Pierre AREL : LES TROIS CORPS DU MOI : VOUS AVEZ DIT PSYCHOSOMATIQUE ? 2017
LES TROIS CORPS DU MOI : VOUS AVEZ DIT PSYCHOSOMATIQUE ?
Conférence de Pierre AREL
Parler de psychosomatique pose un certain nombre de difficultés, dont la première est celle de son nom. C’est pourquoi je vous propose un titre en deux parties, « les trois corps du moi » d’une part et « vous avez dit psychosomatique ? » d’autre part. Je vais y venir à l’instant.
En ce qui concerne la réception de ce que nous pouvons dire à partir de la psychanalyse, il est avéré que nous ne rencontrons pas moins de difficultés à être entendus dans notre société que Freud en son temps ou Lacan dans le sien. Nous ne rencontrons certainement pas les mêmes difficultés, mais nous n’en rencontrons pas moins. Et parmi ces difficultés, il peut nous être reproché soit de radoter, de dire des choses qui sont un peu vieillottes, soit au contraire, et cela ne nous est même pas reproché, mais ce que nous pouvons dire de particulièrement nouveau va être parfaitement inaudible, parce que nouveau, parce que cela n’a jamais été dit, et peu de gens finalement ont le souci de savoir ce que nous pouvons dire de nouveau à partir de la psychanalyse.
Donc ce soir, je vais m’efforcer de vous faire entendre la nouveauté, même si elle a plus de 70 ans maintenant, de cette tripartition du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire, et de la force qu’elle peut avoir par rapport à l’impasse que constitue la découpe psyché-soma. Parce que cela fait quand même quelques millénaires que notre civilisation tourne avec cette distinction psyché–soma, du côté religieux c’était la distinction de l’âme et du corps. Nous pouvons faire un répertoire, que je ne ferai pas ce soir, des impasses auxquelles cela mène. Dans le champ du soin nous en sommes encore à cette distinction psyché-soma, ce qui fait que, vous l’entendrez dans mon exposé, je réemploierai ce terme de psychosomatique, que nous employons toujours, parce que nous avons fait un appel chez les psychanalystes à trouver un terme qui serait meilleur que celui de psychosomatique, mais quand on veut parler de ces questions on revient sur ce terme de psychosomatique, faute d’en avoir trouvé un meilleur, qui reste audible au-delà des cercles extrêmement restreints des gens qui s’intéressent à ces questions.
Et vous remarquerez que chez les médecins en particuliers, enfin chez les soignants en général, il y a les somaticiens d’un côté et les « psys » de l’autre. Ce qui est dommage parce que ça cantonne chacun dans son domaine. On peut y voir aussi une autre impasse qui, du fait que pour ce qui est du soin la médecine est prééminente, en particulier lors de la formation, incite les psychiatres à faire beaucoup d’efforts pour dire que eux aussi sont préoccupés du somatique, du corps. Cela pour échapper à la critique que les psys sont des esprits un peu éthérés. Mais il ne faut pas avoir lu une ligne de psychanalyse pour soutenir les choses ainsi. Dès les premières élaborations de Freud puis de Lacan le corps est là, et il est d’autant plus présent qu’il est pluriel. C’est un corps qui est souffrant, qui est angoissé, mais pas seulement, c’est un corps jouissant, un corps désirant, un corps pulsionnel. Il est aussi un corps qui a une image, une représentation, et il a aussi un statut social, avec des devoirs et des droits. D’où mon titre « les trois corps du Moi » qui fait un jeu de mot avec « les deux corps du roi ». Considérez qu’il y a deux corps pour le roi. Quand il se disait « le roi est mort, vive le roi », il se faisait entendre qu’il existe en-dehors du corps corruptible et mortel de celui qui est nommé roi un autre corps qui le faisait tenir comme roi, un corps institutionnel. Et considérer qu’il y a deux corps nous décentre déjà de ce matérialisme du corps. Mais pour nous sortir de ce matérialisme-là, mieux vaut considérer qu’il y a trois corps. Pour Freud les oppositions de termes vont toujours par trois, l’Inconscient, le Préconscient et la Perception-Conscience, ou le Moi, le Ça et le Surmoi, et pour Lacan il y a principalement, mais il y a d’autres ternaires, il y a ce ternaire Réel, Symbolique et Imaginaire qui est éminemment présent dès son premier séminaire et qu’on peut même retrouver dans ses élaborations les plus précoces comme celle des complexes familiaux. Dans ce ternaire-là Réel, Symbolique et Imaginaire, ce peut être un substantif, c'est-à-dire une instance, mais ce peut aussi être un adjectif, il va parler d’identifications réelles, symboliques et imaginaires ou encore de nominations réelles, symboliques imaginaires. Eh bien cette tripartition nous pouvons l’employer pour le corps et parler ainsi d’un corps réel, d’un corps symbolique et d’un corps imaginaire. Et c’est ce que je vous propose de faire ce soir.
