Jean - Pierre ALLAIS : Être ou ne pas être en a-corps… ou comment le corps est aussi un nouage…

Jean-Luc de Saint Just : Bon, on va commencer, bonsoir à tous et à toutes. Cette conférence vient conclure le cycle sur le corps qui a eu bien du mal à se finir parce que ça fait deux ans qu’à cause du covid, on a commencé ce cycle de conférences.
C’est un très grand plaisir pour moi d’accueillir ce soir Jean-Pierre Allais, qui est un vieux compagnon de route, puisque on a commencé à travailler ensemble il y a déjà 15 ans, en Bretagne. Jean-Pierre Allais est psychanalyste à Rennes. Il a exercé avant comme psychomotricien et a souvent travaillé sur la question du corps et je lui avais demandé, dans ce cycle de conférence de venir parler de son travail avec les enfants et de comment le corps était mobilisé dans ce travail.
Vous dire que l’année prochaine il y aura un nouveau thème de conférence qui aura pour thème : l’énigme du désir.
Voilà, on t’écoute Jean-Pierre.

 

Jean-Pierre Allais : Jean Luc de Saint-Just m’a demandé de lui parler de mon approche singulière de la psychanalyse qui donne une place au corps. Peut-être discuterons-nous de cette singularité. Il y a des questions plus faciles. Peut-être Jean-Luc nous dira-t-il ce qui l’interroge dans cette pratique.
Le corps, « c’est un corps en relation » nous disent Bergès et Ajuriaguerra qui en avaient fait leur concept de base. S’il est en relation de quelle relation s’agit-il ?

Je vais traiter cela par l’angle du transfert, je me rappelle l’avoir traité du côté de la pulsion dans une autre discussion. Le modèle qui va soutenir ma pensée sera celui des nœuds borroméens.
Pour préciser ma posture, la psychanalyse est pour moi un outil pour interroger les savoirs. Le savoir de l’inconscient, mais aussi le savoir théorique. Interroger ou plus souvent réinterroger le concept, nous permet de nouveaux nouages conceptuels. Lacan n’a cessé d’interroger les concepts, de produire du savoir pour le réinterroger. C’est comme cela que je suis lacanien, en mettant comme outil le trou.

J’ai donc donné un titre qui pose la question de comment le corps se noue dans la relation à l’Autre mais aussi comment Saint-Just et moi avons l’habitude de discuter, c’est-à-dire poser le dés-a-corps comme cadre de nos discussions et tenir compte des lois du signifiant, qu’un sujet n’est qu’un signifiant qui représente un autre signifiant. C’est également soutenir un discours, le discours c’est ce qui nous permet d’interroger la clinique. J’espère que ce soir nous pourrons, une fois de plus, avoir une discussion riche d’amitié ce qui nous permet d’avancer sur les questions qui nous travaillent quand on fait de la clinique.

Comme fil de mon exposé, je prendrai un moment du séminaire Le Sinthome.
Dans Le Sinthome, Lacan attend un contact corporel avec ses auditeurs. Il précise un contact réel avec ses auditeurs. Il précise qu’il est difficile de ne pas considérer alors le réel comme un tiers. S’il y a appel au réel, le réel n’est pas lié au corps imaginaire, il est loin du corps. Étant tiers par rapport au langage et au corps, ce réel est ce qui fait accord, il vaut comme consonance.

Si Saint-Just dit que mon approche est singulière, je dois donc vous en dire quelque chose…
Mon parcours professionnel a commencé avec la rencontre de la déficience sensorielle. Ce sont des êtres qui nous posent des questions qui bouleversent nos savoirs. Ils sont en contact.
Un jour un aveugle me dit, alors qu’on se promenait dans la rue pour qu’il puisse faire l’expérience de l’autonomie dans ses déplacements – j’étais alors instructeur en locomotion – « Tu sais que quand tu me dis : « tu vois ce que je veux dire ?», eh bien parfois j’ai l’impression que l’on voit la même chose et comme je suis aveugle, c’est précieux ».
Il avait 11 ans le môme…

Cette phrase m’a bouleversé et mis au travail.
J’ai donc écrit un premier article. Un article qui disait que voir n’est pas uniquement une fonction organique, mais voir est un objet qui fait fonction de précieux pour l’aveugle. Cette fonction de la vue en passe dans la relation à l’Autre, c’est à dire d’un transfert, cet article dans le champ du handicap ne m’a pas valu que des amis...

Je commençais donc à travailler et j’avais commencé une psychanalyse depuis que j’étais étudiant, ce qui n’y était pas pour rien dans la façon que j’avais d’écouter, de proposer une certaine présence.

Je travaillais aussi à l’époque en néonatologie à l’hôpital général comme psychomotricien et c’est là que j’ai rencontré ce que j’ai appelé le transfert Réel. Un concept dont je vais vous parler si vous me le permettez.
Un service de néonatologie, ce sont des box avec des enfants de 0 à 18 mois principalement. Des nourrissons malades ou prématurés.
Un jour, la puéricultrice me demande d’aller voir un enfant. Nous y allons ensemble, cet enfant de 9 mois est sur le ventre, le dos en courbure arrière excessive, la tête en arrière avec les yeux en strabisme convergent avec un nystagmus intermittent. C'est un signe clinique très inquiétant mis en évidence par le professeur Souleyrol à Marseille si mon souvenir est bon.
La puéricultrice me dit qu’il mange peu et qu’ils sont très inquiets. L’angoisse alors monte chez elle et elle me dit : « Un enfant comme ça, ça fait mal au ventre » et elle part, elle me plante là avec le môme…
Je le vois 2 ou 3 fois dans le box, et comme personne ne souhaite s’en occuper, je n’ai aucun mal à convaincre la puéricultrice responsable du service de le recevoir dans mon bureau au sein de l’hôpital mais dans un autre bâtiment, ce qui n’était jamais évident pour ce service.

Je l’emmène en poussette et je le pose sur le sol et il se met dans cette position que j’ai décrite et dès qu’il prend cette position je commence aussi à avoir mal au ventre…
C’est très compliqué en néonatologie les maux de ventres car tout le monde en a à cause du rotavirus qui est toujours présent…
Mais bon, comme je suis dégénéré déjà par la psychanalyse, il me vient en mémoire la phrase de la puéricultrice. Est-ce que ce ne serait pas un transfert ?
Je lui pose la question : « C’est toi qui fais mal au ventre ? »
Le petit sort alors de sa position et roule jusqu’à moi, nous étions au sol, moi assis et lui allongé, et se cale sur mon ventre et semble tourner.
Deux questions me taraudent : comment il fait pour tenir tout seul, car je ne le tiens pas et qu’est-ce qu’il fout là ?
À ce moment je le vois trois ou quatre fois dans la semaine pendant son hospitalisation. Il va mieux me disent les soignantes, il mange et il a quitté sa position. J’apprends alors qu’il va sortir du service pour aller à la pouponnière car c’est un enfant abandonné. Étonnamment les puéricultrices s’arrangent pour que je puisse continuer à voir cet enfant alors qu’elles ne m'ont pas à la bonne car je suis un psychomotricien trop psy, dénaturé par la psychanalyse.

