Nazir HAMAD : La langue Arabe et l'Inconcient / 30/04/2016
SEANCE DU 30 AVRIL 2016
Discours d’accueil d’Olivier Marion, Directeur du CNAM en Rhône Alpes
Bienvenu au troisième séminaire sur la langue arabe. Cela me fait plaisir parce que la communauté s’élargie autour de cette question. Il y a là Evelyne qui est une enseignante du CNAM. Il y a une multiplicité de participants venant d’horizons différents qui viennent pour plein de raison différentes écouter cette question d’une langue à l’autre, d’une langue arabe à l’autre.
En général j’ai toujours un petit teasing. Je vous vois à peu près tous les deux mois dans cette enceinte. A chaque fois j’annonce un certain nombre de gestes significatifs que le conservatoire va opérer autour de la langue arabe, autour de ce séminaire qui sera naturellement reproduit. Peut-être changera t-il de formule, de densité, de récurrence ? En tout ca il ne s’agit pas d’abandonner un si bel objet. Dans l’année université 2016 2017 il y aura surement de nouvelles choses autour de la langue arabe vu par le regard de nos conférenciers, mais surtout, je l’avais déjà évoqué, que nous allions nous engager de façon très forte autour de la formation à la langue arabe, de manière plus classique. Pour plein de raisons que j’avais évoqué. Je ne vais pas le refaire parce que le texte est déjà en ligne sur le site.
Mais la raison majeure c’est que la langue arabe est désaffectée aujourd’hui, a été occultée des espaces publiques de formation, dans l’enseignement supérieur comme dans la formation professionnelle. Le conservatoire depuis un an et demi s’engage de façon très forte sur cette question. Je suis ravi de vous annoncer, cela sera sur les écrans radars début juin, mais cela part de Lyon quand même, que nous allons signer une convention cadre nationale sur la langue arabe avec l’institut du monde arabe, avec Jack Lang. La signature aura lien, pas à Lyon je le regrette, mais à Paris parce que c’est M. Faron qui la signera le 3 juin prochain.
Nous aurons dès la rentrée prochaine sur le centre de Lyon de manière prototypale une offre de formation à la langue arabe niveau débutant et niveau intermédiaire. Une langue arabe professionnelle qui n’est pas la langue arabe vernaculaire, on en a beaucoup parlé. C’est la langue arabe littérale, la langue des médias. Avec une méthodologie d’apprentissage éprouvée par l’institut du monde Arabe à Paris. Avec des DVD, des méthodes, des formateurs lyonnais qui seront formés à la méthode de l’IMA. On colabélisera les formations IMA / CNAM d’abord à Lyon. C’est nous qui sommes allé chercher l’IMA. C’est nous qui auront la gageure de faire les premiers travaux autour de la langue arabe et puis ensuite progressivement une extension totalement nationale de cette offre de formation donc sur l’ensemble du territoire de la république française. Je voulais vous le dire. Ces cours de langue arabe seront d’abord labélisés en terme de qualité. L’institut du monde arabe est l’institution choisie par le ministère de l’éducation nationale pour travailler aux questions de certification en langue arabe. C’est-à-dire test de positionnement et test de niveau. Ce qui n’existe pas malheureusement, et c’est bien de cela que je vous parlais en terme d’occultation de la langue arabe, aujourd’hui en France. Il n’y a pas l’équivalent de ce qui existe on va dire pour les langues indoeuropéennes. On rattrape un peu le retard et nous serons dans l’œil du cyclone dès les mois de septembre octobre. Vous verrez certainement courant juin beaucoup de publicités autour de cela, puisque la signature à Paris fera état d’une convention cadre au niveau national, mais surtout d’un démarrage des formations à Lyon.
A partir de ce moment là, la chargée de mission pourra préciser quels sont les conditions d’accès, les conditions économiques d’accès à la formation, mais enfin on est le CNAM donc on fera tout notre possible pour que l’accès à ces formations soit le moins douloureux possible en termes monétaires. A minima que les actifs puissent le faire financer par tous les outils qui existent de portage par les plans de formation. J’espère un jour, c’est mon prochain combat militant, par le Compte Personnel de Formation (CPF). Certains l’utilisaient pour faire de l’anglais, du macramé ou plus sérieusement de la gestion de la paye, ou de l’information. On faire reconnaître aussi en Rhône Alpes Auvergne que la langue arabe faite au CNAM puisse être un outil de formation professionnelle tel que nous en l’entend. Ce sont des bonnes nouvelles.
Vous aurez début juin une information plus précise sur le site, dans les affichages, par les emailing, les twits, les réseaux sociaux et à la rentrée nous frapperons assez fort en terme de communication sur ces choses là. Je voulais juste clore sur ces choses là. Il me semblait que c’était important puisque là on peut le dire.
Je vais laisser la parole à Jean-Luc de Saint-Just de l’association lacanienne internationale de Lyon qui va introduire ce troisième séminaire dont on se ravi et dont les échos sont toujours extrêmement positifs pour ceux qui nous rejoignent, pas forcément dans la linéarité, mais qui viennent à un séminaire ou à un autre. Les retours sont toujours très positifs et on s’en ravi.
Bonne matinée au conservatoire avec Nazir Hamad, Jean-Luc de Saint-Just, et Noureddine Hamama.
Jean-Luc de Saint-Just
Je vais juste rappeler quelques petites choses et je passerais ensuite la parole à Nazir Hamad qui nous parle d’une langue à l’autre.
Vous avez sur le site du CNAM et sur le site de l’ALI Lyon la transcription intégrale des séminaires précédents. C’est-à-dire des interventions, mais aussi des discussions qui leur font suite. J’attire votre attention sur le fait que bien entendu nos conférenciers sont extrêmement brillants et savants, nous apprennent beaucoup de choses, mais les débats qui suivent sont de vrais débats et sont tout aussi intéressants, que ce soient les questions ou les remarques, comme les objections venant des participants à ce qui est du coup vraiment un séminaire. Il y a là un débat qui est tout à fait passionnant dans les discussions qui suivent ces conférences, et des questions qui en émergent. D’ailleurs, les conférences qui sont proposées, comme celle d’aujourd’hui, sont aussi le fruit de ces questions, de ces discussions, qui sont reprises et développées.
A ce propos, je tenais à vous signaler un ouvrage de Charles Melman publié chez Eres qui s’intitule « Lacan aux Antilles : entretiens psychanalytiques à Fort de France ». Si vous êtes intéressés par les langues, Charles Melman fait un certains nombre de remarques à propos de la question du Créole et des effets de la langue parlée, de la langue écrite, du rapport entre une langue dominante et une langue dominée (pour le dire comme cela un peu rapidement), qui sont tout à fait éclairantes quand aux questions qui ont été soulevées dans la discussion animée de notre dernier séminaire. En particulier, à partir de ce que nous avait amené Noureddine Hamama des distinctions et des rapports entre l’arabe classique, l’arabe vernaculaire, mais aussi de l’arabe moderne au Maghreb.
Je tenais à vous indiquer cet ouvrage parce qu’au delà des liens que nous avions déjà fait dans la discussion avec d’autres contextes et histoires de langues, les questions que nous posions pouvaient trouver dans ces entretiens à propos du Créoles d’autres éclairages.
Je voulais vous rappeler que le prochain séminaire aura lieu le samedi 25 juin, mais aussi que le jeudi 30 juin l’Association Lacanienne Internationale de Lyon proposera une soirée de présentation des enseignements 2016 2017. Dont les enseignements qui se font en partenariat avec le CNAM, donc ce séminaire, mais aussi les Etudes Pratiques en Psychopathologie qui est un cycle de formation sur trois ans qui s’adresse à tous les étudiants ou praticiens qui sont confrontés à ces questions.
(Présentation des intervenants et des modalités de participation pour les non inscrits aux enseignements, cf. les transcriptions précédentes)
Nazir Hamad : Une Langue arabe ou des langues arabes
Je remercie Noureddine Hamama de son intervention la dernière fois, une intervention vraiment intéressante et qui a suscité un débat intéressant lui-aussi. Le public et Noureddine Hamama ont soulevé des points absolument importants à prendre en compte dans notre débat aujourd’hui. En tout cas, personnellement je voudrais reprendre ces questions points par points dans l’espoir de leur donner toute l’importance qu’ils méritent. Nous l’avons vu, la langue arabe est diverse et dans mon intervention aujourd’hui je vais rester sur le plan conscient. Je reprendrais ces choses sur le plan inconscient dans une prochaine intervention (sans doute à la rentrée).
Je commencerais par ce point essentiel et il s’agit peut-être d’un des problèmes de nos jours avec l’Islam. Les Musulmans se targuent d’être les seuls à avoir un texte qui est resté à l’abri de toute réécriture humaine. Ce texte a conservé son authenticité et sa crédibilité de message divin. Contrairement aux autres messages écrits ou réécrits par les hommes, donc douteux, les Musulmans continuent à croire qu’ils sont les seuls détenteurs d’un texte sacré et dans la langue originelle, la langue arabe.
Nous avons vu chez Jacques Preux et Jacques Berque comment le Coran a scellé cette langue et comment il lui a donné sa maturité actuelle. Berque dit : « Ce fût la rédaction du Coran qui l’acheva et y mit son sceau. L’Islam, en religion, comme en politique ou en linguistique, tendit à l’unification, et la centralisation est l’expression même de l’Islam». (J. Preux, La langue arabe, in « Arabe », Grande Encyclopédie, T 3, PP485-502)
Pour J. Berque la langue du Coran et le texte coranique restent les deux mamelles qui avaient nourri les Arabes à l’époque de leur grandeur et ne cessent de le faire malgré les difficultés actuelles. (J. Berque, Les Arabes, La bibliothèque arabe, Sindbad, Paris, 1973. P. 40
Mais aussi important que le Coran et sa langue puissent être, ils n’ont pas effacé le langage dialectal pour autant. Or, la question qui se pose pour beaucoup est celle du statut de cette langue dialectale. Preux parle de deux formes : l’arabe littéral et l’arabe « vulgaire ». « Les Arabes eux-mêmes, note cet auteur, n’envisagent pas l’arabe littéral et l’arabe « vulgaire » comme deux langues, mais bien comme deux formes, l’une grammaticale et l’autre non grammaticale. »
Ernest Renan développe une hypothèse dans laquelle l’arabe « vulgaire » apparaît comme un reste d’une langue ancienne qui a survécu à côté de la langue littérale. « Certes, l’arabe vulgaire est bien plus rapproché de l’hébreu que ne l’est l’arabe littéral, mais ce n’est pas la langue primitive, au contraire. L’arabe littéral n’est pas une invention de grammairiens, ni un idiome factice, pas plus que l’arabe vulgaire d’ailleurs n’est une corruption de l’idiome littéral. Il a dû exister une langue ancienne plus riche et plus synthétique que l’idiome vulgaire actuel, moins réglé que l’idiome savant. A un moment donné, il s’est produit une divergence. Chaque homme dans le fond commun s’est taillé sa langue selon les conditions dans lesquelles il se trouvait. (Cité par Preux, P ; 486) Donc chacun a puisé son lot dans cette langue originelle.
Tandis que Renan défend l’idée de deux formes, Shouby, un linguiste américain d’origine arabe, soutient la thèse de deux langues. Il compare la situation de l’Arabe actuel à celle de l’Européen médiéval. En Europe médiévale, écrit-il, les gens lettrés écrivaient et lisaient le latin, mais parlaient les dialectes qui évoluaient en ce qu’on appelle aujourd’hui les langues néo-latines. De même, l’Arabe doit s’écrire en arabe littéral, mais il n’est pas censé utiliser cette forme dans la pratique quotidienne. L’Arabe parle la langue vulgaire qui varie d’un pays à l’autre et même d’une ville à l’autre. Le fossé entre ces deux langues est tellement grand qu’un Egyptien lettré qui parle le dialecte égyptien éprouve une certaine difficulté à comprendre correctement le dialecte iraquien, ce qui est aussi le cas d’un Syrien face à un Marocain ou à un Tunisien. » (Z. Shouby, The influence of the Arabic language on the psychology of the Arabs. In: Readings in the Arab Middle Eastern societies and cultures, Mouton, Paris, La Haye, 1970 PP. 688-703)
Shouby, psychologue et linguiste d’origine arabe, attribue aux deux langues la raison pour laquelle les Arabes semblent être à la traîne. Pourquoi ? Pour lui, les langues dialectales sont restreintes et ne permettent qu’une vague compréhension des abstractions. Il les condamne carrément. Tandis que la langue écrite est rigide dans ses structures grammaticales et floue dans les concepts. L’auteur conclut que l’Arabe souffre de ce fait d’une absence de clarté dans le raisonnement, d’une prévalence du symbole sur le sens, de réactions émotionnelles stéréotypées et d’une exagération dans les propos qui sont difficilement compréhensibles pour un occidental. » Franchement, sans espoir !
