Frédéric SCHEFFLER : "Trouble bipolaire : synecdoque ou maladie du siècle ?" :22/03/2016
Conférence du 22 mars 2016 - Frédéric SCHEFFLER
En préambule de mon propos je voulais vous donner quelques références, le numéro 42 du journal français de psychiatrie dont le titre est Psychose maniaco dépressive ou troubles bipolaire, le séminaire l’angoisse de Jacques Lacan, La folie maniaque-dépressive d’Emil Kraepelin, traduit par Marc Géraud aux éditions Mollat.
Le trouble bipolaire, avec ses deux pôles est actuellement une maladie qui toucherait pour la Haute Autorité de santé de 1% à 2.5% de la population française. D’autres études évoquent près de 7% de bipolaire dans la population. J’ai même trouvé un chiffre de 4 personnes sur 10 ! C’est une véritable épidémie, c’est un signifiant qui va toucher tout le monde.
J’ai trouvé d’autres chiffres étonnants et peuvent faire réfléchir, par exemple que le trouble bipolaire est plus fréquent chez les personnes nées après 1930, comment interpréter ce chiffre, nos parents ou grand parents seraient ils immunisés ?
Un autre exemple que les enfants ayant eu un diagnostic de trouble hyperactif avec trouble de l’attention sont plus sujet à ce trouble, sans cause génétique, alors quels sont les autres facteurs de liens ?
Ce serait un trouble est sous diagnostiqué en cas de dépression, en raison de l’absence de recherche d’épisodes d’hypomanie, l’hypomanie c’est si vous voulez c’est être en forme.
Akiskal, référence en ce qui concerne le trouble bipolaire en décrit en 1999, 8 variétés en fonction du tempérament associé. Il y en avait deux 15 ans plus tot.
Je vous donne en vrac, ces quelques chiffres tirés de la documentation scientifique actuelle pour vous montrer l’importance du trouble, ceux-ci vont croissant et ce diagnostic est de plus en plus fait par les médecins, mais aussi par les patients.
Au début de ma carrière, j’ai eu une activité essentiellement intra-hospitalière, asilaire et j’ai pu rencontrer de sévère épisodes maniques maniaques ou mélancoliques.
Les premiers maniaques que j’ai rencontré, je les aient trouvés drôles, des clown, ils faisaient le cirque, j’avais l’impression de voir un de ses personnages de dessin animé TAZ, un petit un petit diable de Tasmanie humanisé, il est très amusant, il bouge sans cesse, s’accapare tout l’écran, mange et détruit tout ce qu’il voit. J’ai vite déchanté, quand j’ai été obligé de faire venir des renforts pour éjecter le patient de mon bureau : il n’arrivait pas à s’arrêter de parler, c’est insupportable. Il ressemblait plutôt à une balle de squatch ballottée dans tous les sens, détruisant tout sur son passage, hors des lois, véritable objet tendant à s’exclure, à choir de la société. Il n’avait pas la liberté de pouvoir s’arracher à cette chaine signifiante, prisonnier de cette métonymie ludique et infinie des purs signifiants pour reprendre J.Lacan.
Avec le temps j’ai vu revenir dans le service les mêmes, mais ne parlant plus, ne bougeant plus, ne mangeant plus, dont les fonctions corporelles se sont arrêtées, se présentant comme une sorte d’amas de matière corporelle. C’est pénible un mélancolique à l’hopital, il y a peu de paroles, et les seules qu’ils expriment c’est qu’il n’y a rien à faire pour eux, sinon de les aider à mourir, il n’y a pas moyen de les raccrocher à quelques idée positives, rien ne les stimulent. Plus rien ne les intéresse. Maria Rilke écrivait dans une lettre « Nous sommes seuls, en effet, face à cette étrangeté (la tristesse) qui est entrée en nous ; car, pour un temps, tout ce qui nous est familier, tout ce qui est habituel nous est ravi ». C’est ça la mélancolie, il n’y a plus d’affects.
Il y en a d’autres qui se sont venu demander de l’aide, des personnes demandant des soins parce que ils n’avaient pas la forme tout le temps, pas envie d’aller travailler, ils restaient devant la télé, ils n’avaient pas envie de sortir, cet état durait quelques jours, cela passait, redevenu dynamiques, reprenaient le sport, les sorties, les envies, le sourire et la facilité de parler : cela apparait comme quelque chose de tout à fait dramatique pour eux, ces épisodes de passages à vide..