Je commence à suivre cet enfant en ambulatoire, il continue à tourner, collé à mon ventre. J’ai bien-sûr des représentations imaginaires mais je me garde de lui en parler.
L’éducatrice de la pouponnière ne tarde pas à venir me voir, elle me dit qu’il mange bien, qu’il est bien en relation mais il y a un problème. Comme il est adoptable, en attendant, une famille d’accueil est souhaitable mais il se passe quelque chose, c’est que les familles d’accueil se détournent de lui, non elles ne peuvent pas avec un enfant comme ça… Mal au ventre, je ne sais pas…
L’éducatrice a lu Dolto, elle me dit : « on dirait qu’il ne veut pas ». Elle me demande si je sais qu’il est trisomique mais les signes sont tellement discrets que personne ne le remarque.
J’essaye du Dolto : je parle avec l’enfant en lui disant qu’il serait peut-être bien pour lui qu’il descende de mon ventre pour aller voir le monde…
Rien … Nous sommes donc à huit semaines de traitement.
Au bout de trois mois, il descend et il me sourit.
Autant dire que je ne comprends rien...
Je me présente, je le nomme.
L’éducatrice vient la semaine suivante et me dit que c’est formidable, il a souri à une famille d’accueil qui va le prendre et qui pense même à l’adopter et donc le suivi va s’arrêter…
L’éducatrice est alors bavarde et me raconte, en présence de l’enfant, que ses parents ont décidé de ne pas le garder quand ils ont eu le diagnostic de trisomie à 6 mois de grossesse, que jusque-là la grossesse était un bonheur et qu’ils n’ont pas pu faire une interruption volontaire de grossesse et ils l’ont abandonné.
Et voilà je n’ai plus vu cet enfant …
Que de questions après une telle expérience… J’ai parlé de cet enfant à des journées médicales et le résultat a été que j’ai été viré de l’hôpital. Trop psychanalytique comme psychomotricien. J’en ai parlé à des journées de psychomotricité, beaucoup de psychanalystes sont venus me voir.

Plein de questions à partager avec des collègues en congrès, en supervision. La grossesse se transfert-elle ? Et si oui comment penser ce nouage transférentiel ?

Mon histoire n’est pas sans être remarquée et je suis embauché au Camps et au CMPP.
On va donc me confier des enfants atteints de signes autistiques pendant 30 ans.

Je vais vous raconter une autre histoire que j’ai publiée.
C’est celle d’un enfant qui m’a encore fait avancer sur cette question de ce que je nommais transfert Réel sans aucun autre fondement théorique que les effets dans le corps qui me semblaient réels. C’est un enfant avec des signes autistiques très graves. Je préfère parler de signes autistiques que d’autisme car il faut prendre le temps de voir ce que la rencontre produit.

Il avait 4 ans et se sauvait dans la rue. Les policiers l’avaient ramené à ses parents plusieurs fois car il courait vite. Il ne parlait pas à part « loup » quand il se sauvait. Je lisais les Lefort à l’époque, ça m’avait marqué.
Je le vois depuis quelques séances et dès que j’arrive il fonce dans mon bureau et fout tout en l’air. J’ai autant de temps de rangement que de traitement.
Au bout de 4 ou 5 séances de chaos, je remarque que j’ai tout le temps froid depuis un moment. J’échange avec mes collègues, non il ne fait pas froid, je suis peut-être un peu fiévreux. J’en échangeais avec mon superviseur de l’époque qui était Annick Bougeard qui m’a beaucoup soutenu dans mes élaborations bizarres.
Je restais avec cette interrogation. La séance suivante, il ne déboule pas dans mon bureau, je vais dans la salle d’attente et il ne bouge pas. Je l’appelle donc : « Geffroy, tu viens ? » (J'ai froid...) Il me répond alors en hurlant : « je ne m’appelle pas Geffroy mais Geoffroy !».
Stupeur dans la salle d’attente. La mère se met à pleurer.
Elle me parlera d’un effroi. Pendant la grossesse, son père est mort et elle est restée figée sans parler plusieurs mois. Elle s’en voulait terriblement car pour elle c’était l’origine des troubles de son fils.
Mais les troubles de son fils étaient très graves et je l’ai suivi pendant plus de 10 ans. Quand le traitement s’est arrêté, il était à l’hôpital de jour, il avait 13 ans. Il m’a acheté une reproduction de la couverture du livre de Tintin au Tibet où Tintin est dans un panier avec un dragon autour. Tableau que je garde à mon cabinet. Il me dit : « c’est moi, il a peur » Le père était très surpris de la demande de son fils d’aller acheter ce tableau, c’était son premier achat.
L’effroi se transfert-il ?

Avec les adultes, cela arrive aussi parfois.
Quand j’écrivais ces pages j’ai oublié une patiente dans la salle d’attente et elle a pu me raconter qu’enfant, son frère était malade et que, petite, c’était une enfant oubliée. Là aussi question : fallait-il que je me questionne sur ce transfert pour que j’entende cette patiente qui jusque-là ne me parlait pas de cela ?

Une autre histoire, que je n’ai pas publiée…
Je me dirige vers le secrétariat du Camps, il y a quelques années, certaines personnes connaissent cette histoire. Le secrétariat, c’est le lieu de quelques discussions banales qui permettent de récupérer de la clinique et la secrétaire me dit : « Jean-Pierre votre rendez-vous est arrivé », je lui dis : « mais je n’attends personne… »
Elle me dit alors que c’est l’enfant dont le médecin m’a parlé en synthèse et pour lequel il a proposé un rendez-vous avec moi. Je commente que c’est bizarre, habituellement jamais le médecin ne prend rendez-vous à ma place. Je demande comment s’appelle l’enfant : Elle me dit : Nathan.
Je ne suis pas sans entendre ce prénom, je vais vers la salle d’attente et je m’entends dire « Il est où Nathan que je n’attendais pas ? »
L’enfant a trois ans et présente des signes d’autisme sévère, pas de regard, pas de vocalisme, des stéréotypies toute la journée.
La mère est très affectée par ma phrase, nous discutons. Elle me dit que c’est un enfant qu’elle n’attendait pas et qu’elle a eu beaucoup de mal à accepter, elle s’en veut beaucoup elle aussi. Moment alors magique, Nathan vient sur ses genoux et l’enlace. La mère me dit qu’il n’avait jamais fait cela. Moment magique d’une ouverture où les signes sévères d'autisme n’étaient que sévères, cet enfant va très vite évoluer.

J’aurais pu aussi vous parler de ma rencontre avec les enfants instables qui sont devenus hyperactifs par une opération médica-menteuse, enfants que j’ai appelés pour une part bougillons et qui eux font appel, dans le transfert, à ce qui peut faire limite pour nous. Là aussi ce que j’appelle le transfert Réel se joue, mais là vous avez assez de clinique pour qu’on réfléchisse ensemble à ce concept et que vous me donniez vos hypothèses…

La théorie, c’est mettre les concepts à l’épreuve de la clinique. Si ce que j’ai rencontré a un intérêt clinique, nous nous devons de le conceptualiser.
Le concept de transfert est, vous le savez, pour Lacan, ce phénomène de l’inconscient qui fait qu’une représentation se transfère à une autre représentation. Nous le constatons dans les rêves et l’intérêt de cette définition était de montrer que l’image dans le rêve n’est pas importante, c’est le signifiant qui compte.
Par exemple un patient s’étonnait de son cauchemar où des rats mangeaient des chats… Après quelques transferts de représentations, il se souvient avoir regardé un reportage très violent sur la charia.
Pour reprendre notre phénomène, il n’y a pas transfert d’une représentation à une autre, mais appel chez l’Autre d’une représentation, d’un signifiant au lieu de l’Autre pour peut-être tenter que ces représentations soient en lien.
C’est quoi faire mal au ventre à L’Autre ?
C’est quoi faire vivre l’effroi à L’Autre ?
C’est quoi faire éprouver la limite à l’Autre ?
C’est quoi voir pour l’Autre ?