Mustapha Safouan, en a parlé la dernière fois, dans son livre « Pourquoi le monde arabe n’est pas démocratique », ainsi que dans la préface de sa traduction d’Othello en dialecte égyptien, attire notre attention sur une réalité terrible, celle de l’illettrisme qui règne dans le monde arabe. On évalue le nombre d’illettrés à soixante dix millions de personnes. Il part de l’hypothèse que l’arabe classique est une langue étrangère pour cette population et le fait de s’adresser à eux en langue classique revient à les exclure de la vie politique et culturelle.
Safouan a écrit de nombreux articles en dialecte égyptien. Il fait un effort louable pour se faire comprendre d’une population en tout cas, non lectrice du fait de son illettrisme. Effort vain ! Pour se faire comprendre, il lui aurait fallu déployer un double effort : l’effort d’écrire en dialectale et un autre pour leur lire ces mêmes articles. Safouan a oublié que le théâtre en Egypte a toujours été un théâtre vivant et on ne compte pas le nombre de pièces écrites en langue dialectale qui s’adressent à l’égyptien lambda dans sa langue quotidienne. C’est d’ailleurs le cas de la radio, et de la télévision et du cinéma. De ce fait, le dialecte égyptien a traversé les frontières égyptiennes pour familiariser les arabophones dans leur diversité, à ce nouveau langage.
Effort louable ou pas, il est un fait incontournable, les Arabes ne lisent pas. Les Arabes passent pour être les cancres du monde civilisé. Rien qu’à les juger sur le nombre de livres vendus, sur le nombre de livres traduits en arabe, sur le nombre de communications scientifiques ou les prix qui récompensent les chercheurs, (quasiment inexistantes selon le PNUD, Programme de Nations Unies pour le développement, rapport publié en 2003), on sent forcément une sympathie pour Safouan parce qu’il aura fort à faire pour s’adresser aux illettrés. Il oubli au moins une chose. L’illettré n’est pas celui qui ne sait pas lire, il est celui qui vit dans le confort de l’ignorance. Voilà ce qu’est pour moi l’illettrisme.
Safouan dans un élan de solidarité avec les illettrés d’Egypte, va jusqu’à dire: « Il faut leur reconnaître la dignité d’une langue. » Voilà comment un égyptien, Safouan en l’occurrence, est pris en flagrant délit de manque d’humour. Le citoyen égyptien sait faire de l’humour. Je dirais même que son salut et sa survie dépendent de cet humour. Aussi « illettré » qu’il puisse paraître, il sait se montrer profond et fin dans son approche de sa vie en tant qu’individu, en tant que peuple et en tant qu’Etat. Shouby souffre sûrement de ce « manque de dignité de la langue. »
En fait, pourquoi faut-il s’arrêter sur les deux formes ou deux langues de pays arabophones ? Un autre bilinguisme est omniprésent dans les divers pays Arabes. Que cela soit en rapport avec le colonialisme comme les pays du Maghreb, ou en raison de l’identification à l’Occident dans un pays comme le Liban ou la Jordanie, « la langue arabe souffre dans sa dignité ». Le français et l’anglais partagent le quotidien, et parfois ces deux langues éclipsent la langue arabe dans le vécu au quotidien, ceci dans beaucoup de familles au Liban et ailleurs.
Un auteur comme S. Abou, écrivain francophone Libanais très connu, affirme que ce bilinguisme est un trait fondamental des Libanais et dont la fonction est le maintien « de la double allégeance culturelle arabo-occidentale unanimement et officiellement reconnue par les Libanais comme le fondement même de l’Etat en tant qu’entité politique indépendante… Quelle que soit l’importance quantitative du monolinguisme arabe par rapport au bilinguisme arabo-français, c’est lui qui écrit cela, ce dernier se montre comme la structure fondamentale dans laquelle tous les individus monolingues ou bilingues sont pris. » (S. Abou, Le bilinguisme arabo-français au Liban, PUF, Paris, 1962, P. 18)
Francophone convaincu, Abou, en écrivant ce livre dans les années soixante, n’a pas imaginé une seule seconde que le bilinguisme arabo-français, qu’il présente comme le fondement de l’Etat, n’allait pas tenir le coup devant l’assaut de la langue anglaise version yankee. Les Libanais se sont convertis à l’anglicisme sans états d’âme. Faut-il repenser le fondement de l’Etat libanais maintenant ? C’est une question.
Le malentendu qui se cache derrière la position d’Abou est loin d’être négligeable. Le bilinguisme comme il le présente est un alibi communautaire et identitaire à la fois. Sur une même terre, des communautés arabophones en principe, peuvent, pour maintenir une différence entre elles, se référer comme le fait Abou à une langue étrangère, le français en l’occurrence. Seulement, l’auteur ignorait au moment où il a rédigé son fameux ouvrage c’est que les repères identitaires ne sont jamais stables. Il confondait dans sa référence à la langue française la motivation instrumentale avec la motivation intégrative. Des personnes qui sont motivées instrumentalement apprennent une deuxième langue pour sa valeur pratique, par exemple pour l’accès à un meilleur emploi, tandis qu’une motivation intégrative reflète un intérêt personnel pour un peuple, une communauté ou un groupe. C’est une façon de rencontrer la culture qu’il idéalise et pour se comporter comme un membre de ce groupe.
On rencontre ce malentendu de plus en plus en Afrique du Nord de nos jours. En Algérie, des voix nombreuses se lèvent pour rejeter l’enseignement en arabe qualifié de pauvre et inadapté, et pour appeler à la réintroduction de l’enseignement en français. Une lutte sourde oppose les écrivains algériens d’expression française à leurs collègues d’expression arabe. Yasmina Khadra, dans son livre (Morituri) nous fait découvrir qu’une lutte féroce oppose ces auteurs. Les uns et les autres ne semblent pas s’inscrire de la même manière dans la conception qu’ils ont de la culture et de l’identité de leur pays. Au Maroc, on assiste à une évolution semblable. Les Marocains qui ont les moyens de leurs ambitions, optent pour l’école et l’université françaises, les autres se dirigent vers l’enseignement pauvre en arabe.
Voilà, un exemple type de comment une langue, sacrée ou pas, obéit aux lois du marché. Cependant, le fait de changer de langage de manière volontaire ou par la contrainte, ne nous empêche pas de postuler que les éléments identitaires immuables résident dans notre première rencontre avec « lalangue ». Nous verrons cela plus tard dans ma prochaine intervention.
La dialectologie
Mais avant d’aller plus loin, arrêtons-nous un moment sur la notion de la dialectologie. Pour cela, je m’appuie sur le livre absolument important de David Crystal qui s’intitule « How langage works » (comment marche une langue). Ce livre est paru chez Pinguin en 2005.
La dialectologie est une science à part entière. Il n’y a pas eu d’études sérieuses sur les dialectes arabes à l’instar des études systématiques qui ont été menées en Allemagne et en France dès la fin du dix-neuvième siècle. Georg Wenker (1852-1911) avait débuté ses recherches dans ce domaine en envoyant un questionnaire à toutes les écoles dans toutes les régions allemandes. Il a mis dix ans pour pouvoir prendre contact avec 50.000 professeurs leur demandant de lui renvoyer en dialecte local les quarante phrases qu’il avait préalablement écrites. Un matériel immense lui avait été renvoyé et lui avait permis de publier le premier atlas linguistique en 1881. Les Français ont privilégié le contact direct avec les populations. Pendant quatre ans, Edmond Edmont, un grand expert en phonétique, avait voyagé à bicyclette à travers la France. Son périple lui permit de rencontrer sept cent personnes et de remplir un questionnaire composé de 2000 items. « L’Atlas linguistique de la France » avait été publié entre 1902 et 1910 en dix volumes.
Quel avait été l’objet de ces travaux ? Identifier des groupes de dialectes et de tracer des frontières que les Anglais appellent « Isoglosses ». Les isoglosses étaient censées fournir une carte géographique claire de la répartition dialectale dans le pays. Mais les spécialistes ont vite abandonné cette idée car ils ont découvert que les isoglosses avaient tendance à se mélanger et à perdre leur valeur indicative. Si les variations dans les dialectes peuvent s’expliquer partiellement en référence à la région, il se trouve que les spécialistes de nos jours, ont abandonné la référence à la région et prennent beaucoup plus en compte le statut professionnel, l’âge, le sexe et le niveau scolaire pour leurs études. Pour cette raison, le champ de cette étude a abandonné le paysage rural pour s’intéresser aux villes. Dans beaucoup de pays, 80% de la population vit dans les grandes et les petites villes. Les villes présentent cette particularité d’accueillir des gens venant de tous les horizons géographiques et vont mettre en contact des Français d’origine rurale avec d’autres Français d’origine urbaine ainsi que des Français d’origine étrangère ou encore des étrangers résidant en France. Ce contact produit, selon les spécialistes, des changements dans les dialectes notamment grâce à un effort d’imitation de la classe aisée ou encore, un effort d’apprentissage plus ou moins correct de la langue française. Cet intérêt pour la ville a donné ce qu’on appelle la dialectologie urbaine. A partir des années 1970, une notion nouvelle est née, on l’appelle le variable linguistique. Un exemple : dans la ville de New York, les gens prononcent parfois la lettre « r » dans un mot comme « Car » voiture, et parfois, ils ne le font pas. Cette unité s’appelle le variable ®. Il est donc possible de calculer le nombre de fois où une personne ou un groupe de personnes prononce ou pas la lettre ® pour voir s’il y a une corrélation entre leurs préférences et leurs patrimoines socioculturels. Les spécialistes croient qu’il y a un rapport étroit entre le facteur linguistique et social derrière les variations qui se produisent dans le parler de chacun. La dialectologie moderne insiste sur le fait qu’une seule personne ne parle pas de même manière tout le temps. (Voir David Crystal, PP295/301)
Les dialectes ne sont pas des sous-langues
Un programme de la radio anglaise a connu son heure de gloire. Des dialectologues tentaient à partir de quelques phrases prononcées par l’un dans leur public, de dire de quelle région il venait. Cela avait tendance à surprendre et à amuser l’audience. D. Chrystal, affirme que ce n’est plus possible de nos jours. Le nombre de gens qui restent leur vie durant dans un seul endroit, est quelque chose de plus en plus rare. Ce qui est évidemment de nature à rendre complexe ce travail sur les dialectes.
Un Bernard Shaw aurait de plus en plus de mal à faire dire à son Professeur Higgins qu’il est capable de situer un homme habitant à six miles, ou à deux miles de Londres, voire même à deux rues de chez lui. (Pygmalion, acte I)
Il est un fait incontournable : parler une langue avec un accent, ou parler en dialecte, s’entend toujours en rapport avec une langue standard. Un accent ou un dialecte n’est pas exempt de jugements parfois péjoratifs. Dire paysan, banlieusard ou encore patois reflète un état d’esprit qui n’est pas toujours délicat à l’égard de ceux qui les parlent. D’aucuns parlent de langues primitives parlées par des tribus ou par des communautés renfermées sur elles-mêmes, pour en faire quelque chose qui n’a rien à voir avec nos langues écrites et parlées et reconnues internationalement. Notre surprise était grande de découvrir que des auteurs, spécialistes de la langue arabe, parlent de deux langues ou de deux formes de langue, la langue littéraire et la langue vulgaire. Vulgaire peut à la fois dire populaire, mais peut tout aussi bien dire illettrée ou carrément primitive.