Commençons par le corps réel, par définition ce devrait être celui dont on parle en dernier puisque que ce terme de réel implique qu’il échappe à la représentation, et que nous pouvons seulement déduire qu’il est bien là parce que nous nous sommes heurtés à lui, ou avec lui d’ailleurs. Mais justement dans l’après coup qui est le nôtre, nous pouvons dire que nous arrivons dans la vie comme un corps réel, réel pour nous même, puisque nous n’avons aucune représentation de ce qui peut nous arriver lors de notre naissance, mais réel aussi pour les parents qui sont peu ou prou démunis devant ce petit corps mal fichu qui ne sait rien faire, ces trois kilos de chair à qui il va falloir apporter des soins, donner un nom et bien plus encore. Ce corps est donc réel mais pas seulement, parce que d’emblée il va avoir affaire à une dimension imaginaire et à une dimension symbolique. Aujourd’hui nous donnons une part énorme à l’organicité de ce corps contrairement à une époque pas si lointaine où les déficiences de ce corps étaient interprétées de manière fantasmatique. Un exemple un peu anecdotique, pour vous donner une idée de comment on pouvait fantasmer les choses : un enfant qui naissait avec une tâche vasculaire sur le corps, on allait dire que sa mère avait eu une envie de fraises, enfin des choses fantaisistes comme cela. Il y a eu cette imaginarisation qui était très présente jusqu’à l’arrivée de la science biologique et de la biologisation de la médecine. Et aujourd’hui le souci est donné à la recherche plutôt d’une malformation, d’un dysfonctionnement génétique ou congénital et d’apporter les soins les plus adaptés à la physiologie de ce petit corps, petit corps qui est gravement prématuré même quand il naît à terme, parce qu’il ne sait rien faire et qu’il est extrêmement dépendant des soins qui peuvent lui être apportés.
Mais ce souci ne suffit pas, ça ne suffit pas de donner à manger à l’enfant, de lui permettre de dormir le temps qu’il faut, d’être dans un univers protecteur, sain, ou encore de participer à son éveil moteur. Il lui faut autre chose qui est à chercher du côté de la personne qui donne les soins, la mère le plus souvent, qui fait appel non seulement à ses connaissances sur ce dont peut avoir besoin un enfant, mais aussi à un savoir qui lui permet à la fois de distinguer ce qui est du registre du besoin, puisque que lorsque l’enfant pleure la mère va dire, -c’est elle qui va interpréter cela comme ça-, elle va dire « il a faim, il a froid, il est fatigué ou il souffre », enfin ça arrive moins souvent, mais de temps en temps la mère va dire bon là ça ne se passe pas comme d’habitude, il y a autre chose, il peut y avoir une souffrance ou une maladie. Et puis, pareillement, ses pleurs peuvent être interprétés du côté du registre de la demande, et cela dès les premières semaines, dès les premiers mois, lorsqu’un enfant pleure parce qu’il veut être pris dans les bras, ou qu’il veut rester dans la chambre de ses parents.
Les effets de ce savoir sont très rapidement repérables en ceci qu’au bout de deux-trois mois, pour certains enfants, un rythme est trouvé entre la prise des repas, les moments d’éveil et de présence à l’autre, et les temps de sommeil. Et pour d’autres au contraire ce rythme ne se trouve pas. Les repas ne sont ni faits ni à faire, les moments de convivialité sont gâchés par une insatisfaction énigmatique, et le sommeil lui-même vient sans respect aucun de la vie sociale des parents. C’est ce qui se passe notamment pour des parents que vous voyez arriver dans votre cabinet épuisés. Ils n’ont pas dormi une nuit complète depuis la naissance de leur enfant, et cela depuis des mois, voire plusieurs années et dans le meilleur des cas ils se posent bien des questions sur l’efficience de leur savoir pour s’occuper de cet enfant. Est-ce que ça faute du côté des soins apportés à l’enfant ou bien du côté des égards portés à cet enfant ? Egards qui vont faire que dans certains cas l’Autre, c’est-à-dire le parent est trop présent, il est trop insistant dans sa demande de reconnaissance vis-à-vis de l’enfant, et dans d’autres cas il est trop distant, trop indifférent, trop silencieux aussi, c’est-à-dire aussi trop muet par rapport à cet enfant. Quoiqu’il en soit cet Autre peut rester par trop réel pour l‘enfant faute de mise en jeu des deux autres corps, le corps imaginaire et le symbolique. Ce qui vaut aussi pour le corps imaginaire et le symbolique des parents.