On peut commencer par s’interroger sur ce qu’est une fonction dans le corps ?
Je vais m’appuyer ici sur ce que Bergès en dit.
La fonction chez l’être humain est dénaturée, dit Lacan, par le langage, ce qui veut dire qu’elle en passe par la relation à l’Autre pour s’instrumentaliser.
La fonction de voir comme nous l’enseigne cet aveugle n’a pas besoin de l’organe pour fonctionner. Elle peut se compenser comme on dit avec d’autres canaux sensoriels.
Mais pour se mettre en place elle besoin de l’Autre, mais alors de quelle façon ?
Bergès nous dit que la fonction maternelle est celle qui permet la mise en place des fonctions du corps par deux opérations :
- la fonction d’attribution que Freud appelait le jugement d’attribution. C’est la capacité pour la mère d’attribuer une fonction, comme celle de parler, à l’enfant avant même que celle-ci existe. Cette attribution, avant même que celle-ci existe, permet la mise en place de celle-ci.
Cette capacité est liée à une autre aussi nécessaire qui est le transitivisme.
Le transitivisme, c’est cette capacité à … Capacité de la mère à savoir pour l’enfant comme si c’était elle, c’était son corps. La mère doit savoir si l’enfant a faim ou froid du point de vue d’une folie maternelle nécessaire. Un nourrisson sans mère sans présence meurt au bout d’une huitaine d’heures par manque de ces deux fonctions vitales qui font le circuit pulsionnel. Cette capacité imaginaire est essentielle.

Quand j’ai commencé à travailler avec les aveugles, certains adultes refusaient d’utiliser le mot voir avec les enfants aveugles pour éviter de leur faire mal.

Vous voyez que ces deux fonctions mettent en jeu un phénomène de transfert Réel puisque la fonction comme celle de la faim est un nouage de la faim et d’une forme de folie d’interprétation. Ce qui pose toute une série de questions pour la mère quand l’enfant résiste au jugement attribution.

S’agit-il d’un transfert ou d’un nouage ? ou des deux ? ou bien est-ce que le transfert permet le nouage ?
Voilà une question bien difficile sur laquelle nous allons avancer.

On peut se poser la question du statut de ce qui est transféré : quand je suis envahi par la sensation de froid qui sera un effroi au final, on peut sans trop se tromper dire qu’il s’agit d’un signifiant puisqu’il prend plusieurs états. L’effroi pour la mère, la nomination pour l’enfant, la sensation pour moi.
Cela pose la question que ce signifiant puisse se transférer sous des formes différentes (effroi, froid, Geoffroy) et donc de sa possibilité d’être un signifiant qui renvoie à d’autres signifiant et de se nouer.

C’est au lieu de l’Autre qu’il tente de faire nouage en se présentant côté réel, imaginaire ou symbolique…

Peut-on dire que ce signifiant fait retour dans le Réel ?
Pour l’enfant qui fait mal au ventre ou pour « j’ai froid » on pourrait aussi dire qu’il s’agit d’un réel qui tente d’advenir dans le symbolique…
Il est nécessaire de se poser une autre question : ce signifiant est-il forclos ?
Est-il forclos dans le sens qu’il est rejeté ?
Mais ce rejet est particulier car il ne revient pas en dehors de l’Autre, il tente de nouer au lieu de l’Autre … Mais dans ce cas on peut se demander si un phénomène dit « élémentaire » n’est pas un signifiant qui tente lui aussi de nouer au lieu de l’Autre pour construire un délire.

La clinique de l’enfant a ce quelque chose de particulier, les phénomènes élémentaires ne sont pas rares et font même partie de la construction du petit homme, si l’on croit avec Freud que l’enfant hallucine le sein.

Cette question pose donc une difficulté majeure pour le diagnostic de psychose de l’enfant très bien développé dans le collectif dirigé par Marika Berges et Jean-Marie Forget Les psychoses chez l’enfant et l’adolescent.

Pour les enfants dont je vous ai parlé, ce qui est plus intéressant, c’est le destin de ces signifiants transférés comme réel.

Le signifiant voir pour l’enfant aveugle, a pu reprendre une place dans sa chaîne signifiante, il en a fait un trait singulier de celui qui voit et a développé un regard humoristique autour de cela. Un jour où l’on se promenait dans la ville il entendait des enfants, il me demandait si c’était une école et je la nomme : cette école se nommait Notre Dame des Miracles. Il me dit que l’année prochaine il allait s’inscrire là pour voir si la promesse était tenue...

Pour l’enfant qui faisait mal au ventre, je l’ai mis à l’imparfait… Verbe imparfait qui peut indiquer un passé ou un futur… C’est imparfait à situer la chose. Ce que j’ai pu constater, avec un risque de se tromper, c’est là aussi que le signifiant mal au ventre semble avoir repris sa place dans la chaîne signifiante.

Pour Geoffroy, la psychose sera manifeste, il construira plein de choses autour de l’effroi dans les séances. Le tableau qu’il m’offrit à la fin du travail indiquait l’effroi de Tintin. Il en avait donc repéré quelque chose. Il a pu faire une scolarité en hôpital de jour.Il avait quatorze ans quand le travail s’est arrêté, je n’ai pas eu de nouvelles depuis.

La question se pose donc de ce qu’il advient de ce signifiant.

La théorie propose toute une série de modèles pour rendre compte de ces phénomènes. Chacun peut avoir les siens. L’important pour un outil, qu’il soit théorique ou manuel, c’est de l’avoir bien en main et qu’il permette d’œuvrer correctement. Mais bon, on peut aussi avoir envie de nouveaux outils, on peut critiquer ceux des autres etc.
Un outil, c’est quoi ? Au final ou à l’origine ?
C’est un signifiant.

Alors, évidemment j’ai aussi mes outils, mais ce que je préfère c’est avoir un outil pour interroger les outils. Ce que je préfère dans la théorie, c’est interroger les modèles théoriques et c’est la posture de l’enseignement de Lacan, c’est cela. Quand il interroge le modèle de la résistance à partir du modèle théorique qu’utilise Freud, c’est enseignant, c’est enseignant de savoir qu’on écoute toujours avec un modèle et que ce modèle produit des possibles et des impossibles.

J’ai un autre exemple clinique qui interroge nos modèles.
C’est un enfant aveugle que j’ai rencontré quand il avait 7 ans. Il était autiste et ne parlait pas. Il se déplaçait facilement dans le centre. On lui disait « Va voir untel » et il y allait, ce qui étonnait tout le monde car ce n’était pas donné à tous les aveugles de se déplacer de façon autonome et sans jamais se cogner dans quelque chose. Enfin, il se produisit une nouveauté, il se mit à parler…
L’équipe m’a demandé alors, en tant qu’instructeur en locomotion, de lui apprendre à se déplacer de façon autonome alors qu’il était déjà autonome dans l’établissement. L’équipe me dit qu’il pourrait aller dehors. J’ai commencé et il se passa une chose bizarre : cet enfant a perdu entièrement son autonomie dès les premières séances. Ce qui fonctionnait de façon étrange pour nous ne fonctionnait plus. Il se perdait, se cognait, et faisait alors des crises d’angoisse. On passa un an à nommer chaque centimètre de mur, il me demandait « et ça c’est quoi ? » Je lui nommais ses sensations de perception des masses qu’il utilisait avant sans s’en rendre compte.
Puis c’est revenu, autour de quelque chose d’étrange. C’est devenu à nouveau automatique un jour où j’avais une cravate. J’avais une cravate car il y avait une occasion pour cela, c’est la seule fois où j’ai eu une cravate ! Mais lui fut bouleversé par cette cravate, car il me dit très ému : « mais alors tu es un monsieur ! » et ce signifiant lui permit, je le crois, de retrouver un automatisme dans la perception. Ce que j’ai constaté chez d’autres enfants autistes pour qui le signifiant de la différence sexuelle a souvent fonction d’organisation.