D. Chrystal rejette fermement l’idée qu’un dialecte puisse être assimilé à une langue primitive. Il nous dit : « Toutes les langues possèdent des phonologies complexes, des grammaires et des lexiques. Et toutes les langues contiennent des dialectes qui reflètent le patrimoine social et régional de celui qui les parle. » (Ibid. P. 290)
Cette position nous amène à nous poser cette question inévitable : si on dit que quelqu’un parle avec un accent et quelqu’un d’autre parle un bon français, est-ce que cela a vraiment un sens ? Non, car le « bon français » est un accent parlé par un groupe de gens éduqués qui standardisent un langage, c’est un accent comme un autre, et à partir de ce standard ils hiérarchisent les accents.
Cependant, accents et dialectes n’indiquent pas la même chose, nous dit D. Chrystal. L’un désigne une prononciation distincte, tandis que l‘autre implique une grammaire et un vocabulaire. On peut parler avec des accents différents au sein du même dialecte. Un dialecte n’est pas une langue étrangère par rapport à la langue littéraire, comme a tendance à le penser M. Safouan. D. Chrystal, nous affirme que lorsque nous avons affaire à une continuité dialectale dans une zone géographique donnée : « Il y a toute une chaîne de dialectes dans cette zone. Quelqu’un qui parle dans un dialecte n’a aucun problème pour comprendre les autres qui vivent dans le voisinage, mais trouve un peu plus difficile de comprendre ceux qui habitent à l’extrémité de la chaîne. Les habitants de deux extrémités de la chaîne pourraient ne pas se comprendre, mais ils restent néanmoins liés par la chaîne d’intelligibilité mutuelle » (OP. Cité P. 291) Comme par exemple un libanais et un algérien sont situés aux deux pôles de ce dialecte, tandis qu’un libanais et un syrien sont voisins. Ils sont sensés se comprendre nettement mieux.
Cette chaîne d’intelligibilité mutuelle lie organiquement le dialecte à la langue littéraire. On peut être illettré, habitant telle ou telle zone rurale, mais capable d’écouter la radio nationale et comprendre ce qui se dit dans la langue des médias. Il nous souvient, que les générations d’avant la télévision, les habitants des zones rurales, passaient la plupart de leurs soirées à écouter les conteurs qui leur récitaient ou leur lisaient, les Mille et Une Nuits, la Saga d’Antar, celle de Beni Hilal, sans que personne ne se plaigne d’une prétendue « langue étrangère » ; autrement dit, la langue littéraire. Nous avons été témoins, à maintes reprises, d’entendre des gens illettrés, réciter à leur tour ces contes avec une aisance telle qu’un lettré pourrait ne pas avoir.
Tant que ces dialectes cohabitent avec la langue mère, ils s’enrichissent mutuellement et tendent à rester vivants. En revanche, quand ces dialectes s’éloignent de leur langue mère comme c’est le cas pour les dialectes parlés dans les pays de l’immigration, un processus double semble les affecter et les transformer lentement, mais sûrement. Moins les dialectes et les langues mères entretiennent des rapports intimes et vivants plus les dialectes tendent à suivre un chemin qui les singularise. La rencontre de plusieurs dialectes dans un espace étroit comme les banlieues, jette des ponts verbaux qui permettent aux mots des divers dialectes de traverser leurs propres frontières linguistiques pour aller se faire admettre par d’autres dialectes, composant petit à petit un parler nouveau. Les banlieusards fabriquent au quotidien des modalités d’échange vivantes qui font des banlieues un véritable laboratoire d’observation des dialectes éloignés se fournissant des mots et des expressions qui entrent dans un usage collectif.
Il arrive parfois que ce double processus opère dans une sorte d’extraterritorialité où l’apport des langues mères se tarit petit à petit sans que la langue d’accueil ne vienne assurer le véhicule qui porte les sujets. C’est à dire on s’éloigne d la langue mère, mais en même temps il n’y a pas une autre langue qui joue le rôle de véhicule pour cette population. Nous avons eu affaire à des jeunes hommes et des jeunes femmes nés en France, mais qui ne parlent qu’un français limité à plusieurs centaines de mots avec des onomatopées venant compléter des phrases dont l’élaboration reste pénible. Ces patients avaient tendance à parler à la manière de bandes dessinées japonaises, dans un langage très pauvre. Cette pauvreté de langage les rendaient très susceptibles car faute de pouvoir comprendre et répondre correctement, ils réagissent de manière inappropriée, voir agressive.
L’intérêt de ce débat en ce qui nous concerne est de poser la vraie question : s’il faut apprendre la langue arabe à l’école en France, quelle langue faut-il enseigner, le dialectal ou la langue littéraire ? L’éclairage de D. Chrystal nous aide à formuler un avis là-dessus. Ce n’est pas la même chose quand un peuple parle une langue orale sans rapport avec une langue littéraire et un autre qui pratique les deux. On parle suisse allemand, mais on apprend le haut allemand, comme disent les suisses. On parle un dialecte arabe, mais on apprend la langue littéraire. Cela me semble d’autant plus nécessaire que l’éloignement de la langue mère pour les immigrés produit un effet d’appauvrissement qui continue d’une génération à l’autre. Apprendre la langue littéraire permet à chaque lecteur d’avoir accès aux livres et aux journaux et surtout aux travaux de recherche et universitaires. C’est pour cela que cela me semble essentiel si on enseigne la langue, c’est d’enseigner la langue littéraire. Cependant, cela ne se fait pas sans malentendu par rapport au français. Acceptons l’idée que la langue arabe soit une langue des français. Puisque c’est en rapport avec la place qu’on réserve à la langue arabe en France. Est-ce que cette langue sera un jour acceptée en tant que langue des français en France ?
Pourquoi est-ce difficile ? Une langue n’est pas séparable de la question de l’origine sacrée ou mythique, et de l’identité. L’identité nationale tend elle aussi à se revêtir de ce halo sacré ou sacralisé et de ce fait, elle fait de la question de l’origine une barrière difficile à franchir.
Cette question est toujours présente dans le discours social. C’est typiquement français dit-on. Elle accompagne chaque français sur tous les territoires du pays. Il y a toujours une oreille assez fine pour entendre quelque chose de plus dans le langage de celui qui parle. Il y a toujours quelqu’un qui vous demande : « vous venez d’où avec votre joli accent ? » Les Français, dit-on, aiment bien savoir d’où viennent leurs interlocuteurs, qu’ils soient français de souche ou d’origine étrangère. Quand on est naturalisé et qu’on se présente comme français, cela ne va jamais de soi. On vous demande souvent : « de quelle origine ? »
L’origine autre s’annonce grâce à l’accent, comme le mien, et aux traits physiques. Mais cette origine autre implique tout français, d’une manière ou d’une autre. Le parisien a l’accent parisien, le marseillais a l’accent de Marseille, le toulousain a son accent et ainsi de suite, mais quel est l’accent du Français ? On a la peau mate, les cheveux bruns, châtains ou blonds, mais qu’elle est la couleur de peau du Français ? On peut continuer ainsi longtemps sans jamais trouver la bonne réponse pour épuiser la question.
Une question reste quand même incontournable. Quand est-ce qu’un français d’origine étrangère devient-il un français tout court ? Combien de générations faut-il pour qu’un français d’origine étrangère soit référé à sa région ou à sa ville de naissance en France ? Faut-il purger la personne de son origine étrangère pour qu’elle puisse accéder à la dignité de sa nouvelle identité acquise ? En fait, à bien y réfléchir, nous pouvons affirmer sans trop nous tromper que beaucoup de pays ont connu de tels coups de force dans leur histoire avant d’être obligés de s’assouplir sur cette question quelques décennies plus tard. C’est pour cela que la France et d’autres pays d’Europe se raidissent à nouveau. La France par exemple, a imposé, a interdit formellement à une partie de sa population de parler les diverses langues régionales au nom même de l’identité nationale, trois ou quatre générations plus tard, le même pays réintroduit et officialise l’usage des langues régionales qu’il avait bannies. C’est le cas maintenant avec les langues des immigrés, les langues d’origine des immigrés. La France et l’Europe en tendance à reproduire ce que la France a fait quand elle a banni les langues régionales.
Mon hypothèse est la suivante, la langue nationale est posée comme une référence identitaire incontournable au moment de la construction de l’Etat et au moment où la nation encourt un danger menaçant son intégrité comme c’était le cas pour la France il y a un peu plus d’un siècle. « La dernière leçon » de Daudet, nous en donne l’illustration parfaite. Mais construire ne se fait pas sans l’idéologie, la religion, ou le mythique. C’est le cas de l’arabe et dans une moindre mesure de l’allemand, et beaucoup d’autres langues. La religion, le texte sacré a servi pour les arabes, comme pour les allemands d’ailleurs, de base pour asseoir la langue moderne, la langue allemande ou la langue arabe, puisque des germanistes nous affirment que c’est la traduction de la Bible en allemand par Luther qui a jeté la base de la langue allemande moderne.
Cependant, ce qui constitue ou renforce l’Etat-Nation au moment où celui-ci se trouve encore embryonnaire ou fragile, s’impose tout seul quand le pays est fort et prospère. On a plus besoin de faire un effort. L’anglais américain en est l’exemple type. Tout chercheur ou tout homme d’affaires sait qu’il n’a pas sa place au soleil s’il ne publie pas en anglais ou s’il n’a pas d’accès au marché américain. L’économie joue un rôle moteur et la langue devient le véhicule qui transporte tous ceux qui aspirent au changement. La langue est à l’image du peuple qui la parle. Plus il est dynamique et investi idéalement par les autres, plus sa langue invite à elle des nouveaux talents. Le contraire est aussi vrai n’en déplaise aux nostalgiques des anciens empires. L’anglais américain entend-on dire est la langue des « aéroports ». Peut-être, mais elle est aussi la langue des chercheurs de tous bords. Les publications scientifiques qui se font en anglais sont le passage obligé pour les universitaires et les scientifiques à travers le monde. D’aucuns nous disent dans une sorte d’auto-satisfecit que la langue française contrairement à la langue anglaise, reste la langue de culture pour beaucoup de francophones. Autrement dit, science contre culture, l’anglais et le français s’adressent au monde, chaque langue dans son domaine de prédilection.
Mais le problème n’est pas là. Le problème commence quand un pays tend à lever le drapeau de sa langue comme le symbole de sa gloire et tend à désigner tout autre langue ou tout dialecte comme une impureté dans le paysage linguistique national. Ceux qui connaissent les Etats-Unis savent que ne pas parler l’anglais n’est pas de nature à ternir l’éclat du miroir américain, même si de temps en temps des mécontents en font un constat peu reluisant.
Il y a quelques années de cela, nous mangions avec un couple d’amis new-yorkais dans un restaurant de poissons au bord de la mer à New-York. Comme c’est fréquent aux Etats-Unis, l’amie demanda au serveur un doggy bag afin de pouvoir ramener le reste chez elle. Le serveur parlait mal l’anglais et n’avait pas saisi ce que cette amie voulait de lui. « C’est de plus en plus fréquent », réagit-elle, « on ne trouve plus du personnel qui parle un anglais quelque peu correct à New York ».
Cette remarque est d’autant plus intéressante qu’elle concerne une langue qui devient presque planétaire. Beaucoup de monde à travers la planète parle l’anglais alors que des immigrés à l’instar de ce serveur, résident et travaillent aux Etats-Unis sans parler cette langue ou du moins, la parlent mal. Est-ce que l’anglais souffre pour autant de ces nouveaux Américains, ou Américains en devenir ?
La réponse qui nous vient s’inspire de l’histoire de ces amis. Ils sont nés tous les deux de parents immigrés, italiens pour la femme et allemands pour le mari. Tous les deux ont fait des études universitaires et parlaient un anglais châtié alors que leurs parents étaient restés étrangers à cette langue.