Au niveau physiopathologique, et non pas psychopathologique, le trouble bipolaire est proche de l’épilepsie, Je ne sais pas si vous le savez, mais dans l’épilepsie nous pouvons, quand cette maladie résiste aux médicaments, implanter des électrodes intracérébrales pour couper court à la crise par stimulation électrique. Dans la bipolarité certaines recherches vont dans ce sens, il est possible de mettre un neurostimulateur qui permet de faire varier l’humeur. Lors d’un congrès de psychiatrie, j’ai pu voir une vidéo étonnante. Un homme d’une cinquantaine d’année avait une sorte de potentiomètre avec un bouton bipolaire plus et moins relié à son cerveau. Durant ce film nous pouvions voir les effets du plus : une excitation psychomotrice, et du coté moins : un effondrement subjectif. Il était une véritable marionnette du potentiometre.
Bipolaire, c’est un signifiant qui traine partout. J’ai trouvé un forum sur internet qui s’appelle Bipolaire, be different, be present, be pote. Ca fait plus chic que psychose, moins grave, moins fou, un peu comme Asperger, c’est de bonnes cartes de visite, cela fait signe.
Il y a des patients véritablement hallucinés, faisant partie intégrante d’association de bipolaire, je veux dire qu’ils sont secrétaire président ou trésorier. C’est choquant car l’hallucination auditive c’est un symptôme bien spécifique, bien structuré, quasiment pathognomonique d’une psychose qui n’a jamais fait partie du tableau de la psychose maniaco-dépressive jusqu’à ces dernières décennies.
La psychose maniaco dépressive a été de tout temps liée à la créativité. J’ai mis un tableau de Garouste peintre et bipolaire sur l’affiche, mais de nombreux créateurs ont été associé à cette folie, Gérard de Nerval, Robert Schuman, Phillip K.Dick.
Déjà Aristote posait cette question, « pourquoi tous les hommes exceptionnels sont-ils manifestement des mélancoliques, un certains nombres d’entre eux étant même à la vérité affectés de syndromes maladifs ». Le lien entre la maladie et dépassement intellectuel a depuis longtemps fait couler de l’encre. Aujourd’hui des études suédoises mettent en évidence un lien entre réussite scolaire et apparition d’un trouble bipolaire ou schizophrénie.
Dans notre culture moderne, la réussite sociale, les exploits individuels sont portés au pinacle. Un des prototype de cette réussite est celle du Trader, cela été bien filmé dans le loup de Wall street. On y voyait Di caprio sniffant de la cocaïne tout le long du film dans un état d’hypomanie continuel.
La cocaïne, c’est le produit dont les effets sont le plus proches d’un état hypomane. La cocaïne, si elle se démocratise, n’est pas utilisé dans n’importe quel milieu social, c’est une drogue de notre temps, cela rends plus performant, plus actif. Une étude montre qu’elle est utilisée par 40% des étudiants en dentaire à Marseille. C’est une course à l’efficience et à la rentabilité de la bipolarité
Notre le sujet contemporain courre après tous les objets proposés, il n’y a plus de coupure, plus de rythme.Il est pris dans un état d’hyper connexion, surfant d’une chaine a l’autre, d’un site a l’autre, jamais débranché.
Alors, la question de la bipolarité dans cette actualité, si nous regardons un peu plus loin, cela dépasse la question de pleurs ou de rire, d’excitation ou d’ennui. Notre société a perdu le rythme, c’est à flux continu. D’ailleurs Il n’y a plus de jour des fous, ni Carnaval, ni carême. Ces rythmes sociaux symbolisant le temps, les saisons, ont été abolis par notre société consumériste.
Il y a une tradition tahitienne qui s’appelle LE Fui, c’est entre la gueule de bois et la dépression qui est tout à fait bien tolérée dans les îles, les personnes atteinte de fiu peuvent se retirer de la société quelques temps sans que cela apparaisse anormal.
A l’opposé récemment est sortie la dernière version du manuel des maladies psychiatriques, et chose qui fait encore débat, c’est l’absence de l’exclusion du Deuil dans le diagnostic de dépression, cela fait débat parce que derrière tout cela, si vous avez eu des moments de tristesse ou d’excitation auparavant, cela justifie la prescription d’un normothymique. Il n’y a plus de temps pour les pleurs.