Ce cas m’a interrogé sur deux points :
Le signifiant est venu désorganiser cet enfant. Le signifiant peut donc désorganiser le corps et ses fonctions.
Il s’est réorganisé autour d’un signifiant d’exception au lieu de l’Autre. Un signifiant de la différence sexuelle.
J’ai constaté que beaucoup d’enfants psychotiques ont pu organiser leur corps quand ils ont trouvé un signifiant de la différence sexuelle, dont une petite fille qui bavait qui ne coordonnait ni ses yeux ni ses membres et qui avait été stupéfaite d’être une fille. Et immédiatement le trou bavant avait pu s’organiser en sphincter.
Le travail de Lacan dans les premiers séminaires vient questionner notre côté organisme dénaturé par le signifiant. Le signifiant est organisé en deux pôles. Il faut quand même dire que nous sommes le seul animal à être latéralisé, c’est-à-dire qu’on a un côté dit “dominant” et l’autre côté “dominé”. On pourrait dire simplement un côté et l’autre côté pour éviter le conflit imaginaire du dominant-dominé. Tout organe dont on fait un instrument se latéralise. L’œil, la main, l’oreille, le pied, l’équilibre ou autre chose…
Le signifiant est organisé avec deux pôles et entre ces deux pôles, il situe une frontière où Lacan, dans le séminaire L’éthique, situe ce qu’il en est de l’éthique du sujet.
Il y a donc quelque chose qui se noue en deux pôles. Si dans L’éthique, Lacan interroge l’au-delà du principe de plaisir, il proposera aussi, avec deux tores, le nouage du sujet et de l’Autre. L’Autre et le sujet sont à la fois dedans et dehors et ont donc une structure moebienne. Le sujet situe l’Autre d’une frontière qui peut être en dehors ou en dedans quand il rêve.

Cette structure minimaliste du signifiant en deux pôles. C’est ce que le sujet tente dans ce que j’ai appelé le transfert Réel. Un contact.
Du côté de l’Autre, qu’est-ce qui est nécessaire pour que cet Autre devienne une instance de structure moebienne ? C’est-à-dire à la fois dedans et dehors et avant tout pouvant faire fonction de trou.

Marie Christine Laznick nous a proposé que le nœud en tant que tresse est le résultat de croisement ou de bouclage de la pulsion avec l’Autre primordial.

Qu’est-ce que nous apprennent les cas ?
C’est que pour l’aveugle, pour l’effrayé, pour le bougillon ou pour celui qu’on n’attend pas, le mal logé, le bouclage de la pulsion n’est pas aisé. Mais la bonne nouvelle, c’est que ça peut se transférer.

Reste à étudier ce que ce concept de transfert Réel peut nous apporter…

On peut d’ailleurs avoir une lecture clinique, que ce soit pour Freud ou pour Lacan de ce concept, c’est-à-dire interroger le concept. Je vais le faire rapidement, juste pour donner envie...

D’abord Freud repère que le transfert, c’est le moteur de la cure. Un moteur donc... Métaphore mécanique, point de vue dynamique.
À partir de 1914, à partir du texte Répétition remémoration perlaboration, c’est aussi une résistance. Mais il ne différencie pas la répétition du transfert.
La résistance est un modèle électrique du conducteur.

Les définitions dans un premier temps ne séparent pas l’affect qui tient de l’imaginaire.

La première définition du transfert, un peu consistante, on la trouve dans L’Interprétation des rêves, lorsque Freud se pose la question de l’émergence de l’inconscient dans la conscience du sujet. Et il dit : la représentation inconsciente ne peut en tant que telle pénétrer dans le préconscient, elle ne peut agir dans ce domaine que si elle s’allie à quelque représentation sans importance, qui s’y trouvait déjà, à laquelle elle transfert son intensité qui lui sert de couverture, c’est là le phénomène de transfert.
Lacan s’appuiera sur cette définition dans un premier temps.

On peut dire qu’avec le texte Analyse finie et infinie le concept du transfert reste comme objet de travail transmis aux autres générations.

Avant de donner quelques éléments sur le transfert avec Lacan, comment il interroge ce concept, je vais vous donner ou répéter quelques points de repères.
À propos du corps, on peut redire tout d’abord que le corps ne nous est pas donné d’emblée et que c’est une construction qui se fait dans la relation à l’Autre.
On peut se représenter cela comme je l’ai fait à une époque par les deux tores accrochés.
La relation à l’autre pose la possibilité d’un transfert.
On peut dire aussi, et là ça complique tout, que le corps se présente en trois registres différents : le corps symbolique, le corps imaginaire et le corps réel.
La difficulté qui se pose est de définir le corps réel. Le corps imaginaire, il nous est donné par l’image, le corps symbolique c’est chaque chose à a sa place par la nomination, mais le corps réel ?
Le corps réel, ce serait le corps de la jouissance. On trouve cette définition.
Qu’est-ce à dire ?
Est-ce l’organisme qui attend de devenir corps ? On trouve aussi cette définition.
Mais qu’est-ce que l’organisme ?
Est-ce du réel, ou un ensemble d’organons ?
Gardons l’idée que c’est ce qui n’a pas encore été imaginarisé et nommé.
Posons aussi qu’il existe quelque chose qui pousse à ce que ces trois registres se nouent.
Comment appeler cela ? La pulsion ? le désir ?

Posons la question : si quelque chose pousse à se nouer, comme on l’a vu avec ces cas, pousse à se nouer au corps de l’Autre, avec le transfert, alors comment peut-on se le représenter ? Je dis avec le transfert, car on ne peut pas dire sous transfert, qui renvoie au transfert symbolique.

Me revient la phrase d’un enfant énucléé, donc qui n’avait pas d’œil, et qui m’avait dit : « je n’ai pas d’œil, ça ne m’empêche pas de voir… tu vois ce que je veux dire ? »
Une phrase comme ça, ça pose la question du nouage... non ?

À propos du transfert, dans un premier temps Lacan a une définition du transfert assez simple, c’est le passage d’un signifiant à un autre, c’est-à-dire le travail de l’association libre d’un signifiant à un autre. C’est la définition de Freud dans l’interprétation des rêves et dans la majorité du travail analytique c’est cela.

Le séminaire sur le transfert met en question deux points structuraux majeurs : le supposé savoir et l’objet qui sera agalmatique. Ce séminaire introduit un nouveau point de vue, mais surtout une ouverture à une nouvelle conception du phénomène de transfert. Le transfert n’est pas un effet de limite et de passage d’une représentation à une autre mais un trou dans l’action thérapeutique du sujet supposé-savoir.
Un trou dans le moteur, pour reprendre Freud.

Petit exemple clinique, un enfant psychotique, ex autiste, qui s’est mis à parler quand je le suivais au CAMPS, revient me voir à mon cabinet. Il a maintenant 10 ans. Je lui demande pourquoi il vient me voir puisqu’il est suivi en pédopsychiatrie. Il me répond que les psychologues qu’il a rencontrés ne savent pas écouter, « pendant qu’ils écoutent ils pensent, ils réfléchissent et ils ne m’écoutent pas... » dit-il.
Comment le sait -il me direz-vous, je n’en sais rien mais vous voyez là l’illustration de la mise en place du transfert du trou.

On trouve ensuite une indication de ce travail dans le séminaire L’angoisse où Lacan s’interroge à nouveau sur le transfert. Ce séminaire où la question du corps est omniprésente.
“Le transfert n’est pas seulement ce qui reproduit une situation, une action, une attitude, un traumatisme ancien et ce qui le repère. Il y a une autre coordonnée, un amour présent dans le réel. Le transfert est aussi la conséquence de cet amour-là. C’est en fonction de cet amour réel, que s’institue la question centrale du transfert, la question que le sujet se pose sur son manque. C’est avec ce manque qu’il aime. L’amour, c’est donner ce qu’on n'a pas. Pour avoir le phallus, pour pouvoir s’en servir, il faut justement ne pas l’être.”

Lacan interroge le phénomène du côté de l’amour, non plus l’amour du texte, une lecture, ou l’amour imaginaire, la résistance mais l’amour Réel, le transfert Réel, la question que se pose le sujet sur son manque.
C'est sans doute en lisant cette définition que le terme de transfert Réel m’est venu.