Alors venons-en au corps imaginaire. C’est le corps qui vient trouver sa consistance dans l’image qu’il découvre dans le miroir, dans cette image de lui-même, et qu’il ne connaissait que chez l’autre jusque-là. C’est-à-dire qu’avant de se reconnaître dans cette image, il a pu repérer que l’autre a une consistance comme ça un peu finie, il peut voir tous les contours de son corps. Alors qu’il n’avait de lui-même qu’une image partielle des bouts de son corps, ses mains, ses pieds…Par cette image complète de lui-même, il peut participer à ce jeu social fait de gestes qui tour à tour peuvent nous séduire ou nous menacer. C’est cette image qui lui permet de tracer une frontière avec l’autre, frontière à partir de laquelle un tri sélectif va être effectué. Il va incorporer ce qui est bon et il va projeter au-dehors ce qui est mauvais. D’où ce jeu de prestance, de séduction et d’intimidation qui participe de la méconnaissance paranoïaque. Tout ce qui pourrait rendre moins aimable le moi est projeté sur l’autre. Ces mécanismes prennent dans notre vie sociale une place qui dépasse largement le temps de la petite enfance en ceci que nous avons cette tendance, et c’est encore plus vrai à l’échelle collective, de refourguer à l’autre la faute de ce qui ne va pas.
Cette étape de la constitution du corps imaginaire, malgré ces désagréments, nous est nécessaire pour sortir de cette emprise dans l’Autre que constitue l’aliénation dans le corps réel. Cette emprise que nous retrouvons chez les autistes, fait que pour ceux qui sont socialisés, qui parlent, ceux que l’on appelle le plus souvent les « Asperger », cette relation imaginaire à l’autre ne peut se mettre en place, de sorte qu’ils ne comprennent vraiment rien, lorsqu’ils vont à l’école notamment, ils ne comprennent vraiment rien aux jeux de séduction et encore moins d’agressivité qui peuvent naître dans la vie de tout groupe. Si l’Asperger va se faire traiter d’intello notamment, pour peu qu’il marche bien à l’école, il ne va rien comprendre, et il ne va pas savoir comment répondre à ce type d’agressivité. Et donc ces autistes restent investis sur leur corps réel, comme nous le constatons en regardant leur gestuelle qui n’est pas adressée à l’autre mais seulement mue par une nécessité interne. Ainsi un autiste peut passer ses journées à regarder bouger ses mains. Il peut être complètement fasciné par les mouvements de son propre corps et avoir peu de gestes qui peuvent nous parler, enfin nous susciter dans ces registres de la séduction ou de l’intimidation. Tout ce qui peut être symbolique dans une gestuelle ne fonctionne pas pour lui.
Et ça ne fonctionne pas faute de s’être constitué un corps imaginaire. Nous verrons plus loin comment chez certains patients psychosomatiques ce passage du corps réel au corps imaginaire se fait peu, mal, et comment pour ce qui est de l’investissement de leur image du corps, cela ne s‘est pas fait, ils ont peu de soucis de ce côté-là. Aussi retenons pour l’instant que ce passage du corps réel vers le corps imaginaire ne peut se faire sans l’intervention du corps symbolique. Lorsque Lacan a repris le stade du miroir dans son premier sémina
ire, - le stade du miroir c’est en 1936 et son premier séminaire c’est en 1954-, Lacan a utilisé un schéma optique que je vais évoquer très rapidement ici pour vous donner à entendre aussi ces trois registres Réel, Symbolique et Imaginaire, pour vous parler de ce nouage entre les trois, et comment ça peut se faire au niveau de la constitution du corps imaginaire. Lacan a utilisé un schéma optique qui fait intervenir un miroir concave, je vous l’ai mis là au tableau. Donc ça c’est un miroir concave, et ce miroir concave a pour propriété de produire une image qui est dite réelle par les gens qui font de l’optique, cette image elle est réelle parce qu’elle se forme devant, vous voyez donc là il y a une petite boîte et puis il y a un bouquet de fleurs pendu dans la petite boîte, et l’image de ce bouquet de fleurs vient se former à l’avant du miroir pour une personne qui va se mettre dans le cône qui est dans le prolongement de ce cône-là. Ce qui fait que vous allez voir le bouquet de fleurs à l’endroit ici, comme si c’était une image réelle.