En fait, ce couple ressemble à des millions d’autres couples à travers le monde. En France beaucoup de Français ont connu un parcours identique. Des enfants et des parents séparés par les barrières de la langue. Les parents s’adressent à leurs enfants dans leur langue maternelle, et les enfants leur répondent dans leur langue d’adoption, le français par exemple. Et tous les deux disent, ils ne parlent pas notre langue, allez savoir comment ils font. Seulement, le destin des jeunes générations n’est pas identique aux Etats-Unis et en France.
Quand nos deux hôtes s’alarmaient d’une disparation possible de « doggy bag » à cause d’un personnel ne possédant qu’un anglais rudimentaire, ils se posaient en tant qu’Américains soucieux de l’Amérique et de ses traditions. L’Américain se construit à chaque génération dans la mesure où l’Américain se reconnaît dans l’Amérique et dans le discours qui le porte en tant que citoyen de ce pays. Ce qui n’est pas le cas en France. Et voilà où le bât blesse, les banlieues françaises apparaissent dans le discours officiel comme des zones hors loi et hors contrôle. Elles sont tellement hors contrôle que les ministres et les responsables de toutes sortes réclament un retour de l’Etat et de l’ordre dans ces zones. Autrement dit, selon les aveux des politiques, une partie de la France échappe à la souveraineté de l’Etat. Cette partie de la France s’appelle les banlieues.
Les banlieues donc désignent des groupes et des langues. Ces langues sont abordées par le pouvoir public de la même manière que les langues régionales l’avaient été il y a plus d’un siècle. Les langues des immigrés, « leur patois », sont à bannir. Les langues d’origines semblent condamnées les français de parents étrangers à rester des banlieusards. Les banlieues sont donc, le mont Nebo. De son sommet on voit Jérusalem, Paris plutôt, mais on est condamné à ne pas y entrer.
Discussion avec la salle :
Jean-Luc de Saint-Just
Merci beaucoup Nazir Hamad. Nous allons entamer la discussion. Noureddine Hamama aurais-tu des questions ou des remarques…
Noureddine Hamama
Merci beaucoup Nazir Hamad d’avoir pu reprendre en effet la discussion de la dernière fois qui avait été assez vive, parce que cela touchait quand même des choses très profondes. Des choses qui pouvaient dans une discussion comme la dernière fois prendre un chemin un peu particulier, celui de la question identitaire en effet.
Je voulais juste reprendre un passage entre l’arabe mère et le dialecte pour raconter une anecdote et te demander si tu en ferais la même lecture que celle que je propose. Quand j’étais enfant vers l’âge de dix ans on n’avait pas de téléviseur à la maison et puis le téléviseur a débarqué. C’était mon oncle qui était émigré. Un jour il est venu en vacances et il nous a amené un téléviseur. Donc on a pu regarder un peu la télé. Il n’y avait qu’une chaîne algérienne à l’époque. Il y avait beaucoup d’infos, parce qu’il fallait faire des infos, et puis parce qu’il n’y avait rien d’autre. Donc elle était beaucoup occupée toute la journée par des infos. Je vivais avec mes grands-parents et j’étais de corvée puisque j’étais l’ainé et que j’avais appris l’arabe littéraire à l’école. J’étais de corvée parce que mon grand-père m’obligeait à rester à côté de lui pour que je puisse traduire un peu ce qui lui échappait dans les infos racontées par les journalistes. A côté de cela, mon grand-père pouvait réciter le Coran par cœur et d’une manière qui me laissait scotché. Je vais le dire un peu comme ça et c’était une question pour moi. Et donc cela posait la question, cette langue du coup, cette langue arabe récitée par mon grand-père qui ne savait pas la lire, qui n’avait jamais été à l’école, et qui me demandait d’être là pour traduire ce que le journaliste racontait. Je me demandais, mais finalement c’est la langue elle-même qui devient presque divine. Ce n’est pas le texte en lui-même peut-être. Ce n’est pas le contenu. Parce qu’il la récitait de mémoire, parce qu’il a appris le Coran comme cela petit. Et il continuait à le réciter. Tous les jours il le récitait sans prendre le Coran. Donc le statut de cette langue arabe, pour certains ils n’ont pas eu la chance de l’apprendre, et d’un autre côté parce qu’il y a un texte coranique la même personne peut réciter cela très correctement et convenablement.
Nazir Hamad
Je crois que c’est un constat qu’on est en mesure de faire dans beaucoup de pays arabes. J’ai dit qu’il y a le Coran et qu’il y a aussi les contes populaires. J’étais surpris de voir des hommes et des femmes qui ne sont jamais allés à l’école et qui sont capables de réciter en langue littéraire la poésie arabe ou les contes sans faire la moindre faute. C’est à dire que l’apprentissage de la langue, l’apprentissage de ces contes se faisait exactement comme ont apprenait le Coran à l’époque. C’est à dire on l’apprenait par cœur. La récitation c’était la musique de cette langue. On était bercé par la musique de cette langue. La première fois, je suis venu avec des enregistrements de chanteuse et d’Imam et vous avez remarquez la proximité entre les deux prosodies. On est pris dans cette musique, que ce soit la langue sacrée ou que ce soit la langue profane.
L’apprentissage de l’arabe a commencé nettement plus tôt au moyen orient qu’en Afrique du nord. Et l’arabe profane aussi était l’outil des Imams. A la fois, ils lisaient le texte coranique, mais aussi ils étaient les lettrés. C’est pour cela que ces Imams étaient les deux pôles du pouvoir sur la population, de représenter la référence religieuse, mais aussi le savoir.
Noureddine Hamama
J’ai connu des personnes qui étaient Imams et à la fois professeur.
Nazir Hamad
Tout à fait, et je penses qu’on a pas cette difficulté au moyen orient. Nos grands-parents, nos parents, il y en a qui sont allés à l’école. Donc, on n’avait pas cette difficulté là. On accédait à la langue littérale et cette langue littérale n’était pas absente de la vie au quotidien pour les gens qui n’avaient pas eu la chance de pouvoir aller à l’école. Ils pouvaient écouter la radio, la télé, aller au cinéma et ne pas éprouver de difficulté majeure dans la compréhension. Bien sur, il y a de temps en temps des mots qu’ils n’arrivent pas à comprendre, mais n’empêche qu’il y avait pas cette barrière qui coupait la population de la langue profane.
Un participant
Tout à l’heure quand il a commencé le débat, il a commencé par dire « marhaba ». En turc c’est « merhaba, c’est le bonjour, c’est la salutation. L’autre personne a dit « salamou âaleikoum » on réponds « oua âaleikoum eh salam »
Alors l’introduction dans la langue se fait par le biais neutre ou l’autre l’aspect religieux. Alors maintenant on va disséquer les deux aspects. Moi par exemple, comme M. Hamad, je lui né à Beyrouth au Liban, d’une famille chrétienne de langue araméenne. Jusqu’à six ans je pensais que la terre entière parlait ma langue. En arrivant à Beyrouth dans une école j’étais surpris qu’il y avait une autre langue. Au CP on apprenait l’arabe et le français. Pour moi c’était très facile d’apprendre l’arabe sachant que ma langue maternelle est l’araméen. Par la suite j’ai constaté que, en faisant des recherches sur la langue arabe et son apport par rapport à la langue araméenne. On va dire que le français, l’italien et l’espagnol sont issus de… Ce sont des langues latines. La langue arabe est issue de la langue araméenne. Maintenant, je peux citer pleins de mots en arabe que je trouve leur origine dans la langue araméenne. On va voir maintenant le côté sacré d’une langue et le côté un peu profane. Dans la langue profane la langue se développe, dans la langue ou elle commence à être emprisonnée par l’esprit religieux, elle s’enferme. Elle rend la langue sacrée. Ce qui est le cas de l’arabe dans l’Islam ou l’Islam dans l’arabe. Deux aspects, je précise. On dit : « bisme allah eh rahmani eh rahim » C’est vrai c’est une phrase magique on la trouve à l’entrée de toutes les sourates, sauf une sourate. En araméen : « chimet el laha rahmana » la même chose. La langue araméenne existait mille ans avant l’arabe. En Arabie on va à la Mecque et à Médie. Le mariage entre le christianisme, le judaïsme est le départ, l’embryon de l’Islam, et on va voir l’apport du Coran par rapport à la langue araméenne. Aujourd’hui quand je lis le Coran je peux soulever quelque chose qui n’a aucun sens. Par exemple il y a beaucoup de mot en arabe dans le Coran, sachant que le Coran vous dit « oua djaâlna lakoume kitaboun bi lougha ârabia moubine » C’est-à-dire qu’on vous a rendu un livre en arabe clair, compréhensible. Sachant qu’il y a beaucoup de mots qui aujourd’hui, les gens, en arabe, ils ne savent même pas les comprendre. Sachant que eux il y a 14 siècles ils avaient affaire à des gens qui ne comprenaient pas tous ces mots là. Alors par exemple, quand on va parler de « hour el aîn » On va voir par la suite l’apport de la langue avec la modernité. « hour el aîn » ils ont traduit cela par les vierges. Quand on lit les commentaires « el ahadith , el boukhari, eh tabari » au début ils disent dieu seul sait « allah la aâlam » ce que cela veut dire que ce mot là. C’est resté. Ils ont donné cinq six significations à un mot qui n’existait pas. « hour el aîn » en araméen, c’est la langue qui sauve le Coran, c’est le raisin blanc. Il y a beaucoup de mots dans la Coran qui ont un sens en langue araméenne. C’est très simple de dire que si l’arabe n’a pas continué les sens de tous ces mots là, sachant que la grammaire arabe a été écrite deux siècles après le Coran. C’est important. On ne peut pas dire qu’une grammaire d’une langue magnifique, d’un livre super distingué qu’est le Coran qua sa grammaire elle a été rédigée deux siècles après, et par des Iraniens, par des persans. Alors maintenant quand on voit aujourd’hui quel est l’apport d’une langue avec la modernité, parce que cette langue là pour qu’elle puisse se développer. Par exemple le libanais, l’accent ou le dialecte de Beyrouth, l’accent ou le dialecte de Damas ou d’Aleph, ils se comprennent avec leurs spécificités, leur accent et tout ça. C’est ça qui fait le charme je dirais. Mais cette langue qui a été emprisonnée par l’Islam qui a emprisonné la langue arabe, par un sectarisme religieux. Cette langue là est devenue figée. Elle ne peut pas. Elle est devenue sacrée, figée. Elle ne peut plus se développer. Alors maintenant l’introduction de tous les mots techniques qui arrivent en langue arabe, on les prononce tel qu’ils sont dans la langue d’origine. L’idéologie, je ne sais pas, tous ces mécanismes là, se trouvent dans la langue d’origine, dans la langue occidentale de ces mots.
Par contre, dans l’araméen, si je compare l’araméen parlé jusqu’à aujourd’hui, il accepte, il se développe, il absorbe les mots étrangers. Il s’adapte avec. Il leur donne un sens.
Pour conclure, vous avez parlé M. Hamad sur le sacré. C’est vrai ce sacré là il est trop sacré. Il a stérilisé la langue. Il lui a amputé quelque chose. Quand on prend la poésie arabe de « Al djahilia » , elle était magnifique. Quand on prend les versets de certaines sourates du Coran, des fois je dirais quand on prend les « el ahadith » les commentaires de l’Islam. Il ne s’agit pas de comprendre ces mots là, parce que des fois ils n’ont pas un sens. Les mots ont été amputés quand on a une maitrise de la langue araméenne. On dit : est-ce que cette langue là, tellement qu’elle a été étouffée, incomprise, et qu’elle puisse se développer dans le sens qu’aujourd’hui avec la modernité. On prend par exemple le sens, moi j’ai eu une discussion il y a quelques années en arrière avec des amis algériens, nous au proche orient, en Syrie et tout cela, on a été colonisé, entre parenthèse, par l’empire ottoman. On dit que l’Afrique du nord c’était par les français. La France est restée cent trente ans. Mais comment cela se fait qu’au bout de 130 ans ces gens là ne savaient plus parler leur langue d’origine ? Et nous on a gardé l’empire ottoman pendant quatre siècles et demi, on a conservé notre langue, mais n’empêche qu’on a appris le turc. On l’a assimilé, on l’a introduit dans notre langue. Et il y a beaucoup de mots en libanais, en syrien, même en araméen qui ont pris du turc, de la langue turque. Je dirais la souplesse d’une langue, et là je redeviens très critique. C’est que le fait que l’arabe qui était « el mouchetakat » c’est à dire qu’il peut se diluer, se développer. Il a été amputé. Je dirais dans un sens si je compare la branche, parce que l’hébreu est issu également de la langue araméenne, il arrive à se développer, à s’adapter, à s’améliorer, à accepter des mots étrangers. Mais l’arabe, du fait de ce côté sacré, c’est comme si on l’a circoncisé. Tout à fait, on a enlevé un petit bout. Et on le dit aujourd’hui…
Noureddine Hamama
Moi je n’ais rien contre la circoncision.
