c’est la sensation, c’est l’affectif : c’est-à-dire les passions. C’est une vrai difficulté, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve que c’est une vraie difficulté.

Une auditrice : « Socrate s’opposait beaucoup aux sophistes. C’est un peu dans cette logique-là. ». Il a eu quand même une influence importante.

Jean-Luc de Saint-Just : Oui en effet et en même temps il s’en est inspiré, il me semble en partie. Le bien parler fait partie de la culture grecque, de ses référence, de ses valeurs. Il aurait pu Socrate à un moment sauver sa peau, mais il n’a pas voulu céder à cette facilité. Il aurait pu sauver sa peau, il était suffisamment brillant orateur pour venir défendre sa prise de position, mais il n’a pas voulu se défendre face au tribunal qui l’accusait. Il l’accusait de quoi ? De subversion, tout simplement. Il ne faut pas rêver, ce que la plupart reprochent à Freud, mais surtout à Lacan, c’est leur subversion. Encore aujourd’hui !

Cyrille Noirjean : Oui il y a quand même une différence entre la position de Socrate qui justement ce que disait Jean-Luc, ne va jamais agir ni comme César, ni comme Antoine, ni comme le frère d’Antoine qui finira par le dézinguer pour le coup et devenir le véritable empereur Auguste qui s’appellera César, César Auguste en plus. César, c’est son titre, pas son prénom. Joli réussite pour le Caius César le premier.

Cette histoire c’est quand même l’histoire de l’amour, oui César c’est pour le bien de Rome qu’il franchit le Rubicon. Cela rejoindra la première question de Jean-Luc, à savoir pourquoi les psychanalystes se mêleraient de la psychopathologie de la vie collective. Tout simplement aussi parce que c’est-ce qu’on nous vend aujourd’hui. Qu’est-ce que le discours social nous vend aujourd’hui ? C’est le bien, c’est le bien généralisé de tout un chacun : « arrêtez de fumer c’est mauvais pour vous ».

On voit bien, Socrate n’est jamais là-dedans, il n’a jamais mis l’amour au premier plan ni même comme appui. Le « Connais-toi toi-même » vient indiquer qu’il y a ce côté réflexif. Il vient mettre en place la catégorie du Grand Autre. C’est ce que Socrate maintient en fait, c’est qu’entre un et son semblable, il y a un écart fondamental, incontournable. Et le fait de parler, c’est ce l’on dit dans les arguments de nos journées, que l’on parle d’abord à soi-même et le fait de pouvoir dire « connais-toi toi-même » de pouvoir se parler à soi-même ça crée déjà logiquement un réel, et en plus sur la manière de le dire en Grec le « Connais-toi toi-même », on pourrait le démontrer linguistiquement, que le Grand Autre il est là dans la grammaire grecque. C’est ça que l’on reproche à Socrate, c’est le fait de toujours faire valoir cette catégorie-là du Grand Autre que l’on peut appeler la catégorie du Réel, qui peut être le Réel aussi, mais qui est le fait qu’il y a cette disharmonie fondamentale, ça rate toujours.

Alors tout ce qui est vendu aujourd’hui, tout ce que le discours social, le lien social promeut aujourd’hui, c’est justement d’atteindre l’harmonie, d’être en phase avec soi-même. Ça ! « Soyez en phase avec vous-mêmes ! », « je ne suis pas en phase avec moi-même ! », « c’est pas un métier qui me correspond ! », « non, mais je ne peux pas travaillez-là ». Il n’y a plus que les psychanalystes qui sont capables de dire, avec quelques rares intellectuels, qui sont capables de faire valoir cette catégorie du Grand Autre, cette catégorie qui vient foutre en l’air toute possibilité d’harmonie. César comme Antoine, ce qu’ils sont en train de vendre au peuple comme illusion, c’est quasiment le titre de notre texte de Freud, c’est que c’est possible, c’est qu’il n’y a qu’à les suivre pour que ce soit possible. Ce ne sont pas tout à fait les premiers… ni les derniers !

Frédéric Scheffler : C’est leur job ! Le seul problème c’est que derrière tu n’as aucune critique de ce discours là.