Ça c’est le premier point, je vous expliquerai la suite du schéma dans un petit instant. Puisque ce que nous dit Lacan, c’est que nous avons nos images réelles et on voit dans le miroir en face, on voit un corps entier. Et comme ce truc là on ne le reconnaît pas tout de suite, l’autre va nous aider et va nous dire « c’est toi, hein c’est Léo », et quand l’enfant va comprendre, il va être tout content de cette affaire. Ce que Lacan a mis là, ce vase, c’est le contenant et on va y mettre cette image réelle de nos mains, et dire voilà, nos mains ça appartient à cet ensemble-là. C’est-à-dire qu’il faut faire coller les choses et comme dit Lacan il faut non seulement être dans le cône là, mais en plus il ne faut pas être trop près parce que sinon le raccord ne se fait pas très bien. Alors que si on se met à une certaine distance et au bon endroit, à ce moment-là ç
a va créer une illusion que tout cela ça fait un tout. Mais en fait il y a un raccord, il n’y a pas un tout.
Et Lacan s’est servi d’un miroir plan pour parler de l’Autre, parce que c’est la mère qui dit « c’est toi là dans le miroir ». Donc est-ce que l’enfant ne peut pas se mettre vraiment au bon endroit si l’Autre ne l’y aide pas de différentes façons ? L’Autre va utiliser ce miroir plan là pour dire : c’est toi ! En inclinant ce miroir-là vers l’œil de l’enfant, l’adulte va faire en sorte qu’il y ait une conjonction. Enfin prenez ça comme une parabole. C’est pour dire que dès ce premier schéma, il est question donc des trois corps, réel, symbolique et imaginaire et que cette fiction ne peut tenir… que l’on se fait un schéma corporel que s’il y a les trois instances qui jouent aussi bien du côté de l’Autre que du côté de l’enfant. Et c’est ainsi qu’il va pouvoir s’identifier à cette image, une image qui aura une illusion de complétude et de consistance.
Par contre vous voyez que dès que vous sortez, …enfin si vous êtes trop près du raccord et que vous voyez qu’il y a un joint, là ça ne fonctionne pas très bien et c’est à ce moment-là que peut surgir l’angoisse.
Donc retenez bien pour l’instant que l’angoisse, c’est justement dans ce raccord entre le réel et l’imaginaire. L’angoisse qui s’accompagne de dépersonnalisation pose justement des questions sur « qui suis-je par rapport à ça ? », « comment je suis foutu ?» et aussi d’une déréalisation parce que si on ne fait pas tenir notre corps, le monde autour ne tient pas bien. Et voyez comment l’autiste y est pris, lui, il a un souci de mêmeté et d’immuabilité, c’est-à-dire il va apprendre par cœur le schéma corporel du monde pour faire tenir son affaire, faute de pouvoir s’appuyer sur cette mise en place de l’imaginaire, et l’imaginaire lui va se promener un peu dans la nature. Et pour que cette image tienne il faut aussi que l’autre symbolique enlève un bout de corps, ce qui rejoint ce que je vous disais à l’instant sur cette mise en place d’une partie mauvaise du moi. Je vous disais : ça, c’est projeté à l’extérieur. Cette mise en place pour l’enfant est longue. Vous êtes sûr que cet enfant est dans cette problématique quand il fait des cauchemars, à un âge plus ou moins précoce, dans la mesure où dans la journée les rapports peuvent être souvent tendus. Vous voyez, ce sont les moments où l’enfant avec sa demande, … il peut y avoir de l’agressivité avec les frères et sœurs quand il y en a ou avec les petits camarades à l’école. Et puis avec les parents les demandes se font plus pressantes, il y a des caprices. Et la nuit surviennent ces cauchemars dans lesquels une représentation hostile de l’autre, cela peut-être un loup, un voleur, etc… vous connaissez bien ça, eh bien cette représentation hostile de l’autre vient menacer l’enfant de le séparer d’une partie de lui-même. Ces cauchemars participent à la constitution d’une fiction, dans laquelle au désir énigmatique de l’Autre, l’enfant va céder une livre de chair, un bout de son corps, l’objet pulsionnel. Cette scénarisation de cette dispute de l’objet pulsionnel ne peut se faire que par la mise en place du corps symbolique qui est le corps de la castration. L’enfant a à refouler cette jouissance pulsionnelle pour se mettre au service, (donc jouissance pulsionnelle qui est dans ses jeux, … vous voyez par exemple tout ce qui peut tourner autour de l’éducation à table, … il veut ceci et il faut le manger en respectant un certain code etc… Ou pour l’apprentissage de la propreté), eh bien voilà cela doit être fait, les règles changent d’une famille à l’autre ou d’une culture à l’autre, mais chaque famille et chaque culture a ses exigences et cela doit être intégré dans un certain temps, à un certain âge, et participe de ce que nous appelons la castration, c’est-à-dire le refoulement d’une jouissance pulsionnelle pour se mettre au service…, pour satisfaire à autre chose, c’est-à-dire se mettre au service de la sexualité et de la reproduction de l’espèce.