Le même participant
Et même si je parle de la circoncision, vous voyez c’est marrant, il y a le Coran qui parle de circoncision et cela devient une obligation. Vous voyez ce que je veux dire, le côté sacré. IL y a le côté traditionnel, etc. Il est tellement rentré dans cette langue là qu’il l’a rendu stérile.
Jérôme La Selve
Est-ce que le fait de dire que le fait d’avoir sacralisé cette langue cela l’a rendu langue morte ? A la différence de l’araméen qui serait une langue vivante.
Le même participant
Non, l’araméen c’est comme le latin, ce sont des langues mortes. Mais moi en tant que c’est ma langue maternelle, je me dis, mais pourquoi ? Du moment qu’elle est parlée par moi, même si je suis le seul à la parler, elle n’est pas morte. Vous oyez ce que je veux dire.
Non l’arabe ce n’est pas une langue morte, pas du tout. J’ai fait du latin à l’école quand j’étais chez les pères jésuites à Beyrouth. On apprenait une langue morte. Je disais, mais elle n’est pas morte du moment qu’il y a deux personnes qui communiquent avec, qui puissent échanger. L’arabe ce n’est pas une langue morte, mais c’est dommage maintenant quand on voit l’apport de cette langue. Quand l’Islam a véhiculé cette langue, quand elle est arrivée en Afrique du nord. Ces gens là d’Afrique du nord ils avaient leurs traditions, ils avaient leurs coutumes, ils avaient leurs dialectes, ils avaient leurs accents. Mais le tord qu’il y a dans l’Islam c’est qu’il a imposé une langue qui n’est pas la leur. Ils ont été convertis à l’Islam, mais ils se sont dit on veut garder… On a été converti à l’Islam, mais on n’est pas converti à l’arabe. Comment il s’appelle le président tunisien. Bourguiba quand il faisait des grand discours sur la place publique, sa femme s’appelle Ouasila, en arabe c’est « moyen ». Quand il fait un grand discours il arrive à un moment pour galvauder la population « ouadjeb âleina »: Il faut qu’on trouve un moyen. Le peuple il n’a rien compris au mot moyen. Il croyait qu’il faisait allusion à sa femme : « Ouasila, ouasila ». Les gens applaudissaient comme si ils flattaient sa femme. Le problème c’est que Ouasila c’est le prénom de sa femme, mais également c’est un moyen.
Excusez-moi si j’ai été un peu long.
Nazir Hamad
Non, non, mais écoutez, il y a des points ou je suis parfaitement d’accord avec vous.
Une participante
Je vous trouve que ce qu’il y a de très intéressant et de très ouvert d’amener cette notion d’araméen. De dire finalement que quelque part ces langues se sont modifiées. La richesse c’est d’aller vers la source. C’est une ouverture vers le monde ce qu’il a amené. C’est intéressant. Ce que je voulais dire du côté de l’immigration. Ce n’est pas aussi simple de se retrouver avec la langue arabe avec les français. Moi je dirais à mon arrivée en France, c’est une langue… De parler le français, c’est vrai que c’est à l’extérieur de la maison. A la maison on parlait l’arabe. On était un peu comme en Algérie. En Algérie ou les gens là bas évoluent, et nous à la maison on évoluait pas. On restait dans le passé, dans le passé des parents, dans cette nostalgie. Et cette nostalgie nous a amené avec les mots arabes, l’arabe que vous avez parlé dans ces conférences, j’ai trouvé très riche au niveau du langage. C’est à dire un langage assez cours qui n’est pas fructifiée par la langue arabe littéraire qu’on apprend. Dont on n’a pas eu accès et c’est vrai que c’est un langage qui est court, à la pensée rapide. On est dans l’agir. Cet accès à l’arabe littéraire j’ai pu en avoir un petit moment accès, c’est cela qui est étonnant. J’ai appris l’arabe littéraire dans une église. Un curé nous avait prêté une salle et j’ai été allé dans cette église. Et cela était beau aussi. Et je me souviens que ce curé nous accueillait très souriant. Finalement, je me souviens aussi en CP. J’ai vécu quelque chose d’assez difficile ou on apprend la différence. On apprend qu’on est différent par d’autres personnes. On apprend qu’on n’est pas de la même couleur, qu’on s’habille différemment, qu’on a peut-être pas les mêmes odeurs parce qu’on ne mange pas la même chose. Et lorsque je me suis retrouvé par contre en CP là on m’a dit non, vous savez la langue arabe il ne faut pas la parler à la maison. Si vous la parler à la maison vous n’allez pas pouvoir étudier. Vous n’allez pas réussir à l’école. Je suis arrivée chez mes parents et je leur ai dit finalement il faut que vous appreniez le français, il faut qu’on parle le français. Finalement, ma mère a voulu maintenir ses origines et parlait l’arabe. Elle ne parlerait pas le français. Mon père savait parler le français. Il sait écrire l’arabe, il sait lire l’arabe. Et j’ai baigné dans cette richesse de la poésie arabe, pas littéraire, mais « al barbaria ». C’est-à-dire parlé. J’ai baigné dans cette poésie qui est une poésie plus rapide, qui est une poésie qui se fait au niveau de la danse, qui se fait au niveau du chant. C’est vrai que les souvenirs que j’ai de l’Algérie, quand vous parliez de la télévision, les souvenirs que j’avais de l’Algérie quand j’allais en vacances, c’était ça. Avant la télé lorsqu’on arrivait, on allait par exemple pour une période de trois mois, et bien il n’y avait pas la télé. On avait la famille. On dansait. On chantait. Il y avait des échanges de discussion. J’avais gardé des souvenirs qui étaient très beau. Arrivée la télé, moi je ne connaissais pas forcément l’arabe littéraire comme vous, et là il fallait se taire. Il y avait une télé dans une famille, tout le monde se retrouvait et on disait aux enfants, chut on regarde la télé. Là il y a eu le monde de la consommation comme en France ou chacun s’est retrouvé chez soi. Je dirais c’est un peu ça le monde moderne.
Nazir Hamad
Ecoutez ! Ce que vous avez avancé me semble important à plusieurs titres. Je pense qu’il y a une précision à faire d’abord, avant d’engager la discussion avec vous. Il me semble que vous confondez le texte avec la langue. Il y a un texte sacré, c’est le Coran, mais la langue arabe n’est pas sacrée. Parce qu’avec le Coran il y a eu la philosophie, il y a eu la science. La langue arabe a beaucoup produit à côté du Coran. Et ce n’est pas le texte sacré qui a produit la langue arabe. La langue arabe est riche, il y a la poésie, la philosophie, la science et que sais-je encore. Cette langue était à l’époque ce que l’anglais est de nos jours. C’est à dire tout ceux qui espéraient écrire et se faire reconnaître, avoir une place au soleil, venaient écrire dans la langue arabe, apprendre la langue arabe. C’était un peu les Etats-Unis à l’époque, et la langue arabe attirait les intellectuels et les scientifiques comme la langue anglaise aux Etats-Unis. Donc il ne faut pas confondre les deux. Parce que si on continu à confondre les régistres dans l’analyse, dans l’approche de cette langue.
Par contre, ce que vous avez dit concernant la dette symbolique. Toute langue est redevable. Il n’y a pas de langue qui ne soit pas redevable aux autres langues. Une langue d’origine cela n’existe pas, sauf dans l’imagination de religieux. Mais l’ennuie avec la religion c’est quoi ? C’est que pour qu’une religion soit une religion avec une origine sacrée, il faut récuser, il faut rejeter, ne pas reconnaître quelque chose qui serait de la dette symbolique. Puisque ce texte est descendu de l’au-delà. Donc il n’y avait rien avant et il n’y aura rien après. C’est pour cela l’alliance, il n’y en pas qu’une seule, il y a trois alliances. Chaque peuple, chacune de ses religions a élu le meilleur. Il n’y a pas que le peuple juif qui est le peuple élu. Puisque dans le Coran Dieu dit : « oua kountoume kheira oumatoune ounzilate li nas » - Vous êtes la meilleur des nations que Dieu a envoyée pour les hommes- C’est le peuple élu. Et les chrétiens, qu’est-ce qu’ils ont ? Ils ont leur dieu qui est venu leur serrer la main, la pince, leur dire bonjour, vivre avec eux et mourir pour eux. Vous vous rendez compte.
C’est à dire que c’est cela qui est le malentendu indépassable dans le dialogue interreligieux. Il y a quelque chose qui s’appelle la non reconnaissance d’une dette symbolique. C’est à dire qu’il n’y a aucune religion qui est redevable à l’autre. Même quand l’Islam dit le message a été envoyé avant nous, mais eux ils sont venus pour dire quoi. Nous sommes venus pour effacer les bêtises des autres. Parce que les autres ont effectivement faussés la nature et l’âme de ce message. Et c’est pour cela qu’ils restent avec leur texte comme l’âme même de ce message. Comme les chrétiens disent la trinité. Comment expliquer la trinité ? On ne sait pas. Donc, un des mystères de la religion, un des mystères de la religion chrétienne. Les mots aussi dans le texte coranique est un des mystères de ce texte de la religion musulmane. Il faut laisser une part au mystère. Parce que sinon, si l’on comprend tout, la religion devient entièrement humaine. Il faut qu’il y ait toujours quelque chose qui nous échappe pour maintenir la part d’un savoir au-delà de ce savoir qui est le notre. Donc, à la fois on peut en rire comme vous le dites, mais en même temps c’est cela qui maintien la part divine, le savoir qui nous échappe. Il faut qu’il y ait toujours une part de ce savoir qui nous échappe, pour maintenir la place à la divinité. Sinon, on a plus besoin de lui puisqu’on sait tout, on comprend tout. Voilà, il y a, c’est une nécessité de laisser cette part qui nous échappe. C’est vrai dans toutes les religions. Il y a une part qui nous échappe et c’est la part qui revient à Dieu. C’est comme dans l’alcool, il y a la part des anges. Il y a dans la religion la part de dieu. Voilà, ce que je voulais dire.
Odile Frombonne
Vous venez de dire lorsque je vous écoute les uns et les autres, dans la salle, je trouve que cela fait un grand effet d’altérité ce dont on parle. Et a partir de là comment je peux parler ? C’est la question qui me vient. Dans la mesure où je ne peux plus parler sans me poser la question d’où je parle. Si je me pose cette question compte tenu de mon histoire, que je n’ai pas choisi, je suis obligé de préciser que tous mes ancêtres connus sont de la région lyonnaise. Vous voyez que du côté de l’immigration mon expérience c’est très peu. Et en même temps j’adore les gens qui me parlent du monde, d’ailleurs. Lorsque nous parlons de l’histoire des langues et notamment donc du français. Je ne sais pas comment il faut voire les choses en ce qui concerne le français, mais je me disais ce matin qu’il y a eu une violence qui a été faite au français dans les siècles passés, au vingtième, ou au dix-neuvième, en interdisant les dialectes, les patois. Ce qui fait que les gens comme moi, de ma génération, je ne connais absolument personne dans ma famille qui parle autre chose que le français standard. D’où la découverte à l’université que des accents existaient en français. Ces accents qui sont assez folklorique il faut bien le dire puisque l’essentiel de la grammaire est fixé à peu près de la même manière qu’elle existe en France à l’heure actuelle. Je voulais préciser cela pour dire que c’est d’un monolinguisme que je suis issue. En tout cas un monolinguisme apparent. Je pense que vous en parlerez, peut-être la prochaine fois, de comment le bilinguisme me concerne malgré tout, mais je n’irais pas de ce côté là. Je voulais évoquer cette violence, je m’en rend compte, elle est oubliée cette violence qui a été faite aux français il y a plus d’un siècle. Elle me revient quand je vous entends parler. Puisque au fond, ce monolinguisme cela rend idiot, cela rend handicapé. C’est difficile et en même temps est-ce qu’il y a quelque chose pour ces monolingues que sont souvent une partie des français. Cette tendance, ce désir, à la fois deux tendances, deux désirs, qui va vers le mono, le un, et ce désir qui recherche un écart, un autre dans la langue. D’où certains poètes, je pense aux musiques qui créent des mots forts. Et puis aussi certains jeunes à l’heure actuelle ce que l’on constate c’est qu’ils parlent beaucoup plus les langues étrangères, souvent c’est l’anglais, mais bon un jour cela va être l’arabe aussi. Il y a cette tendance là qui n’existait pas il y a une génération. Ce qui se fait jour est-ce que ce n’est pas du fait de cette uniformisation du français standard ? Voilà ce que je voulais dire.