Quinze jours après cette question est toujours au travail, il ajoute : « qu'il s'agisse du pervers ou du psychotique, la relation du fantasme - $ poinçon a - s'institue ainsi, c'est là que pour manier la relation transférentielle, nous avons, en effet, à prendre en nous à la façon d'un corps étranger, une incorporation dont nous sommes le patient. »
Une incorporation dont nous sommes le patient...Cette incorporation, n’est possible que s’il existe un trou…
On arrive donc au séminaire XI, qui est un séminaire où Lacan se donne le temps de reprendre les quatre concepts qui lui semblent fondamentaux. Il donne une définition qui commence à tenir compte des trois registres, même si le réel est un réel qui ex-siste au deux autres. Il dit : « Le transfert est ce qui manifeste dans l’expérience la mise en acte de la réalité de l’inconscient, en tant qu’elle est sexualité. »

Là aussi, c’est bien difficile de cerner cette phrase : ce qui manifeste... et la mise en acte... et de la réalité... 

En 1971, dans le séminaire, D’un discours qui ne serait pas du semblant, le 17 février 1971 il nous donne une indication nouvelle. Il dit : « Dans le texte la direction de la cure, je ne tranche aucunement de ce qu’est le transfert. C’est précisément en disant le sujet supposé savoir que la question reste entière de savoir si l’analyste peut être supposé savoir ce qu’il fait. ». La notion de trou apparaît à nouveau, l’analyste n’est pas supposé savoir ce qu’il fait...

Dans RSI, Lacan apporte un nouveau point qui articule l’identification au transfert.
Il dit : « il n'y a d'amour que de l'identification portant sur ce 4ème terme, à savoir le Nom-du-Père ». Il n'y a de transfert que de l'identification portant sur cette 4ème dimension, à savoir ce qui fait trou.
Il y a beaucoup de choses à commenter dans cette définition. Le Nom-du-père est-ce ce qui fait trou ?
On pourrait poser la question de ce qui permet que cette quatrième dimension fasse trou ? Car il faut constater que ce n’est pas chose facile.

Pour conclure avec Lacan sur cette question du transfert et de la possibilité d’un contact, voilà ce que dit Lacan dans L’insu sur cette question : « Il faut quand même soulever la question de savoir si la psychanalyse (...) ça n'est pas ce qu'on peut appeler un autisme à deux. »
Phrase qui peut paraître terrible, mais qui peut être comprise comme quelque chose d’un dispositif où deux trous sont en présence.

C’est une phrase importante, c’est-à-dire est-ce que ce n’est pas la rencontre de deux trous ?

 

 

Discussion

Jean-Luc de Saint Just : Je sais pas comment vous avez reçu tout ce que tu as amené parce que c’est d’une richesse absolument incroyable, avec en plus un style particulier que je t’ai pas toujours entendu avoir dans d’autres interventions où je t’ai entendu. On évoquait le week-end dernier à Paris le style de Lacan et il semble que là, dans ton style tu fais passer quelque chose du Réel.

Jean Pierre Allais : Si tu as bien entendu ce que j’ai dit, je n’ai pas parlé de style mais de posture.

Jean-Luc de Saint Just : Oui oui...

Jean Pierre Allais : Parce que je pense que le style c’est la façon dont les choses s’écrivent dans l’inconscient tandis que la posture ça a à voir avec l’objet, et comment je pourrais dire ça, comment on est en relation avec cet objet ...

Jean-Luc de Saint Just : Pour le dire autrement, souvent on entend des conférences qui sont très tissées et là tu nous as fait entendre quelque chose que moi j’ai entendu comme un détricotage.

Jean Pierre Allais : Oui c’est très juste...

Jean-Luc de Saint Just : Donc là tu es d’accord !

Jean Pierre Allais : Il ne faut pas qu’on soit d’accord !

Jean-Luc de Saint Just : Des questions ?

Isabelle Nicoud : C’est pas tant une question, une remarque : tu parles de la fonction maternelle et du transitivisme et tu dis : « la mère, elle doit savoir », j’entends que tu fais référence au savoir de la mère mais en fait elle ne sait pas, elle fait des hypothèses...

Jean Pierre Allais : En fait non, il faut qu’elle sache, c’est là aussi la folie maternelle.

Isabelle Nicoud : Oui, la folie interprétative c’est pas une hypothèse, c’est ça dont tu parles ?

Jean Pierre Allais : C’est une difficulté qu’on a dans la clinique avec les parents et les enfants avec la folie maternelle. On a beaucoup de mal à accepter cette folie maternelle et si je vous le dis comme ça c’est parce qu’elle est nécessaire parce qu’un enfant qui n’ a pas une mère qui sait, il ne peut pas vivre. Il y a un deuxième temps où cette folie maternelle elle passe en hypothèses, c’est-à-dire que la mère s’interroge mais l’enfant, au départ, il est bien content qu’on sache pour lui et puis au bout d’un moment il commence à faire comme si il n’entendait rien...

Isabelle Nicoud : Ce serait quelque chose de la Préoccupation Maternelle Primaire de Winnicott, préalable à l’hypothèse ?

Jean Pierre Allais : Oui, c’est exactement ça. D’ailleurs Winnicott parlait de folie maternelle aussi.

Annie Delannoy : Moi, il y a quelque chose qui m’a interpellée sur la question du transfert, c’est que Lacan dit,  que le transfert il est toujours du côté de l’analyste, enfin en parlant du contre-transfert mais en écoutant ce que vous amenez, comment dire, en effet vous déconstruisez mais en même temps ....... et quand même je trouve qu’il y a quelque chose que vous faites entendre sans le dire c’est que c’est vous que ça traverse ces signifiants... Ces noms propres pour vous se transforment en signifiants parce que chaque fois..., alors peut-être à votre insu ou peut-être pas...

Jean Pierre Allais : Toujours ...

Annie Delannoy : Mais n’empêche que c’est comme si justement c’était déjà là pour vous : quand vous n’attendez pas Nathan, cela vous a fait penser à n’attend pas, pas attendu ... et il me semble qu’il y a quelque chose de cet ordre-là y compris dans ce truc que vous comprenez pas chez ce garçon qui vient se mettre sur votre ventre, il attend trois mois pour rester, au bout du compte ce qui fait neuf si j’ai bien entendu et du coup, je trouve que c’est ça qui est intéressant, c’est ce qui échappe d’une certaine façon à l’analyste dont il ne peut avoir en tout un retour que dans l’après-coup finalement. En fin moi il me semble l’entendre comme ça votre question du transfert réel. C’est que ça opère à un endroit et au moment où ça opère et qui ne peut se mesurer que dans ces effets d’après-coup en fait.

Jean Pierre Allais : Ça se mesure dans ses effets d’après-coup et avec quelqu’un d’autre, parce que dans toutes ces rencontres, si j’avais pas eu des superviseurs à la hauteur d’entendre ça, qui me permettent d’élaborer, de me suivre dans ma folie aussi, parce que c’est une forme de folie d’entendre comme ça, donc si je n’avais pas eu ces personnes-là peut être que j’aurais refoulé ça en me disant c’est con, ça n’existe pas...
J’ai eu un autre effet, un enfant qui m’a endormi pendant 6 mois à toutes les séances au bout de 5 minutes. C’est très difficile à soutenir comme travail. Dans ce travail, je faisais un bébé en pâte à modeler ou je sais plus trop en quoi. Il me disait « ça tient pas ». Et ces effets-là effectivement, de soutenir le travail d’un enfant de cette manière-là, c’est pour ça que je parle de ces fonctions, on ne peut pas être tout seul. Je peux pas dire que j’ai fait ça tout seul, c’était impossible.
(Silence)
Et aussi ça renvoie au nouage sujet -Autre...

Annie Delannoy : Puisqu’on peut être un peu fou là ce soir, un analyste il est jamais seul s’il pratique l’analyse, je vais le dire comme ça, c’est qu’il a toujours ses points d’appui par un passage par le contrôle mais enfin ça c’est pas toute la vie d’un analyste non plus et ses points d’appui qui sont l’école, le travail qu’il fournit, c’est ça ces quelques autres, j’y mettrai tout ça sinon effectivement c’est fou cette confrontation.