Il y a dans cette opération un nouveau déplacement topologique, puisque si avec le corps imaginaire nous avions affaire aux affects, dont le premier des affects est l’angoisse, c’est-à-dire un corps qui se manifeste bruyamment, avec l’accès au corps symbolique, nous avons accès à cette autre satisfaction qui fait que le corps devient silencieux. « Le corps c’est le silence des organes », disait un médecin du 19ème siècle, Claude Leriche. La santé c’est que le corps se taise pour se mettre au service de la jouissance phallique. Les deux grands secteurs de l’activité phallique étant le sexe et le travail, nous disons volontiers de celui qui est très investi dans son travail et tout aussi vaillant du côté du sexe, et cela sans signe de fatigue apparent ni de survenue de maladie, on dit qu’il a la santé. Alors, petite note en passant, il est pertinent de ne pas parler du dit psychosomatique seulement pour la maladie mais aussi pour ce qui permet d’y échapper, c’est-à-dire de considérer tout ce que le corps peut supporter dès lors qu’il s’agit d’assurer cette autre satisfaction. Et je vous donnerai juste cet exemple anecdotique de Churchill qui arrivait sur ses 80 et quelques années… puisqu’il est mort à 92 ans, enfin vous vous souvenez de Churchill qui avait une obésité morbide à cette âge-là, qui fumait des cigares absolument gigantesques, et qui buvait encore plus qu’il ne fumait, et qui, …vous savez quelles responsabilités tout au long de sa vie il a dû supporter. On lui a demandé le secret de sa longévité comme cela et il a répondu « le sport, jamais de sport ». Donc voilà un exemple de quelqu’un qui a résisté à des charges tout-à-fait extraordinaires, et y compris dans ses excès pulsionnels, et qui a pu tenir, et avoir une longévité particulièrement exceptionnelle, parce qu’il buvait des litres d’alcool par jour, c’était tout-à-fait impressionnant. Vous voyez …parce qu’à cette santé idéale, il y a beaucoup d’appelés, c’est-à-dire de gens qui essaient quand même d’accomplir leur devoir phallique et il y a peu d’élus comme Churchill, et les accidents survenus dans cette course à l’autre satisfaction sont nombreux, ce qu’on appelle par exemple « le burn-out ».
Il se chantait il n’y a pas si longtemps « Le travail c’est la santé, ne rien faire c’est la conserver », ce que Lacan a traduit autrement en mettant la mort du côté du symbolique, ce que j’ai mis là au tableau (dans le rond du symbolique) mais je vous expliquerai tout-à-l ’heure pourquoi j’ai mis ce schéma au tableau. Ce qui évidemment nous sort d’un schéma progressif, voire progressiste qui nous ferait passer de l’un à l’autre de ces corps, réel, imaginaire ou symbolique, comme dans une marche vers le progrès, puisqu’au fond si la constitution d’un corps prend le dessus sur les deux autres, cela peut amener des inconvénients dans le fonctionnement général de notre organisme. La physiologie de notre corps est dépendante de ces trois corps là, de la façon dont ils peuvent non pas s’harmoniser mais fonctionner ensemble, c’est quand même un peu différent.
Il y a bien sûr une progression temporelle pour l’enfant, et vous avez entendu que j’ai suivi là une progression temporelle, c’est-à-dire entre ce qui se passe dans la petite enfance et les étapes qui viennent progressivement, pour mettre en place à la fois l’image corporelle et les relations sociales qui vont avec. Et cette progression se fait tout en se constituant un savoir qui va se déchirer du besoin, mais cette maturation ne peut se faire que si dans l’Autre, ces trois instances, Réel, Symbolique, Imaginaire sont bien distinctes et présentes simultanément.
C’est-à-dire que si la mère est bien présente pour l’enfant mais qu’elle garde en ligne de mire de répondre à cette Autre satisfaction, c’est-à-dire la satisfaction symbolique, son savoir va fonctionner, pour permettre que l’enfant trouve un rythme, un rythme propre pour satisfaire à la fois à ses besoins et aux exigences de vie sociale qui sont interdépendants. Une mère n’aura pas la même vie sociale si son enfant trouve un rythme pour ses repas, son sommeil, ses activités de veille, tel qu’il lui laisse le temps d’aller vaquer à d’autres occupations, et aussi s’il accepte que d’autres personnes qu’elle puissent s’occuper de lui, c’est-à-dire s’il accepte les séparations. Puisque là aussi c’est dans l’interdépendance de ces corps.… la problématique autour de la constitution du corps réel et de sa physiologie tient à la jouissance qu’il y a dans cette co-présence d’un corps à l’autre et à la difficulté d’opérer la séparation du corps de la mère. Donc pour la socialisation de la mère, qu’elle puisse se séparer de son enfant et qu’elle le veuille aussi, est un élément tout à fait primordial.