Vous voyez comme dans notre social la question de la bipolarité est loin d’une psychose maniaco dépressive, les deux pôles de cette bipolarité sont considérés de façon extrêmement différente, la gloire pour les maniaques, l’hôpital et l’exclusion pour les mélancoliques.
Alors par apport à tous ces éléments, comment s’en sortir, comment avoir une approche honnête. Je pense qu’on ne pas comprendre la question du trouble bipolaire et de la psychose maniaco-dépressive sans en reprendre les origines.
C’est assez complexe, les origines de la bipolarité, ces deux états ont été décrits souvent comme indépendant et ont eu chacun une histoire propre.
Quatre siècles avant Jésus christ, dans la Grèce antique, Platon sépare la folie en deux ordres, la folie d’origine humaine, liée à un dysfonctionnement du corps, et la folie d’origine divine empêchant l’exercice normal de la raison. Cette dernière est celle du devin, de l’amant, du poète, du Chaman.
Hippocrate évoque dans « les aphorismes », une maladie sacrée, celle-ci regroupe trois états, l’épilepsie, la manie qui regroupe les états de folie agitée, et la mélancolie correspondant à une noirceur de l’âme. La physiopathologie d’Hippocrate évoquait des excès des humeurs, de bile noire ou dorée, chaude ou froide et il attribuait l’envie de chanter et des égarements de l’esprit à un échauffement excessif de la bile noire. Ces principes sont restés longtemps dans la médecine occidentale.
Du coté oriental, au premier siècle, Arétée de Cappadoce à décrit très précisément manie et mélancolie, ses textes semblent décrire un tableau clinique proche que ceux que nous connaissons, il est le premier à supposer un lien entre les deux états : La mélancolie est pour lui une demi-manie.
Ce travail a été poursuivi par la médecine arabe. Ishaq ibn Imarâm, médecin, rédacteur d’un traité sur la mélancolie, évoque tristesse et crainte mais il décrit des mélancolies avec rires.
Mélancolie en arabe se dit « malinkhoulia» dont une partie du mot signifie ou évoque le chuchotement. Ce n’est qu’au onzième siècle de notre ère que Constantin l’Africain a permis par ses traductions que ces textes arrivent en occident.
Il est difficile de faire une histoire univoque de ces deux concepts antérieurement au siècle des lumières, les paradigmes du moyen-âge différenciant manie et mélancolie. D’un côté la manie signifiant au sens large ce qui était considéré comme une folie, de l’autre le mélancolique atteint d’une punition divine, sans recours possible au confiteor, et intéressant plus volontiers les hommes de lettres, les religieux ou les philosophes.
A la fin du siècle des lumières, Pinel publie son « traité médico-philosophique de l’aliénation mentale ou la manie ». Il est suivi par son élève et associé, Esquirol qui lui publiera « des maladies mentales ». Ces deux textes posent les bases de la psychiatrie française.
Leur théorie est basée sur deux points importants, l’absence d’une origine mentale ou psychique de la folie, et l’excès de passion qui perverti la raison.
Ni le raisonnement, ni la pensée pour eux n’est atteinte.
La manie est encore un terme équivalent de folie, leur nosographie divise l’aliénation mentale de la façon suivante les maniaques dont les lypémaniaques, les passionnés tristes d’Esquirol évoquant nos mélancoliques, les déments équivalents des schizophrènes ou des déments séniles, les idiots qui regroupe toutes les maladies mentales apparues pendant l’enfance.
Durant la restauration, Magnan évoque aussi des états de manie et de mélancolie présent de façon successive chez les mêmes patients, il les nomme intermittent. Il reprend pour cela les travaux de ses maitres, Falret et de Baillarger qui avaient publié quelques années plus tôt et à deux semaines de distance chacun leur article « De la folie circulaire » et « De la folie à double forme » rompant avec la théorie d’Esquirol et Pinel.
De l’autre côté du Rhin, en Allemagne, Emil Kraepelin, débarrasse la psychiatrie des derniers vestiges nosographiques de Pinel ou d’Esquirol. Le binôme mélancolie-manie est opposé à la paranoïa. Et pour cela il définit dans la huitième édition de son Traité l’entité clinique de « Psychose ou maladie maniaco-dépressive».