Jean Pierre Allais : Ça se travaille cette instance Autre, on la travaille en contrôle, on la travaille dans le groupe, on pourrait aussi tout à fait évoquer le travail collectif – puisqu’on le fait avec Tissages – cette instance Autre avec laquelle on travaille et qu’on fait travailler parce qu’on la fait pas travailler comme ça cette instance, c’est-à-dire j’ai rencontré ces enfants ça faisait déjà longtemps que j’étais en analyse, parce que j’étais en questions ou en travail de supervision, même si je n’étais pas analyste j’étais déjà là-dedans ; et cette instance Autre pour moi elle faisait rencontre avec les enfants quelque soit ...( inaudible).

Je pense que vous avez tous rencontré, même dans vos pratiques adultes, les fonctions de seuil, c’est-à-dire qu’avec des patients on ne sait pas ce qu’ils font, des fonctions de coupure – aux vacances – ce ne sont pas des coupures de signifiants, ce sont des coupures réelles, le patient part en vacances ou on s’absente, c’est-à-dire des coupures au niveau du contact, vous avez tous rencontré ça. La question c’est : qu’est-ce qu’on en fait ? Est-ce qu’on se dit : c’est rien ou est ce qu’on se dit : c’est fou ?

Jean-Luc de Saint Just : Je suis un peu embêté dans la façon dont tu reprends, j’avais entendu et là tu viens de le reformuler différemment, mais ce qui m’embête un peu dans cette question du transfert réel c’est comme si c’était déconnecté des autres dimensions Symbolique et Imaginaire. Or dans tous les exemples que tu as donnés, il y avait une dimension Symbolique et Imaginaire ; ça m’a amené d’ailleurs une question qui a été en discussion avec Marie Christine Laznick à l’ALI déjà : du fait que le signifiant est premier dans notre espèce, est-ce que le nœud borroméen il est pas déjà là, que cette dimension du réel que tu fais très très bien entendre est très importante et il me semble qu’elle est souvent recouverte dans le travail y compris dans l’élaboration. Quand j’évoquais les conférences qui se présentaient sous un mode de tissage où les choses étaient déjà nouées, ça vient assez souvent évacuer cette dimension de réel et donc est ce que ce que tu évoques comme dimension de réel n’apparaît pas comme un effet de réel du nœud lui-même, qui va se trouver oubliée par le fait qu’il y a un travail de nomination, il y a une dimension imaginaire, c’est-à-dire que ce que tu as dit là, par rapport à ce bébé, il y a déjà une dimension imaginaire et puis il y a eu un effet de signifiant, un effet réel là pour le coup. Donc avec cette question qui était là pour les enfants, Lacan dans RSI il dit : le nœud il est là d’emblée, c’est étonnant quand même de le poser comme ça. Moi je l’entends comme le fait qu’un enfant il est parlé avant de parler et donc de fait on peut l’imaginer, même de travers, et la vie dans notre espèce elle n’arrive pas si il n’y a pas ça, même tordu... Ça été une discussion, Marie Christine Laznick avait tout un travail sur la tresse, ce serait quelque chose de l’ordre du développement, Lacan le situe pas du tout sur ce registre là et donc je me posais la question de savoir s’il y avait pas là dans toutes ces illustrations que tu as données quelque chose d’un nœud qui est déjà là ; mais alors qu’est-ce qu’on pourrait dire ? pas articulé ? pas approprié ? ou sans autre ( petit autre cette fois ci ) qui s’en serait emparé et qui viendrait faire en sorte que ...comme s’il y avait un deuxième tour de nouage, je sais pas si c’est clair ce que je dis...quelque chose qui ne viendra pas se créer là, c’est-à-dire la nomination que tu évoques dans ces différents cas c’est une nomination avant qu’il y ait eu une autre nomination. Le n’attends, c’est bien parce que c’était là dans le discours de la mère que ça a été renommé une seconde fois comme s’il fallait faire deux tours du nœud borroméen presque...

Annie Delannoy : Il y a ce qu’elle peut entendre aussi...

Jean-Luc de Saint Just : Oui, ça vient faire répétition pour elle, c’est quelque chose qu’elle sait déjà mais c’est pas le vide qui à un moment donné viendrait s’habiter, c’est une question hein, mais quelque chose qui relève du nœud ; je le dis comme ça me vient, du coup ça m’évoque le travail de l’écriture, quelque chose qui relève du nœud et qui va pouvoir se mobiliser pour un enfant que si il y a quelqu’un qui vient le lire.

Jean Pierre Allais : Oui, quelqu’un qui le lit parce que je ne sais pas si vous l’avez entendu mais les interprétations que je fais à ce moment-là ce sont des interprétations de nouage : c’est « Nathan que je n’attendais pas » , c’est-à-dire que j’utilise souvent cette interprétation de nouage quand il y a un signifiant qui traîne qui n’est pas approchable par la découpe, je l’approche par le nouage, là c’est ce que je fais, alors ça m’échappe complètement, je n’ai aucune pensée mais c’est quelque chose que cliniquement...Je sais très bien que si j’avais dit par exemple : « Nathan ?! » il ne ce serait rien passé. Je trouve que ta question du nouage elle est très difficile, alors je partage cette critique par rapport aux travaux de Marie Christine Laznick, ce qui me gêne dans son travail c’est en effet la question d’un développement par stades ce qui ne va pas avec la position structurale de Lacan. Je suis d’accord pour dire que le nœud est là, la question est de savoir où ? La question du nouage, ça tient d’une parole, que l’enfant soit parlé c’est à dire soit noué avant qu’il arrive, évidemment tous nos enfants sont parlés avant d’arriver, la question est : est-ce que lui quand il arrive il est déjà noué à la relation à l’Autre ou pas ? C’est-à-dire est-ce que l’Autre, par exemple un enfant autiste c’est un enfant sans Autre, c'est-à-dire qu'il ne se loge pas dans l’Autre, il n'y arrive pas, pour des raisons biologiques, pour des raisons d’histoire il arrive pas à se loger dans l’Autre c’est ce que dit Melman, c’est la définition de l’autisme, c’est très joli.

Annie Delannoy : Moi je ne suis pas d’accord, parce que ça dépend de quelle place on situe les choses ; bien évidemment qu’un enfant il est attendu du côté du Symbolique, par le Symbolique qui l’annonce, le discours qui se tient autour de lui, il est annoncé par l’Imaginaire qu’on se fait de lui et par le Réel de ce qui advient mais lui, l’enfant il a à réaliser son nouage borroméen, il a à nouer ces trois registres et c’est ça qu’elle décrit Marie Christine Laznick, et elle ne dit pas que c’est du côté des stades mais elle dit dans le lien à l’Autre il a à crocheter Réel Imaginaire et Symbolique. C’est quand même une nuance importante parce que, c’est bien ça dont il s’agit dans vos exemples, je ne sais pas, je le dirais comme ça et un peu rapidement, ce Nathan on pourrait dire qu’il est pris dans la chrysalide du signifiant de sa mère, on pourrait le dire comme ça.

Jean Pierre Allais : On pourrait...

Annie Delannoy : Et donc votre intervention elle a effet d’interprétation parce qu’elle permet, moi je trouve que le « qui c’est ce Nathan », on pourrait l’écrire « qui sait » hein ?
Et pour revenir à la clinique, refaire circuler quelque chose de la chaîne signifiante là où il était incarcéré dans celle de la mère est peut-être ce qui va lui permettre de développer un imaginaire. Je trouve que c’est très juste de dire que c’est dans la rencontre à l’Autre là il me semble que c’est dans une rencontre, peut-être qu’on pourrait dire que c’est l’analyste en tant que, ce n’est pas très bien dit mais ça me vient comme ça, la présence réelle de l’analyste au sens où c’est lui qui vient finalement faire tiers là-dedans, c’est lui qui vient faire entendre quelque chose , c’est presque un mot d’esprit pour la mère, qu’elle entend, qu’il n’était pas attendu et elle peut dire : oui en effet... Voyez , ça permet à l’enfant de se décoincer de quelque chose.

