Vive la certification !

Héritières de la première guerre mondiale, les procédures de standardisation n’ont cessé de prendre de l’ampleur dans l’économie comme dans l’administration. Se substituant progressivement à la loi, elles se sont imposées sous la forme de réglementations visant à régir l’ensemble de notre vie sociale et privée, comme autant d’injonctions qui, au nom du bien, de la santé, comme de la sécurité de tous, visent à nous assurer la garantie d’un vivre ensemble harmonieux et satisfaisant... pour peu que tous y obéissent !
Outre que cette utopie, comme toutes les utopies, n’est qu’un leurre, ce recours à la procédure ne relève pas du tout du même semblant que ceux connus précédemment dans l’histoire de l’humanité. Opéré grâce au pas logique fait par Kant, elle consiste à déconnecter toute appréhension, ou mesure, du réel de l’objet. Pure procédure formelle, elle permet d’alléger le gestionnaire ou l’administrateur de toute considération de l’objet (salariés, usagers, pratiques, etc.), pour n’avoir à prendre en compte que la procédure elle-même. Cela génère de fait un clivage radical et irréconciliable entre ceux qui administrent et ceux qui sont quotidiennement au contact avec ce réel. Effet réel d’une logique qui opère bien au-delà de l’intentionnalité des uns et des autres.
Paroxysme de cette pure logique formelle, la certification se veut une garantie de qualité de service dans les institutions sanitaires, sociales, ou de formation, mais justement parce qu’elle opère par clivage d’avec toute prise en compte du réel, c’est ce dont elle est coupée. Ce qui reste dans le noir, puisque la certification est une procédure qui ne vise qu’à vérifier que la procédure a bien été appliquée. Sa transparence est un obscurantisme, puisqu’en fait elle ne fait que se vérifier elle-même.
D’où, malgré l’obligation dans lesquelles ces institutions sont soumises à devoir être certifiés, le plus souvent d’ailleurs par des organismes privés, eux-mêmes certifiés, les multiplications des scandales dans les hôpitaux, les maisons de retraite ou les organismes de formation, pour ne citer que ceux-là. La multiplication de ces procédures administratives, au mieux prennent beaucoup de temps aux professionnels, mais ne servent à rien, au pire instaurent une référence à une réalité virtuelle qui, en se substituant au réel, impose aux professionnels une standardisation des pratiques propre aux systèmes totalitaires à qui nous devons le modèle que nous nous efforçons d’appliquer.
Il ne fait aucun doute que nous évoluons dans une démocratie libérale qui n’a rien à voir avec une dictature comme dans d’autres pays proches, mais c’est justement parce que cette démocratie libérale a voulu s’affranchir de toute figure d’autorité, qu’elle s’est progressivement précipité dans une logique sans autre référence que de pure forme. Véritables usines à gaz, les certifications n’auraient pas de plus de conséquence que cela si elles n’opéraient pas une vraie torsion de notre rapport au monde. C’est-à-dire de notre rapport au langage. Le coup de force a été, depuis la moitié du XXᵉ siècle, de pousser encore plus avant la déconnexion du formalisme non seulement d’avec l’objet, mais également d’avec l’idée, de se présenter comme sans idéologie, comme pur formalisme logique, devenu alors incontestable puisque sans « sens ». C’est ce que le langage permet, non seulement que le mot soit délesté de la chose, mais encore qu’il soit déconnecté de sa référence signifiante (dénouage complet de la structure du langage). Ainsi les mots de ce vocabulaire de la certification opèrent comme relevant d’une opération de pure forme : la qualité ne veut pas dire la qualité, mais la conformité à la procédure, l’équivalent temps plein ne désigne pas une personne, mais un temps de travail délesté de la personne qui l’exerce, etc. Cela permet de remplacer n’importe quelle procédure par n’importe quelle autre, ou n’importe quelle personne par n’importe quelle autre, sans avoir à s’encombrer du réel des pratiques ou des personnes. Il en est de même lorsqu’il s’agit de remplacer le psychisme humain par le cerveau. Cela a effet immédiat de réduire l’homme à un organe, ce qui n’est pas sans conséquences pratiques, c’est-à-dire éthiques.
Il est à remarquer comme un indicateur, justement dans le fait qu’il reste aveugle, sauf peut-être pour quelque uns, le rapport étroit qu’il y a entre la généralisation des certifications dans les établissements médicaux et/ou sociaux et la fuite massive des professionnels de la santé comme du social.
C'est susceptible de nous indiquer qu’en modifiant ainsi radicalement notre rapport au monde, parce que notre rapport au langage, la certification n’est pas un outil dont on se sert, on lui est asservie. Volontairement même dans bien des cas, puisque lorsque ce n’est pas pour ne pas perdre un agrément vital, c’est le plus souvent pour des raisons mercantiles que les institutions elles-mêmes s’y engagent, avoir une part de marché. Nous sommes libres d’obéir, mais comme fascinés par la logique perverse qui nous est proposée, nous ne résistons pas à cette promesse de jouissance garantie, quitte à nous y perdre. Est-ce étonnant après tout ? N’est-ce pas finalement le rêve de tout névrosé, d’être pervers ? Bien entendu, les pervers y retrouvent d’autant plus leurs billes. Ils y évoluent avec aisance et ont même le vent en poupe comme on dit, mais cette logique sociale embarque tout le monde, quelle que soit sa structure.
Il n’est cependant pas sûr que cette perversion généralisée ait comme effet celui escompté, y compris par ceux qui croient pouvoir la maitriser. Comme l’a très mis en évidence Marcel Czermak, dans le livre d’entretien d’Hélène Heuillet, c’est une perversion qui rend l’autre d’autant plus fou qu’elle ne
relève aucunement de la structure subjective de l’un ou de l’autre, qu’elle est donc aveugle pour la plupart d’entre nous. Cela étant dit, comme ce qu’elle produit immanquablement, comme face au pervers, c’est la fuite, c’est sans doute un bon indicateur clinique pour nos institutions !

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