Jean-Luc de Saint-Just
Je vais me proposer de prendre la suite de ces remarques pour les prolonger un peu et puis pour venir interroger ce que Nazir Hamad nous a amené sur d’une langue à l’autre justement. Parce qu’il soulève des questions très importantes, en particulier le bilinguisme qui apparaît même dans une langue. Dans une langue il y a toujours cette dimension de bilinguisme. Nous pouvons difficilement passez à côté.
Avec cette autre remarque faites et qui concerne plusieurs pays, plusieurs cultures, le fait qu’assez souvent des unités se sont constituées par l’interdiction des dialectes, des patois. Il y a ce premier mouvement et cet autre mouvement qui a été rappelé pour l’arabe et le français, c’est la fixation de la grammaire. C’est aussi quelque chose qui est tout à fait déterminant dans le statut d’une langue.
Dans les remarques faites par Nazir Hamad m’est revenu une question qui s’est d’emblé posée dans ce séminaire et qu’il a très bien dialectisé, fait entendre dans sa complexité, et qui renvoi à des questions pratiques et concrètes : faut-il enseigner une langue arabe ou des langues arabes ?
Si je l’ai bien compris, la question reste ouverte de savoir comment cela va évoluer. Est-ce l’arabe littéraire qui va devenir la langue d’usage pour les techniciens, les ingénieurs, etc. ? Ou est-ce que cela va être le Syrien, le Libanais, etc. ?
Ce qui ne résoudra pas pour autant la question du bilinguisme. Nazir Hamad rappelait qu’il y a toujours cette découpe qui prend des formes culturelles différentes, entre une langue littérale, académique, la langue soumise à une certaine grammaire officielle, et ce que tu citais la langue vulgaire. Mais pourquoi vulgaire ? C’est étonnant que l’on appelle ces langues vulgaires ? Cela vient bien entendu de « vulgus » la foule commune des hommes, la langue du peuple. Mais sans doute aussi parce que c’est la langue du corps, du corps à corps, celle qui ne serait pas frappée par le refoulement. Alors que la littérale est frappée par le refoulement, soumise à un certain nombre de règles et dans laquelle certaines choses ne peuvent pas être dites, ou pas sans certaines formes. C’est une langue qui n’est d’ailleurs pas nécessairement écrite. Si je souhaiterais parler de vos saints. Se pose tout de suite la question de comment je l’écris, donc d’une orthographe. Si je l’écris « saint », ou « sein », ce n’est pas la même chose et cela peut même prendre une forme tout à fait vulgaire, voire obscène.
Cela indique que la langue qui est écrite et codifiée par une grammaire officielle a un tout autre statut que la même langue non soumise à ces règles, ou une langue voisine moins officielle, plus populaire. Ce sont des langues distinctes dans leur usage, leur fonction.
Une autre remarque qui concerne le terme de naturalisation que Nazir Hamad a employé. Pourquoi parle t-on de naturalisation ? Alors que nous devrions dire plutôt culturalisé, si tout ce que nous avons mis en évidence est juste. Ou civilisé qui désignerait quelqu’un qui ne serait pas civil, et donc qui serait vulgaire. C’est ce que l’on reproche souvent à beaucoup de jeunes, et souvent à des jeunes immigrés, l’incivilité.
C’est assez remarquable de prendre la mesure que les langues non pas le même statut entre celles qui sont érigées au rang de langues civilisées et celles qui l’ont peut-être été à une époque, mais qui peuvent très bien être complètement dépréciées aujourd’hui. Le nom de barbare vient de là, de ceux qui a une époque ne parlait pas la langue des civilisés, le Grec.
Il suffit d’observer et d’écouter les réactions dans le métro à Lyon ou il n’est pas rare que l’on entende parler sept ou huit langues. Entre les touristes ou les étudiants américains, les allemands, les chinois, les arabes, le turc, le roumain, les réactions ne sont similaires.
Naturalisé ne vient pas dire inscrit dans la culture, mais dans une origine qui se voudrait « naturelle », en fait mythique qui est une pure construction.
Les langues si elles sont construites de la même façon, si elles n’ont pas de différence en tant que langue, et ont toutes une richesse immense puisqu’elles rendent toutes compte d’une type de rapport au monde, elles n’ont pour autant pas toutes le même statut. Sacrée pour certaines, littéraires pour d’autres, ou officielles, étatique, ou alors populaires, intimes, vulgaires, elles peuvent être des langues différents, comme des langues déclinées, des patois, ou encore une même langue, mais avec un usage savant ou profane.
Nous évoquions cela la dernière fois, mais l’arrivée à l’école maternelle pour un enfant consiste bien à sortir de la langue maternelle, intime, pour apprendre une langue codifiée et officielle, celle de l’éducation nationale. Ce n’est pas la même. Et c’est toute la difficulté que rencontrent les enfants et qui génère parfois de l’incompréhension des adultes, c’est que même si c’est la langue dite maternelle, ce n’est pas la même langue.
Annemarie Hamad
Je me suis toujours beaucoup intéressée aux langues. Ce n’est pas sans un certain fond de connaissances que je me permets quand même de dire que les dialectes ont aussi une grammaire. Cela n’existe pas une langue, quelle qu’elle soit, dialectale, Créole, sans grammaire. Il y en a toujours. A partir du moment où dans une langue je dis, je, tu, nous. C’est une grammaire. La grammaire est là.
Par rapport à l’arabe, il se trouve que je me suis coltiné pas mal d’arabe littéraire. Toujours avec une très grande frustration, parce que dés que j’allais au Liban personne ne me comprenait. Tout le monde se mettait à rire. Donc entre temps, j’apprends plutôt l’arabe libanais. Ce dont je me rends compte par rapport à la grammaire, la différence entre les deux. La grammaire telle qu’elle s’est développée dans le dialecte et puis ça bouge tout le temps, c’est comme toutes les langues, cela bouge. C’est qu’on a supprimé beaucoup de suffixes. Cela s’aplatit, je sais que dans d’autres langues. On peut dire que l’anglais c’est finalement le résultat d’un processus ou il n’y a plus beaucoup de suffixes. Toutes les terminaisons ont disparues. La conjugaison des verbes il n’y a presque plus de terminaisons. C’est parfois plus difficile de s’y retrouve que dans les langues ou c’est bien énoncé, chaque suffixe. On ne peut pas réduire un dialecte à la langue du corps. Je ne crois pas, mais ce fantasme a toujours existé qu’il y ait des langues qui soient plus dans le concret et d’autres qui soient plus dans l’abstrait. C’est peut-être la le succès de l’anglais. Parce qu’ils ont réussi à garder tout le côté anglo-saxon qui est beaucoup plus près du corps, etc. et ils ont intégré toute la partie latine pour toutes les sciences. Donc on a les deux. Cela se marie et cela fait une langue extrêmement riche.
Ceci dit aussi, j’essaye un peu d’apprendre l’arabe. Je trouve que c’est d’une richesse. De traiter cette langue de langue stérile ce n’est pas possible. Chaque langue c’est la quintessence de sa culture de ce qu’on y retrouve. Quand on apprend une langue c’est un voyage. On part, on retrouve. Je voulais juste vous indiquer un tout petit truc si vous n’avez pas vu. Hier soir sur la chaine science et vie, c’était un peu un prologue à aujourd’hui. Il y a un scientifique d’origine iraquienne qui enseigne à l’université de Surrey en Angleterre. Donc c’est un programme qui est repris de la BBC. Il est physicien et il s’est donné comme tache d’aller à la recherche à travers l’Iraq, la Syrie, l’Egypte, etc. de la science à l’époque médiévale Islamique. Il a retrouvé, c’est absolument extraordinaire, il a comparé les livres pages par pages pour montrer comment Copernic a copié carrément sur les astronomes de l’époque qui avaient déjà tout trouvé. Absolument, et dans toutes les sciences d’ailleurs aussi. Comment tout cela a été recouvert surtout après la reconquête de l’Espagne pour effacer les sources de cette richesse scientifique arabe. Voilà, je voulais juste vous signaler cela. Cela vaut le coup.
Jean-Luc de Saint-Just
Je te remercie beaucoup Annemarie Hamad et je suis entièrement d’accord avec tout ce que tu as pu dire qui est tout à fait vrai. Je ferais juste deux remarques c’est que le succès de l’Anglais ne vient pas tant de sa combinatoire entre le concret et l’abstrait, présent dans toutes les langues en effet, que du fait que c’est la langue des maîtres. Comme le fut le latin à une certaine époque, l’Arabe aussi comme le rappelait Nazir Hamad, ou le Grec précédemment.
L’autre remarque c’est qu’il y a des langues avec lesquelles ont fait l’amour et d’autres non, ou de façon beaucoup plus rares. Une langue vivante pour reprendre la définition de Charles Melman, et plus encore une langue maternelle disait-il, c’est une langue avec laquelle on fait l’amour.
Nazir Hamad
C’est Freud qui dit quelque chose comme cela. Le médecin abordait abordait la question de la sexualité, du sexe, on empruntant quoi ? En empruntant le signifiant Latin. Parce que ce n’est pas la lange du peuple et cela protège celui qui le dit et celui qui l’entend. C’est pour cela que le passage dans une langue étrangère permet un travail que l’on n’arrive pas à faire dans sa langue maternelle. Pourquoi ? Parce que une langue étrangère permet une prise de distance dans un premier temps, Une étrangère n’est plus étrangère quand elle est « corporisée » j’ai envie de dire. On ne parle pas une langue sans être affecté par la langue. Cela n’existe pas. Dès que l’on apprend une langue nouvelle on est affecté par cette langue nouvelle, corporellement même.
Jean-Luc de Saint-Just
Il y a même pour certaines psychopathologies des symptômes qui disparaissent.
Nazir Hamad
Oui, c’est pour cela que nous les libanais ou les algériens quand on revient chez nous et on commence à reparler en langue arabe. On commence à entendre un accent nouveau, mais tu n’as pas vécu au Liban toi, tu as vécu ou ? Et ce qui est incroyable, c’est que l’on est toujours avec le vocabulaire ancien de cinquante ans. Il arrive parfois que lorsque je dis des choses cela fait rire les enfants. Pourquoi ? Ah ben tu parles comme mon grand-père toi. C’est à dire des mots effectivement qui ne sont plus vivant au quotidien.