Jean Pierre Allais : Je vais vous donner un scoop... c’est comment travaille Marie Christine Laznick avec les autistes, elle est venue à Rennes il y a deux ans et je l’ai un peu torturée avec mes questions pour savoir quand elle fait du mamanais avec l’enfant, sur quelles représentations psychiques elle travaille. Quand elle travaille avec ses vidéos eh bien elle s’hallucine, elle s’hallucine avec des fleurs, elle est obligée pour supporter ce vide provoqué par l’enfant autiste, elle s’hallucine sur des images qui sont pour elle des images de vie et sinon elle n’y arrive pas. Si on prend ça d’un point de vue structural, quel est le statut de cette hallucination ? Est-ce que c’est un statut unique, c’est ça qui fait le travail pour elle, pour moi c’est autre chose. Elle le retraduit après dans quelque chose d’un nouage possible quand elle fait ça ; elle arrive à nouer quelque chose avec l’enfant mais c’est sa façon à elle de travailler. Elle travaille comme ça et elle y arrive bien d’ailleurs. Mais après, sur comment les choses se nouent, on pourrait tout à fait prendre une des définitions que Lacan a donnée, c’est-à-dire comment dans le trou elle arrive à mettre une image pour que quelque chose advienne, elle met une image, elle n’en met pas 36.

Jean-Luc de Saint Just : C’est intéressant parce que du coup elle prend un support imaginaire là où justement l’autiste n’a pas accès à cette dimension.

Jean Pierre Allais : C’est très précieux...

Jean-Luc de Saint Just : Bien entendu, mais si je peux me permettre pour revenir sur le nœud borroméen, dans l’échange qu’il y a eu, cela m’a permis un peu de cheminer, je proposerais une hypothèse : si on part du principe que le corps de l’enfant va se construire des traces laissées par les signifiants de l’Autre maternel, c’est marqué et c’est marqué borroméennement parce que dans tout signifiant il y a du Symbolique, de l’ Imaginaire et du Réel, tout signifiant est porteur des trois dimensions mais ça ne prend un statut d’écriture, c’est-à-dire d’une inscription dont l’enfant peut faire quelque chose qu’à partir du moment où ça a été lu par quelqu’un. On avait eu un débat avec Didier Debrower, le collègue belge, sur l’écriture chinoise, une trace n’est écriture qu’après une lecture alors que d’habitude on aborde ça plutôt dans l’autre sens, il y aurait une écriture qu’on lit, ça devient une écriture qu’après coup d’une lecture et il me semble que le travail que tu évoques là, on pourrait l’entendre comme ça, il faut qu’il y ait à un moment donné quelqu’un qui vienne faire lecture, même tordue, de cette trace là qui ne sera écriture qu’à partir du moment où il y a quelqu’un qui l’a lue.

Jean Pierre Allais : On pourrait l’appeler la folie maternelle une lecture…

Jean-Luc de Saint Just : Oui, on pourrait l’amener comme ça mais parfois c’est d’autres qui font cette lecture.

Jean Pierre Allais : Les enfants n’apprennent pas à parler, ils apprennent à lire, ils lisent sur les lèvres. Quand un bébé écoute sa mère, il y a des études très précises là-dessus, il est focus sur les lèvres et c’est une lecture qui lui permet l’apprentissage.

Annie Delannoy : Alors vous imaginez tous ces bébés avec des masques qui les regardent...

Jean Pierre Allais : Oui, c’est pour ça qu’il y a eu beaucoup de gens qui ont interpellé sur ces effets-là. Et alors, quand on a un enfant aveugle, on fait comment ?

Annie Delannoy : ça se compense...

Jean Pierre Allais : On compense ou on le touche...

Isabelle Nicoud : Le bébé aveugle, il entre bien dans le langage quand même...

Jean Pierre Allais : Si on le touche, oui...

Isabelle Nicoud : Il peut boire les paroles de sa mère...

Jean Pierre Allais : Oui mais ça ne suffit pas, il faut toujours au moins deux réseaux sensoriels pour que ça fonctionne. Il faut le toucher en même temps, il faut une lecture de la voix sur le corps, c’est des trucs qu’on apprend quand on travaille avec les bébés aveugles, on apprend ça aux parents, notamment ceux qui voient, et les parents aveugles d’enfant aveugle, il n’y a aucun problème, ils savent le faire, c’est naturel chez eux alors que les parents voyants d’enfant aveugle ils sont complètement traumatisés, ils parlent figés et les enfants très vite deviennent figés aussi, ils prennent le trait corporel.

Isabelle Nicoud : On retrouve La Varienne du livre Les demeurées qui ne regarde jamais Luce…

Jean Pierre Allais : Eh oui... Je trouve que c’est une question sur laquelle il est très embarrassant de répondre, cette question du nœud et on ne peut répondre qu’à partir du moment où on a fait cette lecture, si lecture y existe.

Jean-Luc de Saint Just : Oui c’est un effet d’après-coup.

(inaudible)

Jean Pierre Allais : Ce que dit Lacan dans RSI, ça se présente, quand il y a les trois nœuds ça se présente coté réel et toc coté imaginaire, c’est en tirant dessus que le nœud existe, ça se présente toujours sur un point de vue et après ça devient borroméen mais au niveau de la perception on le voit comme un réel et les registres qui sont derrière on ne les voit pas. Il y a tout un passage où il dit comment ça se présente dans la clinique.
Et ça résout pas notre question de savoir que lorsque ça se présente, si les deux registres qui sont derrière sont noués ou pas, si derrière il y a un nœud. Lacan hésite, pendant un moment il dit il y a que le nœud de trèfle, après il dit il y a le nœud borroméen, il revient sur la folie (il dit pas la psychose) il y a encore le nœud de trèfle donc ça se présenterait comme un nouage minimum mais il ne tranche pas sur la question. Il ne me semble pas.

Jean-Luc de Saint Just : Ça me semble difficilement abordable si on ne prend pas en compte cet effet d’après-coup, c’est-à-dire le nœud était là avant dans l’après-coup de sa lecture.

Jean Pierre Allais : Avec l’enfant autiste on a la surprise tout le temps, le nombre d’enfants qu’on a présentés qui n’en étaient pas ... Le plus hallucinant que j’ai vu, c’est un enfant, la mère était paniquée, il avait quatre ans, il ne parlait pas, il restait assis toute la journée à se balancer et un jour elle arrive déchaînée dans le bureau et je n’étais pas au courant. Et la secrétaire me dit votre rendez-vous est arrivé...

Annie Delannoy : Encore un Nathan ?
( rires)

Jean Pierre Allais : Il était assis là, au milieu de la salle, sa mère était partie et je lui dis « qu’est-ce que tu fais là ? », il me dit « je fais le mort », c’était un gamin incroyable et la mère m’a dit « maintenant il parle, qu’est-ce que vous lui avez fait ? ».

Jean-Luc de Saint Just : Les ennuis commencent !

Jean Pierre Allais : Il avait les jambes complètement tordues parce qu’il était resté assis pendant 4 ans, il a fallu des opérations sur les os, il venait à ses séances à 7h du matin pour aller à l’école après. Je l’ai suivi de quatre à quatorze ans, il est devenu cuisinier et il était pas autiste du tout, il faisait le mort. C’est ça que j’ai appris de la rencontre avec ces enfants, c’est cette folie nécessaire, c’est-à-dire un enfant comme ça, de rester figé, ça m’échappe complètement. C’est mon expérience qui m’a aussi permis de pouvoir faire ça. Moi je n’ai pas les fleurs mais j’ai autre chose qui me le permets.
Sur la question du trou , une autre histoire : un enfant que je suivais qui m’appelait Michel Con, il voulait me tabasser, je me souviens on se courais après dans le CMPP le matin et puis ça s’est arrêté. Un jour il me dit :« tu fais le mort », il voulait que je me couche à un endroit et que je fasse le mort, il était dans la pièce à côté. À un moment je m’endors et j’entends ; « je t’ai pas dit de dormir ! Je t’ai dit d’être mort ! ». Ce garçon est venu me voir quand il avait vingt-huit ans, j’ouvre la porte et c’était le facteur, il m’a dit je viens vous remercier, j’avais eu peur qu’il me tape dessus mais il avait bien évolué ! (rires)
Ça c’est le trou dans l’écoute, on n’en parle pas assez. Lacan insiste et il avance avec cette question-là aussi, il avance avec le supposé savoir, c’est-à-dire de mon côté comment ça peut faire trou et comment de l’autre côté...