Cette période, aboutissant au début du XXème siècle, marque le passage à la psychiatrie moderne. En 1854, Dans « la folie circulaire » JP Falret le premier, insiste sur la dimension d’intermittence et de répétition, La folie circulaire est caractérisée par l’évolution successive de l’état maniaque, de l’état mélancolique et d’un intervalle lucide plus ou moins prolongé. Cette maladie, plus qu’être caractérisée par une quantité de délire, de tristesse ou d’agitation est déterminée par une tri-polarité, trois états se succédant dans un ordre particulier.
Pour Kraepelin, ce n’est pas tant la succession de ces trois états qui fait le trait de la pathologie, mais plutôt une certaine façon de parler, un certain rapport au langage.Pour lui ce n’est pas l’humeur, en effet celle-ci peut être triste et gaie dans les deux cas, le patient ne sachant s’il doit rire ou pleurer.
Ce passage du rire aux pleurs est une expérience encore commune, fréquente et déjà décrite par les médecins arabes du moyen âge.
Pour Kraepelin c’est que cette question de l’affect n’est pas dissociable de la pensée. Ce qui fait trait c’est la fuite des idées et l’arrêt des représentations : c’est-à-dire une certaine désaffection du rapport au langage : pour les maniaques les mots filent sans liens autre que coq à l’âne ou assonance, la chaine signifiante s’emballe et n’est plus crochetée par un point de capiton,
les mélancoliques eux se plaignent de ne plus sentir, de ne plus voir, de ne plus être comme auparavant ; Jules Cotard évoquait pour cela la perte de la vison mentale, aucun affect n’est associé à une image mentale. C’est l'anesthésie affective c’est-à-dire « je n'éprouve plus rien », ce n'est pas être triste, c'est « je ne peux plus ni être triste, ni être gai, je ne ressens plus rien, à la vue de mes enfants, à la vue de mes petits enfants».Le mélancolique n’éprouve plus rien il apparait ne plus être affecté par le signifiant.
Deux remarques importantes :
Si les maniaques semblent affectées par tout ce qui les entoure, avalée dans la grande gueule du grand autre, par les signifiants, comme le dit Czermak, la fugacité des représentations, le fait de mettre les mots les uns à côté des autres comme dans cette ritournelle enfantine « marabout bout de ficelle selle de cheval, cheval de trait » vient faire disparaitre toute représentation et ceci comme dans la mélancolie.
Ma deuxième remarque et que si les mélancoliques sont peu volubiles, ne s’expriment pas, chuchotent, leurs écrits sont souvent touffus, diffluant et évoquent la fuite des idées des maniaques.
Cette conception de la psychose maniaco-dépressive est resté sensiblement identique jusqu’aux années 80.
Il y a bien eu la conception de la dépression endogène et exogène, celle sans facteurs externes s’apparentant à la mélancolie, et aussi le trouble unipolaire de Karl Léonard en 1957. Il avait partitionné les mélancoliques en deux classes, ceux qui ne faisant que des épisodes mélancoliques, les unipolaires qui appartenaient au grand ensemble des dépressions, et ceux qui alternaient les phases, les bipolaires. Cette bi partition a été reprise par Angst et a inspiré en 1980, par la classification du DSM. Cette publication a marqué un tournant dans la nosographie et la psychiatrie française.
Le DSM est un annuaire des maladies psychiatrique américain, qui avait pour but d’unifier les diagnostics des psychiatres et de pouvoir les standardiser pour faciliter la recherche médicale ou pharmaceutique. Cela a permis aussi aux assurances américaines de prendre d’en charge certaines, un peu comme ici l’assurance maladie accorde une prise en charge à 100% pour certaines maladies.
Cela a supprimé les éléments pouvant être sujet à discussion, c’est-à-dire à interprétation plus ou moins dogmatique du médecin ; Cela abouti à des critères purement symptomatiques au détriment de la structure qui pour devenir univoques et détectables par tous s’approchent du bord comportemental des pathologies. Une des conséquences est une catégorisation sociétale et normative des désordres mentaux.
Kraepelin a essayé de délimiter la psychose paranoïaque de la PMD, Karl Abraham a travaillé sur les rapprochements entre la névrose obsessionnelle et les phases intercritiques des PMD, Freud sur la mélancolie et le deuil, objet d’amour introjecté, ou l’ombre d’objet tombe sur le moi.
Le DSM par sa classification, oppose les psychoses aux troubles de l’humeur dont fait partie le trouble bipolaire et les différentes variétés de dépressions.