C’est pour cela peut-être que l’éloignement sacralise, c’est l’éloignement de l’évolution d’une langue. On reste loin de l’évolution d’une langue vivante, qui elle continue à évoluer sans nous. Et bien qu’on continue à la comprendre, mais il n’y a plus ce lien dynamique et vivant avec la langue mère. C’est pour cela que ceux qui sont complètement coupés de leur langue de mère sont condamnés à rester avec une langue qui risque de se figer. Cette langue s’appauvrit petit à petit pour devenir je ne sais pas quoi par la suite. Ceci dit, c’est vrai qu’il faut revenir sur cette question, même si la grammaire arabe a été posée, écrite, deux siècles après, la grammaire arabe n’est pas tombée du ciel, comme le texte coranique. Pour écrire la grammaire arabe, il fallait revenir à la langue écrite et parlée. La grammaire était là. Il fallait qu’il y ait des linguistes qui s’intéressent à cette question et qui voulaient effectivement poser une base internationale pour une langue qui devenait petit à petit une langue internationale à cause de la propagation de l’Islam. On ne pouvait plus compter sur une langue qui n’a pas sa grammaire écrite, posée, définie. Pour apprendre l’arabe il fallait aussi présenter cette base aux autres musulmans.
Dans un premier temps de l’Islam, tous les convertis, non arabophones, à l’Islam, sont devenus arabes. Ils ont été adoptés par les tribus arabes. Jusqu’au moment où le nombre de convertis dépassait dix fois, mille fois, le nombre des arabes, c’est devenu absurde. C’est là effectivement où on a offert une grammaire avec la langue, pour l’apprentissage de cette langue et pour que cette langue devienne l’outil d’une population qui à l’origine n’est pas arabophone, mais qui sont arrivés à l’Islam par le biais du Coran.
Une participante
Il y a de la beauté dans une langue. De la beauté et puis je crois, j’en suis vraiment convaincue, une certaine forme de (inaudible). Lorsqu’on l’écoute et vous avez parlé un moment donné de la littérature, en faisant le lien avec l’enseignement de la langue. J’aimerai évoquer le poète et la poésie. C’est en lien bien entendu. Je trouve que dans l’enseignement d’aujourd’hui le poète, la poésie est écartée. Elle est totalement écartée. C’est douloureux quand on enseigne une langue étrangère parce que je rêve d’un cours qui commencerait, pas uniquement le cours de langue, le cours de mathématique, je ne sais pas, d’autres cours, où on commencerait par un poème. Tout simplement de la poésie ! Quelle langue enseigner, de l’arabe, de l’anglais, je suis enseignante d’anglais. Ce n’est pas si coupé. Ce n’est pas que les langues soient en contact, elles vivent, comme les êtres humains vivent ensemble. Les parlés sont en contact bien entendu, mais voilà je trouve qu’aujourd’hui la part instrumentale qui est accordée aux langues dans nos enseignements, du moins dans le secondaire, nous prive de ce qui est vraiment me semble-t-il fondamental. Ce qui peut ouvrir la pensée. On parle d’ouverture culturelle, mais l’ouverture culturelle c’est abstrait. Mais par contre l’ouverture de pensée, parce que la pensée on est en train de la façonner. En fait, on en fait quelque chose qui va à l’encontre de tout ce que la langue peut nous apporter comme beauté.
Nazir Hamad
Pour aller dans ce sens, est-ce que vous connaissez un psychanalyste qui s’appelle jacques Nassif ? A mon avis vous le connaissez tous. Jacques Nassif c’est un libanais qui est né à l’étranger parce que ses parents étaient des diplomates et donc il n’a pas appris l’arabe. Il a commencé à apprendre l’arabe sur le tard. Son professeur d’arabe lui dit : tu seras arabophone quand tu auras appris cinq mille vers de poésie par cœur. Tu commences par apprendre cinq mille vers de poésie par cœur et tu seras arabophone. Evidement que c’est difficile.
Une intervenante
Je voulais simplement parler d’une anecdote. C’est d’avoir entendu une patiente s’étonner. Une patiente française qui n’avait pas du tout d’origine étrangère et qui s’étonnait que pendant une période de sa vie chaque fois qu’elle rêvait de son amoureux, ils se parlaient en anglais. Elle ne comprenait pas. En fait, au niveau de ses associations cela est devenu très intéressant parce que dans sa famille chaque fois qu’il était question de sexualité, de relation amoureuse, et bien c’était très vulgaire. Les seuls mots, les seules paroles qui étaient à la disposition des parents. Il y avait probablement une culpabilité massive. C’était abordé comme cela. Elle avait sauvé quelque chose de son histoire amoureuse.
La deuxième chose que je voudrais dire. Tout à l’heure il a été question au sujet de l’écriture, du refoulement, mais je crois que nous savons que probablement l’apparition de la lettre est tout à fait liée à cette perte de quelque chose qui représente le corps. Lacan en parle très bien à plusieurs endroits. Dans cette leçon 6 du chapitre sur l’identification justement, ou le cheminement historique de la lettre, de la constitution de la lettre. Cela s’est fait parce qu’il a pu avoir du refoulement qui un jour a été.
Noureddine Hamama
Oui, oui, c’est très juste ce que vous dites parce que, comment le dire, n’importe quelle langue qui puisse être utilisée, la question de l’inconscient, la structure de l’inconscient reste un peu la même, parce que justement elle est plutôt faite de lettres, de lettres dans sa différence aussi. C’est pour cela, on en parlera peut-être la prochaine fois, moi j’essayerai de parler, mon titre sera : « existe t-il une langue pure ? » Odile parlait tout à l’heure de monolinguisme, mais elle ne voulait pas aller du côté du bilinguisme de structure. Même quand on parle une seule langue, on n’a pas à faire dans le réel à deux langues. On est frappé par la question du bilinguisme, de structure. Donc est-ce qu’on peut parler ? Est-ce qu’une langue peut être monologue ? Est-ce qu’il n’y a pas de l’altérité dans n’importe quelle langue ? Donc je poserais la question moi : est-ce qu’il y a une langue pure ? Et peut-être pour revenir à cette question du rêve, c’est vrai que parfois quand on pose la question à certains patients quand ils amènent des rêves ou il n’y a pas de discours, il n’y a pas d’expression. C’est que des images. On leur pose la question : vous avez rêvé dans quelle langue ? Et bien ils ne savent pas forcément dans quelle langue. Ce que vous disiez me rappelait il y a quelques années l’émission apostrophe. Je ne sais pas sais pas si vous vous souvenez avec Bernard Pivot. Il avait invité Tahar Ben Jelloun, écrivain marocain, mais qui écrit en français. Ben Jelloun maitrise très bien l’arabe littéraire et il lui a demandé pourquoi vous n’écrivez pas dans la langue arabe. Il lui a dit, je n’y arrive pas parce que c’est la langue de l’intimité. IL y a quelque chose qui vient frapper du côté d’un tabou. Du coup, je ne peux pas peut-être dire dans mon écriture, dans la langue arabe, ce que je peux dire dans mon écriture en langue française.
Annemarie Hamad
On pourrait juste opposer à cela ce qu’a dit à la même question le poète syrien Adonis. IL a dit : comment voulez vous que j’écrive ? J’ai qu’une langue dans laquelle je sais écrire. C’est toujours très individuel, c’est vraiment le rapport de chacun à sa langue d’origine.
Par rapport à cela je voulais juste ajouter un petit truc par rapport à la question des langues des banlieues, qui devient cette langue un peu rudimentaire. Je crois que, et vous venez de parler de l’inconscient, je crois que quand même beaucoup de ces enfants là portent dans la réception de ce qui leur est transmis de leur langue d’origine, le trauma de l’immigration. C’est une langue qui est douloureuse quelque part. Parce que comme pour les parents il s’agissait de se faire accepter, de souvenir, etc. On refoulait le trauma. Beaucoup de parents ont refoulé ce trauma et c’est les enfants qui en sont porteurs. Du coup, la langue d’origine, je crois elle est trop marquée par ce trauma. Et c’est pour cela que c’est formidable d’introduire l’apprentissage de l’arabe, pour que cette langue qu’ils connaissent et qu’ils n’arrivent pas à parler, qu’ils puissent la trouver aussi dans un autre contexte. Une fois qu’ils auront pu acquérir l’arabe de cette façon, il y aura aussi un autre accès à toutes les autres langues. C’est toujours comme ça.
Jean-Luc de Saint-Just
Annemarie peut-être peut-on penser que c’est d’autant plus un trauma que cette langue d’origine n’est pas bien accueillie dans le pays où ils arrivent. S’ils parlaient une langue qui était bien accueillie, enseignée, reconnue, dans ce pays, cela n’a pas du tout les mêmes effets. Ils pourraient être fier de leur langue, de leur culture et de son savoir. Là c’est le problème. Olivier Marion a suffisamment rappelé lors des premières rencontres à quel point la langue arabe était mal accueillie, pas enseignée, pas reconnue.
Noureddine Hamama
Elle est devenue une langue honteuse !
Nazir Hamad
Juste je vais rajouter quelque chose pour introduire une prochaine fois. Un champ sémantique n’est jamais monologue. La lecture est monologue peut-être. Quand on dit : je n’ai qu’une seule langue c’est faux. Personne n’a qu’une seule langue. Cela n’existe pas. Sauf quand on joue volontairement au sourd. Un champ sémantique pour l’inconscient présente une diversité de langues incroyable. L’inconscient procède de diverses manières procède, par homophonie, par translittération et par traduction. Ce qui veut dire pour nous quand on parle en français, consciemment je parle en français, je pense penser et parler en français, quelqu’un qui est polyglotte peut entendre une diversité de références linguistiques qui échappe à l’intention de celui qui parle et qui pense qu’il ne parle qu’une seule langue.
Dans le travail analytique, dans le rêve, quelqu’un là dit, nous découvrons qu’un champ sémantique c’est comme lalangue. Cela ouvre énormément d’hypothèses. Cela introduit énormément d’autres possibilités de lecture. Tous les analystes ont découvert cela à leur insu, dans leur travail avec ceux qui parlent plusieurs langues. Cela veut dire que quand je dis une phrase censée être une phrase en français on découvre que cette phrase est truffée d’autres signifiants, d’autres mots, d’autres significations. Cela n’appartient pas qu’à un seul champ sémantique qui se veut une langue pure. Cela n’existe pas. Donc, pour l’inconscient le champ sémantique c’est un peu comme lalangue. Il y entend plusieurs choses.
Restons attentifs aux rêves de nos patients, aux surprises de nos patients quand ils disent une phrase pour découvrir qu’effectivement quand ils pensent parler en français ils découvrent que les autres langues sont là aussi, qu’il y a des ponts qui laissent passer d’autres langues, d’autres signifiants. Cela relève de la spécificité de l’inconscient. L’inconscient ne s’enferme pas dans un champ qui se veut pure langue française même quand je ne parle que le français. Et bien non ! Et c’est là aussi que nous retrouvons la question de la dette. Apparemment l’inconscient est beaucoup plus reconnaissant de la dette symbolique que notre position consciente. Parce que notre inconscient nous apprend que nous ne sommes pas que français, nous ne sommes pas que mono langue, que cette langue que l’on parle que l’on pense pure, est absolument truffée d’autres apports
Une participante
Bonjour, je voulais juste réagir par rapport à ce que vous disiez concernant la langue arabe, et le fait que, si je comprends juste, en disant effectivement qu’à un moment donné la langue arabe devient une barrière à l’intégration. Je sais plus comment vous l’avez introduit. Vous avez dit, comme je suis le fil des discussions j’ai oublié dans quelle mesure vous avez conclu, je suis désolée. Enfin bref, tout cela pour dire qu’à un moment donné la langue arabe dans le vécu devient vite une barrière, par rapport aux immigrants, une barrière à l’intégration. Ce qui a été dit tout à l’heure. Dans la mesure ou on rentre à la maison, moi évidemment ils parlaient français parce que je suis d’origine algérienne, que mes parents on appris la langue française en Algérie, mais on revient à la maison et quelque part, le fait de… Enfin j’ai connu d’autres familles où le fait qu’ils ne connaissaient pas le français cela devenaient une barrière pour eux à l’intégration au sein de la vie sociale.