Cyrille Noirjean : Chez les Romains, chez Shakespeare aussi, Antoine c’est l’idiot du village, il est considéré comme l’abruti, comme le militaire un peu beauf qui est bien quand il est en Égypte à faire quelques orgies avec Cléopâtre et que ça suffit, il est bon à rien d’autre. Ce n’est même pas un bon militaire. Ce qui est à l’œuvre dans le champ social d’aujourd’hui n’est pas un changement puisque des Antoine, il y en a pas mal et ils sont plutôt valorisés. Je l’ai déjà dit plusieurs fois, regardez la télé très tard le soir, les émissions de téléréalité, c’est tout de même ce que l’on valorise. C’est ces figures-là. J’ai répondu à votre question sur Socrate et les Sophistes.

Une auditrice : C’est à quoi il s’opposait le plus, parce que c’est le pouvoir !

Jean-Luc de Saint-Just : Il n’a pas cherché à lutter contre le pouvoir. Il ne voulait ni prendre le pouvoir ni le renverser ou mettre un autre pouvoir à la place. Il avait vraiment cette idée, enfin si on suit et je fais un peu confiance aux travaux d’Hannah Arendt sur ce sujet, c’est que a priori ce qu’il visait lui, son idée, c’était que si la doxai de chacun était soutenue par le travail philosophique, ce travail de la maïeutique, ça améliorerait la vie sociale. On pourrait aujourd’hui le dire autrement. S’il y avait plus de gens à faire une analyse, ça améliorerait la vie sociale. Peut-être, mais c’est pas sûr. Je dis cela avec un peu d’ironie. Quand on voit comment cela se passe dans les groupes analytiques. Les gens qui ne connaissent pas, qui viennent de l’extérieur, sont d’ailleurs parfois assez surpris. Ils ne comprennent pas. C’est des gens qui ont fait des années d’analyse et ils s’aperçoivent qu’il y a les mêmes passions, les mêmes coups tordus. Les mêmes, enfin bon les mêmes amours et les mêmes haines qu’il y a dans tous les collectifs. Comment ça se fait ? Il y a ces effets psychopathologiques et je trouvais que ce n’était pas inintéressant d’essayer de voir comment Freud en fait lecture, même s’il se prendra les pieds dans le tapis comme tout le monde avec son groupe.

Freud a essayé de rendre compte des processus structuraux qui sont à l’œuvre. Si on les méconnaît, bien sûr on a toutes les chances de passer à côté, de se plaindre en permanence du fait que cela ne fonctionne pas. Parce qu’il me semble que ce que soutenait Socrate et ce que soutient la psychanalyse pour ces raisons structurales restera pour la foule inaudible. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas audible pour la plupart. C’est mon expérience la plus courante en ce qui me concerne auprès des équipes sur le terrain, mais c’est inaudible pour la foule. Il y a donc peut-être là un élément de structure qu’il faut prendre en compte.

Cyrille Noirjean : C’est ce que Lacan n’a cessé de répéter à la fin de son enseignement qui était le « Let’s to be » des intellectuels parisiens et Lacan n’a de cesse de dire vous êtes trop nombreux.

Il y avait du coup un effet de foule qui le rendait lui inaudible. Il s’est bien arrangé pour être moins audible qu’avant, mais on voit qu’en fait, c’est qu’il y a quand même ces choses à tenir là qui sont fondamentales cette disharmonie propre au « parlêtre » qui est à tenir et qui est à faire valoir dans le social. Et qui peut avoir des effets. Parce que pour ne pas finir sur des notes complètement pessimistes. Il peut tout d’un coup se produire du fait d’avoir tenu ça ou pas. Puis après, on pourrait essayer d’étudier quels ont été les effets de la psychanalyse dans le social. Je pense qui sont plus importants que ce que l’on dit, même sur la manière de vivre aujourd’hui à la manière dont c’est repris même de façon très perverse dans le social.

Jean-Luc de Saint-Just : Oui, ce ne sont pas forcément des effets heureux.

Cyrille Noirjean : Non pas que des effets heureux, mais peut-être que ce sera, on en parlera peut-être quand Nicole Bernard viendra, mais le Rectorat de Lyon.