Mais comme nous le constatons souvent, il suffit que pour la mère dans sa relation à son conjoint, à ses parents, soit privilégié l’un des trois corps réel, imaginaire ou symbolique pour que immédiatement cela ait des répercussions sur la vie relationnelle avec l’enfant. Suivons cela sur une cartographie qui est familière aux lecteurs de Lacan, le nœud borroméen, qui est la dernière élaboration topologique de Lacan, qui a eu le souci, en passant par les mathématiques, de nous extraire de la topologie du sac, de la sphère où existe une opposition binaire entre le dedans et le dehors, entre le contenant et le contenu. Puisque c’est une topologie à laquelle nous nous référons très souvent,- quelqu’un qui vient parler peut dire qu’il vient vider son sac par exemple ou que , en se cultivant, ou en lisant, ou en apprenant, qu’il va se remplir-, vous voyez c’est une topologie, celle de la sphère, puisqu’une sphère c’est une surface qui sépare un dedans et un dehors, c’est une topologie que nous entendons employée tous les jours.
Lacan, l’originalité de son travail c’est d’abord d’avoir utilisé d’autres topologies des surfaces dans un premier temps avec la bande de Moebius, le plan projectif, et ensuite dans la deuxième partie de son élaboration, il a utilisé cette topologie tout-à-fait originale, auxquelles les mathématiciens se sont intéressés, des nœuds, la topologie des nœuds, dont le nœud borroméen que vous avez là. Donc un nœud ça se fait avec des ficelles, c’est-à-dire d’un rond qui a une consistance d’abord, et si vous le fermez, vous avez la consistance de ce que vous pouvez appeler une corde, mais il y aussi à l’entendre de façon plus abstraite, donc une consistance qui va être imaginaire, qui va délimiter un trou, ici, qui est symbolique, et puis une existence, c’est-à-dire ce qui est au-dehors, et qui est, cette existence, réelle. Et ces trois ronds on va les définir comme étant borroméens si nous les nouons de façon, … vous avez là un nœud borroméen, ces trois ronds sont noués de telle sorte que si je défais l’un quelconque de ces trois les deux autres seront séparés. Contrairement à …si vous faites une chaîne, vous en séparez un, les deux autres restent ensemble. Et lorsque Lacan a entendu parler de cette propriété, pour lui ça a été la trouvaille qui lui permettait d’avancer sur ce qu’il élaborait déjà depuis une quarantaine d’années sur les rapports entre ces trois instances du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire.
Alors vous voyez quand c’est comme ça (il montre un nœud tout enchevêtré), c’est quand même assez brouillon. Et Lacan, ce qu’il a fait, et ce que font les mathématiciens aussi, c’est pour en détailler les propriétés, … il va le mettre à plat. Je le mets à plat sur la table comme ça, vous avez une mise à plat comme ça. Donc vous voyez qu’en le mettant à plat comme ça, parce que sinon c’est de la 3D et puis là on le met en 2D. Et si vous le mettez en 2D vous pouvez dégager des rapports originaux entre les…Puisqu’il y en a un qu’on va nommer Réel, l’autre Imaginaire et l’autre Symbolique, ils sont équivalents. Mais ce qui va changer c’est qu’on donne à chacun un nom différent. Et vous voyez qu’on peut déterminer des zones différentes entre ces ronds puisqu’il y a des zones d’intersection, si celui-là je l’appelle, … là c’est le symbolique S, donc c’est symbolique, là le réel R et là l’imaginaire I. Donc vous voyez qu’on peut dire qu’il y a une intersection là entre Imaginaire et Réel, et puis ici entre Symbolique et Imaginaire. Et Lacan leur a donné un nom à ces intersections, un nom qu’il avait déjà puisque c’étaient des choses qu’il élaborait depuis ces quarante années. Je vais vous en donner, enfin j’en ai déjà mis sur le tableau et je vais les commenter maintenant, je vais vous donner un certain nombre de ces noms et vous donner un exemple de comment on peut utiliser cette topologie et ses rapports.
Donc la zone d’intersection entre le Réel et l’Imaginaire, Lacan l’a nommée « la jouissance Autre » (JA), soit cett
e jouissance du corps dont je vous ai parlée en vous parlant du corps réel, et jouissance Autre donc qui est une jouissance hors symbolique puisque vous
voyez elle est hors de ce rond symbolique, c’est ce qui appartient à l’intersection Réel et Imaginaire, mais c’est ce qui est en-dehors complètement du rond symbolique qui est ici.