La classification sur ce critère émotif qu’est l’humeur, outre de se reposer sur les classifications de Angst a découlé de théorie et d’études américaines. Elles montraient que tout comportement était lié à l’émotion, et qu’en contrôlant l’émotion on pouvait contrôler le comportement. L’émotion est devenue alors le moteur de ce qui anime l’humain.
Les critères diagnostiques du DSM de l’accès manique est l’apparition d’un période pendant laquelle l’humeur est élevée, expansive ou irritable avec une augmentation de l’activité physique. Ceux de la mélancolie sont ceux d’une dépression majeure, équivalent grossièrement à un deuil, avec des idées délirantes limitées le plus souvent à des idées délirantes de culpabilité.
Cette classification a une conséquence c’est que le trouble bipolaire n’appartient plus au domaine, au spectre comme nous pouvons le dire, des psychoses.
Si ce point n’a pas trop d’effet sur les médecins, en effet il suffit de s’entretenir avec une personne durant un moment de normalité pour se rendre compte que sa relation au monde ou aux autres reste bien particulière, pour le public cette sortie du monde des psychoses, normalise cette maladie à l’évolution dramatique, voire sublime ce signifiant du côté d’une position sociale valorisée, celle de la réussite.
Alors la question, c’est de savoir ce que nous, en tant que psychanalyste, mais aussi pour certains psychiatres, ce qui nous permettrait de nous retrouver y dans cette classification.
Certains cas versent plutôt, dans le cas des formes délirantes, du côté de la psychose, d’autres d’un trouble de l’humeur réactionnel névrotique comme dans la dépression.
Une autre question, c’est que pour les sujets psychotiques, en reprenant les standards du DSM, la psychose n’est pas patente lors des intervalles libres. C’est qu’avec les traitements neuroleptiques, certains psychotiques pourraient être dits stabilisés, leur propos n’évoquent pas de premier abord une psychose et cette stabilisation peut être confondue avec cette troisième phase de la maladie bipolaire.
Il y a une théorie moderne qui résout cette question, c’est celle la théorie dimensionnelle, c’est-à-dire qu’il existe un continuum entre les différentes pathologies, les différents états, de la dépression à la manie en passant par le délire.
Ça a l’avantage de tout unifier, faire du 1, on est tous pareils, seulement quand même, le délire d’un maniaque n’est pas généralement le même que celui d’une érotomane, et le délire d’une femme érotomane encore différent de celui d’une passion féminine.
Vous entendez ce qui est confusionnant, c’est que maintenant avec les neuroleptiques, le lithium, les antiépileptiques, les antidépresseurs, c’est que cette question de structure n’a plus la même importance, du point de vue médical : les médicaments ça marche dans la plupart des cas et ça marche sur cette question symptomatique comportementale que je questionnais tout à l’heure.
Vous connaissez sûrement cet adage répété, la psychose c’est la forclusion du nom du père, la forclusion est à la psychose ce que le refoulement est à la névrose, c’est une défense. C’est le fait qu’un psychotique ne peut pas être représenté par des signifiants. Ce signifiant faisant retour dans le réel sous forme d’hallucination. Lacan a développé cette notion dans le séminaire 3 , à partir de la psychose paranoïaque, en montrant qu’il y avait une défection du symbolique.
Il s’avère que cela pose question d’aborder la Psychose Maniaco Dépressive, qui classiquement n’hallucine pas, par cette forclusion.
Le mélancolique, ce qu’il énonce, c’est pas qu’il est triste, même s’il en a l’air, c’est qu’il est bon à rien, inutile, qu’il est un déchet, une pourriture qu’il appelle à sa disparition pour libérer la terre de sa présence, si vous le laisser comme ça, il développera , comme dans le syndrome de Cotard, un délire d’immortalité et d’énormité, à la fois mort et vivant, petit et immense.
Ce côté de déchet évoque naturellement la question de l’objet, et que justement, cela coule de source que ce qui parle par sa bouche, c’est l’objet a, qu’il est l’objet a .
Ce triomphe de l’objet a dans la mélancolie ça supprime la dimension narcissique, cette dimension on l’appelle l’idéal du moi que Lacan écrira i(a).
« L'objet, dit-il, est d'habitude masqué derrière la dimension narcissique - i(a) l'image qui vient masquer l'objet a qui est donc pour cela entre les parenthèses - C’est-à-dire que le moi idéal est là pour que l'objet soit masqué dans son essence, c'est ce qui nécessite pour le mélancolique de passer au travers de son image ». Pour reprendre Thierry Jean on peut le dire autrement, dans la mélancolie, l'objet traverse l'écran, c’est-à-dire que l'imaginaire n'est plus là pour faire tampon, pour faire écran entre le sujet et l'objet, d'où la proposition de Marcel Czermak : le sujet s'équivaut dès lors à l'objet.