Jean-Luc de Saint-Just : Françoise.

Cyrille Noirjean : Pourquoi j’ai dit. Ah ! Parce que Nicole Bernard, c’est quelqu’un d’autre, c’est une autre psy d’une autre école, euh, Françoise Bernard viendra. Le Rectorat de Lyon vient de découvrir, on ne sait pas comment que pour ces gamins qui sont exclus définitivement plusieurs fois de leur établissement. C’est formidable d’être exclus définitivement plusieurs fois du même établissement. Le Recteur d’Académie est capable de dire cela avec le plus grand sérieux. Donc ceux qui sont exclus définitivement deux ou trois fois, ils ne savent plus quoi en foutre. De toute façon à l’école la première connerie qu’ils trouvent à faire est souvent grave, ils se ruent dedans. Les profs n’en peuvent plus, etc. Je ne sais pas d’où leur est venue l’idée de les déplacer et de les mettre quelques jours dans une association. C’est-à-dire que je dirige une de ces associations qui s’est portée immédiatement volontaire pour accueillir ces jeunes gens. Ça peut être tout, un attentat terroriste, je sais pas quoi, violence sur les camarades, sur les profs, des trucs un peu lourds quand même. Donc, on en récupère dans l’association que je dirige qui travaillent deux, trois jours ces gamins, suffit de les sortir de l’endroit où ils sont. Une fois qu’ils arrivent chez nous, moi, je les prends dans mon bureau juste pour faire le directeur, et dire que je suis là.

Tout est calme. Des agneaux, ils bossent, ils sont contents de bosser. On leur fait faire des trucs pas drôles parce qu’ils sont en collège, au lycée. Et voilà, ils ont pas beaucoup de compétence. Donc voilà, cela suffit. Je me suis demandé, parce que je participe à des réunions. Quand même que l’on puisse convaincre les chefs d’établissement que s’ils viennent deux jours dans une association culturelle, c’est pas fun, c’est pas juste pour s’amuser. Il y a quand même quelque part un type à l’Académie, au Rectorat qui a réussi à vendre ça au  Recteur. C’est pas une idée de coach ça. C’est vraiment une idée qui vient de nos milieux, quelqu’un qui a lu un peu Freud sans doute, la psychothérapie institutionnelle. Donc ça passe.

Tu veux que je te dise quel est mon problème, c’est que je me suis énervé assez violemment dans une réunion. C’est que les profs ne sont pas contents, parce qu’ils ne sont pas punis. La punition n’est pas assez forte.

Jean-Luc de Saint-Just : Tes remarques me semblent très justes et intéressantes, quant à ce pas salvateur pour ces jeunes, mais mon propos est en même temps de se dire que justement il est peut-être possible, c’est repris dans le texte de Freud, L’avenir d’une illusion, de ne pas toujours êtres dans l’illusion, et donc d’une certaine façon de sortir de la plainte. On repère bien quels sont les tenants et les aboutissants du discours psychanalytique, mais que l’on s’attende pas que ça fasse réussite. Même si nous on peut trouver ça super, très éclairant, très pertinent et tout ça, comme le dit Freud cela ne permet que de passer d’un malheur singulier à un malheur ordinaire.

Il ne s’agit pas d’en faire une nouvelle illusion, de ne pas non plus avoir l’illusion de croire que parce qu’on a fait une analyse tout cela sera réglé. Plus de problèmes de couple, plus de problèmes au boulot, plus de problème dans les associations, etc. D’abord, parce qu’on s’ennuierait. Dans les années 1970, je disais qu’il y avait eu un âge d’or pour la psychanalyse comme doctrine, on a mis des psychanalystes à la tête de je sais combien de structures médico-sociale. C’était dans cette idée-là. C’était avec l’idée que la psychanalyse allait sauver tous ces dispositifs. Cela n’a pas été très heureux non plus. Comme d’autres choses en fait ; C’est-à-dire qu’on peut aussi prendre la psychanalyse non pas du côté de la ratio, comme Socrate, mais du côté du grand Un, pour l’amour du maître, du chef. Bien, on va s’arrêter là si vous êtes d’accord, à moins que vous ayez d’autres remarques, ou questions...