Pour en revenir à ce que je vous disais sur les effets que peut avoir le privilège donné dans les soins et l’attention donnée à l’enfant, si une
mère élève son enfant hors langage, ce qui est impossible stricto sensu mais cela peut s’en approcher, il va y avoir une hypertrophie de la jouissance Autre. Alors on pourrait dire là il y a une grosse jouissance Autre et le reste est un peu riquiqui, c’est une façon de l’imaginariser, mais en même temps c’est une façon d’utiliser ces rapports topologiques. Et ça va être au détriment des autres jouissances, c’est-à-dire que cliniquement, il peut arriver que ce qui est prééminent soit cette jouissance Autre.
Et les autres intersections, donc l’intersection entre l’Imaginaire et le Symbolique, Lacan l’a nommée le sens, la signification, et ce qui est entre le Réel et le Symbolique, il l’a nommé la jouissance phallique. Cette hypertrophie de la jouissance Autre se traduit dans la relation à l’enfant par un privilège donnée au corps de l’enfant, à sa présence, au détriment même de son image, et surtout de son inscription symbolique dans le tissu social. Et quand parole il y a, elle revient fréquemment sur le corps, ses besoins et ses maladies. Vous avez des mères qui vont avoir une propension à vouloir que leur enfant soit malade, contrairement à d’autres mères qui vont privilégier la jouissance phallique. Vous connaissez peut-être cette histoire de mères juives,… vous avez toujours trois mères juives dans un salon de thé et puis il y en a une qui dit « ah bien moi l’avocat il a fait une rougeole », « ah ben moi mon médecin il a la varicelle », enfin vous entendez qu’elles parlent de leur enfant et de ses maladies mais qu’à côté de cela la projection dans sa réussite sociale est tout-à-fait prééminente dès les premières années de sa vie. Eh bien pour d’autres ça peut-être un corps malade, souffrant, ou qu’il faut prévenir de la maladie etc…Donc ça, ça va être une prééminence du côté du corps réel.
Cette hypertrophie peut aussi porter sur l’investissement de l’image du corps et sur le sens qui se produit autour des relations imaginaires à l’autre, de la séduction et de l’agressivité et de ce qui produit une histoire, puisque c’est en nous inscrivant dans une histoire, histoire qui a toujours sa part d’imaginarisation, de mythologie,… quand on raconte une histoire, en général, on essaie quand même de se donner le bon rôle et de laisser le mauvais aux autres et ça reproduit ce que je vous disais tout-à-l’ heure sur cette projection du mauvais sur l’autre et de cette attribution à soi-même du bon. C’est-à-dire que l’histoire, le sens, ça fonctionne aussi avec la constitution de l’image narcissique. Et dans cette histoire un objet est privilégié sur les autres, que ce soit l’objet oral, anal, scopique ou la voix, autour duquel s’entretient la dispute avec l’autre.
Et il peut se rencontrer une hypertrophie de la jouissance phallique, à savoir qu’un enfant peut se trouver enjoint de répondre tôt à des devoirs d’adulte, duquel nous en venons à dire qu’il n’a pas d’enfance. Ça arrive, vous avez des parents qui sont gravement déficients et du coup, ça tombe le plus souvent sur l’aîné, il va falloir qu’il s’occupe des cadets et voire même qu’il s’occupe des parents, qu’il s’occupe des papiers, les parents sont analphabètes et malades et l’enfant va comme ça s’occuper des papiers de la maison le soir, faire faire les devoirs aux enfants après avoir fait le repas. De ceux-là on dit qu’ils n’ont pas eu d’enfance, à juste titre. Et ce qui peut avoir pour destin, à l’âge adulte, de faire une personne qui va s’exténuer dans l’exercice de son devoir sans égard aucun pour la physiologie de son corps.