Nazir Hamad :
La seule barrière c’est quand il n’y a pas de langue. Comment un autiste s’en sort ? Puisqu’effectivement il est avec cette problématique : le refus peut-être, on ne l’appelle pas comme ça, ce refus de parler. Ce refus de la dette. Pourquoi on ne peut pas appeler cela comme ça, quelqu’un qui refuse la dette de parler. Effectivement, c’est une barrière. Il n’y a aucune langue qui fait barrière aux autres langues, à la culture ou à l’intégration. Vous savez Lacan parle d’un cas dans son séminaire sur les psychoses. Il parle d’un corse qui était clivé. Il le présente comme cela, qui était clivé entre deux langues. Les deux langues absolument étrangères l’une à l’autre. Il n’y a aucun pont qui s’est jette entre les deux langues. Quand il parlait en corse il devenait ordurier, alors qu’en français, il était tout le contraire. Lacan a découvert qu’effectivement c’était docteur Jekyll et Mr Hyde, qu’il y avait un clivage perpendiculaire entre les deux langues ce qui faitsait qu’il n’y avait aucune possibilité de jeter de pont d’une langue à l’autre. Mais là on est dans un cas de figure particulier. On a affaire à un psychotique. Effectivement on peut fonctionner comme cela dans une sorte de clivage qui n’a rien à voir avec la division. Autrement dit, quand on est dans cette situation, il y a quelque chose qui fait barrière, et cette chose qui fait barrière ne peut être que ce clivage. Ce clivage refuse toute possibilité de jeter des ponts entre une langue et une autre. Je ne sais pas si vous avez ce passage de Lacan, mais c’est clair dans la position de Lacan sur cette question. Pour moi c’est le seul moment ou une langue fonctionne comme une barrière.
Je ne sais pas si je vous ai compris.
La participante précédente
Je me suis peut-être mal exprimé. Ce que je voulais simplement ajouter, c’était le fait qu’une famille qui ne parlait pas le français de part son immigration économique, qui souhaitait cette intégration. Ce n’est pas une barrière au sens volontaire. C’est un sentiment de frustration et du coup cela devenait une barrière au sens qu’il fallait franchir une difficulté. Une difficulté plus qu’une barrière, mais en aucune manière je ne veux dire par là que la langue arabe est une barrière. D’accord ? Simplement une intégration qui est plus difficile.
Nazir Hamad
D’accord, j’ai mal compris.
Jean-Luc de Saint-Just
Comme cela a été évoqué plusieurs fois aujourd’hui, des analysants peuvent en parler, pas à leur niveau, mais à la génération précédente. Des analysants bretons qui disaient que pour leurs parents s’était une honte de parler breton à la maison, comme d’avoir des parents qui parlaient breton. Ce qui m’amène à deux questions.
Celle dont Nazir Hamad a répondu en partie dans son intervention, de savoir comment le français c’est mis en place dans ce pays. Tu l’as rappelé en imposant une langue pour unifier le pays puisqu’il y avait plein d’autres langues qui étaient parlées sur le territoire français.
Ce qui m’amène aussi une réflexion par rapport à l’origine de ce séminaire. D’une certaine façon ce séminaire c’est créé parce que pour ma part et celle de quelques autres, nous nous vivions comme privés de langue et de cette culture arabe. J’ai pensé qu’en tant qu’analyste, en tant que français, je me privais, nous nous privions de cette richesse et c’est le fait de ne pas avoir envie de s’en priver qui a été à l’origine de ce séminaire. Avec cette autre question, plus générale, de savoir ce qui fait que dans ce pays ou en Europe, je ne sais pas qu’elle délimitation en donner, nous en soyons arrivé là de nous priver de cette culture. Pourquoi nous sommes nous privés de cette culture ? Est-ce que c’est comme le dit Nazir Hamad pour éviter de payer la dette que nous devons aux arabes ? De toutes les découvertes qui nous amenés ? Nous devons énormément à la culture arabe, sur le plan de poésie, de la science, de la médecine, etc. Alors pourquoi en est-on arrivé à ce manque de reconnaissance ? A cette totale méconnaissance, au point comme le signalait Annemarie Hamad qu’il y a des ouvrages entiers de nos plus grands savants qui ont été entièrement copiés sur des textes arabes et dont on s’est empressé d’en effacer toute trace. Cela n’a jamais été réhabilité cette dette, cette reconnaissance, en tous les cas pas au-delà de quelques cercles d’initiés.
Ce serait quelque chose à mettre au travail, ce processus par lequel nous nous privons de ce trésor ? Comme toute langue et toute culture est un trésor.
Une participante
Vous avez parlez de honte un peu plus tôt. Parfois la honte peut être de l’autre côté tellement intériorisé, qu’en fait la honte c’est la honte de ne pas parler sa langue. Je ne sais pas si j’arrive à faire passer quelque chose. Il y avait une étude qui avait été menée, une enquête, un jeune qui avait été interviewé et qui disait ma langue c’est l’arabe, mais je ne la parle pas. Il s’identifiait avec l’arabe, langue qu’il ne parle pas, comme beaucoup de nombreux jeunes. On n’est pas allé plus loin dans compréhension, mais parfois cette honte… C’est ma langue, mais en fait ce dont j’ai honte et que je n’ose pas avouer quand je me dis d’origine, ce n’est même pas que je me dis arabe, d’origine arabe, c’est cette honte là.
Jean-Luc de Saint-Just
Cela m’évoque l’histoire d’un adolescent en Nouvelle-Calédonie qui racontait que lorsqu’il était dans son village et qu’il parlait canaque avec les anciens du village, il suivait sans difficultés les us et coutumes du village. Il parlait la langue, il n’y avait strictement aucun problème. Il se sentait bien. Il n’y avait pas de soucis.
Lorsqu’il rencontrait un ancien du village en ville et qu’il allait alors devoir lui parler canaque, il changeait de trottoir.
Nazir Hamad
Ecoutez, je vais être sévère avec les arabes parce que je suis le mieux placé pour le faire. Vous savez les nations, les civilisations, les cultures, c’est comme les individus. C’est-à-dire qu’il y a un moment quand un individu souffre il se pose cette question : qu’est-ce qui m’arrive ? Et pourquoi cela m’arrive ? C’est pour cela que quelqu’un qui est attentif à son inconscient prend le risque d’aller en analyse parce qu’ils veulent comprendre .
Il y en a d’autres qui en trouvent la raison à l’extérieur. C’est la faute du patron, c’est la faute du maitre, c’est la faute du voisin, c’est la faute du chien du voisin, c’est la faute de la voisine, ainsi de suite… C’est-à-dire se mettre à l’abri de se poser la vraie question. C’était la démarche de Freud dans Moïse et monothéisme. On n’a pas beaucoup apprécié la démarche de Freud, mais il avait raison parce qu’il y a un certain moment où il faut se poser cette question : qu’est-ce qui nous arrive ? Pourquoi cela nous arrive ?
Faire comme si cela n’a pas existé, la civilisation arabe, l’apport des arabes, ce n’est pas seulement une volonté manifeste de la part de ceux qui sont allés vers les arabes en tant que colonisateurs, et en tant que civilisateurs. C’est aussi la faute des arabes. C’est-à-dire qu’eux-mêmes sont étrangers à leur propre culture, eux-mêmes ne lisent plus leurs philosophes, leurs scientifiques, eux-mêmes n’ont plus d’accès aux livres.
Vous savez le nombre de livres qu’un arabe lit par an ? C’est navrant. Apparemment les français c’est maintenant la même chose, ils lisent de moins en moins. Tout le monde le dit. Autrement dit, ce qu’il y a de triste, pour ce qui arrive aux les arabes, c’est leur propre ignorance y compris de leur histoire, de leurs apports, de leur civilisation, de leur religion, de leur culture. On a affaire à un arabe pauvre, ignorant, en ce moment.
Les juifs qui sont là j’espère qu’ils me tolèrent de dire cela. Comme à un certain moment on a fait un archétype du juif. On est en train de faire cet archétype de l’arabe et du musulman en tant que le contre exemple. Comme j’ai beaucoup travaillé dans l’adoption, et qu’il m’arrivait de recevoir des candidats à l’adoption, à l’époque je posais toujours cette question aux gens : Quel enfant de telle ethnie ou phénotype, vous n’aimeriez pas prendre en adoption ? Cela revenait assez souvent dans la bouche de quelques uns, arabes, musulmans, noirs, et surtout les nord-africains. Dans un premier temps, j’ai réagi comme si c’était une position raciste. J’ai changé d’avis vite fait. J’ai demandé à un monsieur : vous pouvez me donner la raison ? Il m’a dit oui. Vous allez penser que je suis raciste. Je ne le suis pas. Je n’ai pas pensé cela de vous. Vous m’attribuez une parole qui n’est pas la mienne. Il m’a dit : écoutez, on est dans une situation ou il y a un discours social très fort. Un discours social qui désigne tout un groupe de gens, toute une culture, et je crains fort d’être défaillant face à mon enfant si je l’adopte. C’est à dire de ne pas avoir le courage de faire face à ce discours social. Voilà pourquoi je ne veux pas mettre un enfant en difficulté avec moi. Autrement dit, la difficulté est d’abord la difficulté de cet homme, avant que ce soit la difficulté d’un enfant putatif. Autrement dit, comment faire face à un discours social quand ce discours devient fort et ravageur ?
Voilà je dis à cet homme à un moment, qu’est-ce que vous faites si quelqu’un vous traite de, je ne sais pas, de con ? Il me dit, s’il faut je me battrais. Et je lui ai dit et dans ce cas là pourquoi votre fils ne se battrait pas, ou votre fille ne se battrait pas, si quelqu’un le traite de bougnoul, de sale race ou de sale arabe ? Il peut se battre. Il peut casser la gueule à quelqu’un. Il a le droit. Si quelqu’un me traite, je lui casse la gueule. On n’a pas besoin tout le temps de le faire, mais si il faut on peut le faire. Pourquoi il ne le ferait pas ? La question est là je pense. Nous n’avons pas tous ce courage moral, pour faire face à un discours quand ce discours dérape comme c’est actuellement le cas. Il y a même des gens qui sont intelligents qui ne sont pas racistes qui sont des guides pour les autres, qui adoptent ce discours parce que c’est le discours de la masse.
Elisabeth La Selve
Vous dites, comme c’est actuellement le cas. Comme c’est de nouveau le cas. Parce que l’exemple de cet homme, le père Freud était dans la même situation.
Nazir Hamad
Exactement ! C’est pour cela que je me suis référé à Freud et à l’archétype qu’on faisait des juifs. Ce n’est pas évident pour chacun de nous. Ce n’est pas parce que je n’ose pas, que je n’ai pas le courage moral face à un discours, que je suis raciste. Parfois je me fais tout petit. Je me sens coupable de me faire tout petit. C’est exactement ce qui vous arrive quand il y a quelqu’un qui est en train de se faire violenter dans le métro. Vous n’osez pas intervenir, ou une femme qui est en train de se faire violenter et vous n’osez pas intervenir. Ce n’est pas parce que vous êtes d’accord avec ce qui se passe que vous n’intervenez pas. Il vous manque le courage. Mais quand vous êtes plusieurs dans ce cas là on peut intervenir. Voilà pourquoi une langue peut devenir honteuse, une nationalité peut devenir honteuse. Pour l’ignorant c’est confortable. Il est dans le confort l’ignorant. Le raciste est dans le confort de ce qu’il sait. Il a des réponses ! Vous et moi on a des questions. C’est pour cela que c’est plus difficile pour nous que pour celui qui a des réponses. Moi je me pose des questions, de pourquoi ceci et pourquoi cela. Quand j’ai face à moi quelqu’un qui dit : je sais ceci et cela. Comment voulez-vous que l’on discute ensemble. C’est impossible ! C’est vraiment ce couple qui m’a ouvert les yeux pour dire, bon dieu, on est dans un moment, comme à un autre moment de l’histoire pour les juifs, comme pour les noirs, et tout cela. On devient couards, tous ! C’est l’époque de couardise. On est petit. Voilà pourquoi on n’ose pas réagir.
Jean-Luc de Saint-Just
Je trouve très bien pour ma part que nous finissions ce séminaire sur la question de la responsabilité, et donc sur la question de Pierre, avant qu’il ne soit saint, puisque c’est ce qu’il a rencontré, de manquer de courage face au discours social.
Je vous donne rendez-vous le 25 juin pour la prochaine rencontre.