Le problème avec ces patients, c’est que nous n’arrivons pas à les convaincre, à les convaincre qu’il y a un au-delà, autre chose, il n’est pas possible d’avoir recours à l’imaginaire, le patient n’y a pas accès. La mélancolie ça exclue la dimension de l’imaginaire.
Le maniaque ce qu’il énonce c’est autre chose, Kraepelin le décrivait ainsi, « Un objet tombe sous leur regard, une inscription, un bruit fortuit, un mot qui résonne à leurs oreilles sont aussitôt introduits dans leur discours et peuvent susciter une série de représentations soit similaires soit associées uniquement par une habitude linguistique ou assonante ».Czermak lui dira que le sujet est pris, sans défense, happé par la grande gueule de l’autre. Lacan dira sur la manie dans le séminaire l’angoisse que c’est « la non fonction de l’objet a, sa non mise en fonction et non pas sa simple méconnaissance qui est mis en cause, c’est-à-dire que le sujet en quelque sorte, il n’est plus lesté, et donc il est, comme je le disais tout à l’heure, livré, comme balloté en quelque sorte à la métonymie infinie de la chaine signifiante ».
Ce qui a une conséquence c’est que tous les mots ont la même valeur, la question des oppositions signifiantes comme dans la mélancolie n’est plus la règle.
Cette non fonction de l’objet, ça ne le met peut être pas du côté du sujet, sinon à n’être que pure supposition, non barré, pur sujet entrainant une course effrénée pour boucher le trou.
Je vous rappelle la formule du fantasme Lacanienne, S barré poinçon, petit a, d’un côté du symbolique, de l’autre du réel et entre le poinçon imaginaire. Le phantasme, c’est ce qui vient tamponner le lieu des signifiants, nous dit Vandermersch, la gueule de l’Autre, « dont nous pouvons donner la forme d’un trou sans fond », un trou sans fond c’est comme Wikipédia, chaque article renvoie sur un autre article, c’est sans fin, sans limites.
Pour le maniaque, le poinçon a viré, S est en prise directe avec petit a. Il y a une forclusion de l’imaginaire.
Pour conclure j’aimerais pouvoir encore vous faire part, à partir de ces points, les éléments conceptuels communs entre les deux états, éléments qui apparaissent dans les moments plus calmes, la troisième phase celle qui fait lien. Charles Melman parle de dissociation des éléments du fantasme, avec une alternance d’une des deux lettres que le poinçon ne viens plus lier, d’un côté le sujet non barré, hors limite et de l’autre la jouissance de l’objet déchet. Cette absence de structure fantasmatique fait aussi absence lors d’une cure ou tout du moins d’entretiens prolongés.
On évoque un rapport spécifique à la langue. Melman évoquera cette position particulière en évoquant la position d’un sujet par apport à une langue étrangère : le sujet devant vivre dans une langue étrangère est soumis évidemment au refoulement et à la castration. Cette castration mise en place par la métaphore paternelle est réalisée dans la langue d’origine du sujet.
S’il existe un refoulement dans cette langue étrangère, le sujet même s’il y participe, il n’y est pas engagé. Il s’y engage pour de rire, pour semblant, il ne s’y engage pas symboliquement.
Cela éclaire un peu ce que ces patients montrent, le jeu des associations est possible, la métaphore qui met en place la barre, le refoulement dans lalangue pas vraiment réalisé fait que les interprétations que nous pouvons lui faire sont accueillie avec étrangeté. Cela explique aussi certaines suppléances lors de périodes de stabilité ou ces patients se soutiennent de pouvoir naviguer entre deux langues.
Un des moyens pour ces patients de suppléer à l’identification imaginaire à l’autre, c’est parfois par la présence d’un proche, femme, mari. La séparation entrainant chez ces patients une rechute pour le moins brutale, et parfois définitive.
J’espère ce soir avoir pu vous faire faire un tour de cette bi polarité, pour vous montrer que ce n’est pas si évident que faire une clinique coupée en deux, et qu’il y du trois ce qui permet de lier cette double polarité, sans en passer par un système unificateur comme par exemple cette théorie dimensionnelle.