X : Vous pouvez déplier ça parce que je comprends pas (inaudible...) ça m’interroge un peu...

Jean Pierre Allais : Dans le Séminaire, Lacan dit c’est ça qui met en place le transfert.
C’est énigmatique, je l’ai pris comme un cheminement si vous voulez. Quand on lit une première fois les séminaires les uns après les autres dans la suite, ça va éclairer une seule chose c’est entendre comment les questions le travaillent, c’est ce qui m’intéressait, j’essayais pas de comprendre, je suivais les questions. Par exemple sur le transfert c’est des notes que j’ai prises sur une vingtaine d’années et quand je trouvais quelque chose qui était différent je me disais tient il a dit ça...
Dans le Séminaire L’angoisse c’est pareil, il reprend plusieurs questions de manière complètement différente, par exemple la question de l’angoisse, du signal, du signe, du trait et du point. On a là la structure borroméenne, les dessins de ces nœuds qui viendront, comment il les situe et dans quel champ... et ça, ça m’intéresse, c’est pas essayer de comprendre, c’est le chemin qu’il prend. Je me demande toujours ce qu’il a rencontré pour amener une définition, c’est là où je détricote c’est ça ?

Jean-Luc de Saint Just : Oui, Lacan dans son enseignement il a passé son temps à détricoter. Quand vous lisez les séminaires de Lacan, en soi les phrases qu’il prononce c’est pas compliqué sauf que quand vous croyez avoir compris quelque chose, la phrase d’après il met tout par terre. C’est une forme de détricotage et il fait entendre le réel justement, il passe son temps à essayer de faire en sorte que ça ne tienne pas.

Jean Pierre Allais : Depuis quelques années je fais une lecture des séminaires en intégrant une modalité de travail différente. Pendant longtemps on faisait les séminaires avec un déchiffrage des textes et j’en avais assez des gens qui déchiffraient parce que cela finissait toujours en compréhension. Maintenant on lit deux séances, ce qui fait qu’on peut pas faire une lecture en déchiffrage, c’est impossible, donc celui qui anime la lecture il ne peut pas déchiffrer il n'a pas le temps. Et donc j’ai demandé que les gens repèrent une question et la suivent au moins pendant une leçon, qu’ils n’essaient pas de comprendre ce que Lacan a dit mais qu’ils suivent une question et qu’ils essaient de nous en dire quelque chose avec leur clinique, à quoi ça fait écho. C’est difficile, il y a beaucoup de résistance, ça revient tout le temps à essayer de comprendre, c’est très compliqué.

Jean-Luc de Saint Just : Ça m’évoque une question qu’on avait travaillée et il me semble que ça avait été un désaccord d’ailleurs à un moment donné entre nous, c’est la distinction qu’il y a à faire entre le trou dans le savoir et le non savoir, parce que ce que Lacan met en place c’est un trou dans le savoir et c’est pas un non savoir. Il s’agit pas que l’analyste ne sache rien, et que bien entendu il y a des choses à comprendre dans les séminaires mais à chaque fois il fait entendre qu’il y a un trou, y a un truc qui colle pas. Quand il va donner la définition du Autre : « c’est le trésor des signifiants », tout le monde est content il a donné une bonne définition, on sait de quoi il parle et puis un séminaire plus loin il dit : « l’Autre c’est le corps ». Patatras on comprends plus rien et il fait ça en permanence. Et je trouve que c’est vraiment très précieux parce qu’il y a pas moyen, on est dans l’imaginarisation du Réel, y a pas moyen de toucher quelque chose de cette dimension du Réel, c’est bien dans l’écart qu’il y a entre les signifiants qu’on peut le faire.

Jean Pierre Allais : C’est toute la difficulté de l’objet a chez Lacan, c’est-à-dire la manière dont on travaille la question de l’objet et du trou. Quand on avait eu cette discussion sur le non savoir, il y avait un groupe de personnes en analyse de la pratique, je trouve que pour en arriver au trou c’est une étape. Déjà si j’arrivais à ne pas savoir, eh bien le non savoir ce serait déjà pas mal, parce qu’ils ont repéré qu’il y a une nécessité de pas savoir pour que les gens puissent se parler. Ils en sont pas au trou, c’est ça qu’ils discutaient. Toi tu es un théoricien plus que moi, ce qui m’intéresse c’est le processus. C’est comment on arrive au trou ? Donc quand quelqu’un dit ça, je me dis qu’il en est pas loin. Faut pas rêver, c’est comme quand je fais le mort, si je rêve... C’est compliqué quand on écoute les patients, c’est très compliqué d’être dans cette posture-là, on est rattrapé sans arrêt par « qu’est-ce qu’il me dit ? », par comprendre, par un effet de corps... Quand j’ai quitté la Cause Freudienne, c’est à cause de l’objet parce que l’objet a il est fétiche, ils ont l’idée qu’un psychanalyste silencieux tout se passe bien, il dit rien, c’est le trou. Eh Bien non ! C’est un processus, c’est-à-dire que le trou il se met pas en place comme ça. Dans notre propre écoute on passe notre temps à essayer de faire trou parce que ce désir de comprendre, ce désir de sentir etc. on va s’en dégager progressivement. Donc il y a une différence entre les forums de l’école de la Cause et l’Association Lacanienne grâce à Berges aussi c’est sûr. Sur cette question de l’objet, il y a une énorme différence. Si vous relisez les séminaires, vous les réinterprétez c’est que le trou il est ouvert.

Jean-Luc de Saint Just : C’est intéressant ce que tu viens de dire parce que tu me donnes un argument, que la position du non savoir du tout silencieux ça fait pas trou dans le savoir.

Jean Pierre Allais : Non et ça fait pas objet a...

Isabelle Nicoud : Dans le séminaire L’angoisse, il y a une leçon où Lacan parle du maniement du manque ...

Jean Pierre Allais : Ah bon ? je n’ai pas souvenir de ça ...je suis passé à côté de ça...

Jean-Luc de Saint Just : Ya un petit trou !
( rires)

Jean Pierre Allais : Si tu retrouves, parce que le maniement du transfert on l’a entendu mais le maniement du manque...Parce que à ce moment là Lacan travaille sur la question du transfert, il est confronté à l’angoisse, à l’acting out et dans cette question du transfert il en a donné une définition avec cette question du trou qui prend de plus en plus d’importance pour lui, il parle de tous ces objets qui doivent se vider, c’est un travail assez étonnant.

Isabelle Nicoud : Je chercherai...

X : C’est peut-être dans le schéma optique quand il parle du stade du miroir

Jean-Luc de Saint Just : Enfin la lecture de Lacan c’est le maniement du manque en tous cas !

X : Quand on bascule miroir plan, c’est une nécessité de le faire bouger (inaudible...) parce que ça crée un manque...

Jean-Luc de Saint Just : Ce que je vais vous proposer c’est qu’on reste sur un manque et qu’on puisse clore. Merci beaucoup Jean Pierre pour ce que tu nous a apporté. Cette conférence sera comme d’habitude retranscrite et mise sur le site avec la discussion d’ailleurs, disponible sur le site de l'ALI-Lyon