Alors je vais vous donner un exemple clinique qui nous permet d’entendre comment ces données, qui peuvent vous paraître à juste titre abstraites, comment ces données peuvent s’intriquer. Il s’agit d’une jeune femme qui souffre depuis l’âge de quatre ans d’une phobie de situation. Elle pourrait se mettre à vomir en public. A cela s’ajoute une angoisse, une angoisse assez vive qui gêne sa vie sociale, au point qu’elle a dû quitter le circuit scolaire ordinaire pour intégrer les classes de scolarisation adaptée. Nous avons là un symptôme névrotique qui empêche une réalisation du côté du symbolique et de la jouissance phallique, même si la visée phallique est quand même très présente dans ses propos, ça reste une visée, car elle a le souci de réintégrer le circuit scolaire et d’entrer dans la vie adulte. Et puis du côté de l’imaginaire, là aussi c’est en place. Chez elle ça se voit bien, son image est surinvestie, ça se voit au premier coup d’œil, par le souci qu’elle peut avoir de sa vêture et de son maquillage. L’imaginaire prime aussi dans sa relation aux autres dans cette historisation, dans ses multiples récits où se succèdent les phases de séduction réciproque avec l’autre et les phases d’agressivité, de jalousie et de dépit à l’égard de ceux qui ne la comprennent pas, elle et sa maladie. Et c’est du côté du réel, donc le plus insidieux, que se trouve la fixation la plus forte. Depuis le début de ses symptômes, sa mère, dont elle est la fille unique, n’a eu de cesse de trouver le médecin qui lui donnera le diagnostic de la maladie somatique dont souffre sa fille, puisqu’il y a une partie digestive de ses symptômes. La mère s’est arrêtée à ce savoir que sa fille a une maladie dans le corps et rien d’autre. Alors que son entourage familial, y compris son mari avec qui elle vit toujours, et certainement un certain nombre de professionnels qui ont été consultés, lui ont dit très tôt qu’elle était trop proche de sa fille et qu’elle lui laissait passer tous ses caprices. Le transfert avec cette jeune fille prend avec cela une tonalité très particulière, puisque après une tentative de faire admettre cette thèse unique, le thérapeute est vite mis dans le lot de ceux, soignants et enseignants, qui ne savent rien, dont le savoir n’est pas valide puisqu’ils ne partagent pas le savoir de sa mère sur son propre corps. C’est à ce niveau de ce savoir incorruptible que nous pouvons repérer ce que Lacan a appelé « l’holophrase ». L’holophrase qui ne se rencontre pas seulement dans les phénomènes psychosomatiques, mais que Lacan a décrit en disant que c’est un trait qui se retrouve assez fréquemment dans ces troubles que lui-même appelle psychosomatiques au moment où il parle de l’holophrase. Holophrase, c’est-à-dire une phrase qui tient toute d’un bloc. Ici c’est un savoir, cette holophrase, qui est un commandement, c’est un impératif et c’est un savoir qui prétend être en adéquation avec le réel du corps de cette jeune fille. Bien sûr, rien n’est simple, et la dernière fois que je l’ai reçue, elle m’a annoncé qu’un laboratoire qu’elle avait trouvé à l’autre bout de la France lui avait décelé, à partir d’examens sanguins, une série d’allergies alimentaires. Rien n’est simple et nous n’avons pas être aussi holophrastique qu’elle en décrétant que si elle a un trouble névrotique elle ne peut pas avoir de symptôme organique, au contraire nous avons beaucoup à gagner cliniquement, en reconnaissant qu’une intrication de ces divers registres, Réel, Symbolique et Imaginaire est possible et même fréquemment rencontrée.
D’autant que dans son cas, si allergies alimentaires il y a, il survient dans un contexte clinique où l’objet oral est prééminent. C’est pour saisir ces intrications que nous avons intérêt à élargir notre champ d’investigations. En effet, lorsque nous parlons de maladie psychosomatique nous privilégions volontiers les pathologies dans lesquelles l’immunité est en jeu, qu’il s’agisse des pathologies infectieuses ou cancéreuses où l’immunité est prise en défaut… si quelqu’un fait un cancer après avoir eu un pépin, (il perd son travail, ou il y a un décès de quelqu’un qui lui est particulièrement proche et cher, ou à une date anniversaire), il y a toute une série de repères symboliques qui nous font penser au psychosomatique dans ces moments-là. Donc il y a ce registre-là, et il y a le registre des pathologies allergiques où l’immunité surréagit à un agent qui sinon n’est pas pathogène, un corps étranger qui n’est pas pathogène. Ou encore ces pathologies qui sont vraiment les plus énigmatiques du psychosomatique, à savoir les pathologies auto-immunes, où là l’immunité se retourne même contre le corps propre, comme étant comme un corps étranger, pour l’agresser. Cela peut attaquer les nerfs, ça peut attaquer certaines cellules pancréatiques etc., enfin ça peut attaquer tous les organes du corps. Et il y a aussi les pathologies cardio-vasculaires, comme les pathologies coronariennes ou l’hypertension artérielle essentielle.
Mais à côté de ces pathologies existent des maladies qui, curieusement, n’intéressent pas beaucoup les médecins, tant du côté somatique que du côté psy. Et ce désintérêt est d’autant plus étonnant que ce sont de loin les pathologies les plus fréquentes, et qui ont pris pour nom les troubles fonctionnels. Vous connaissez tous ça même si vous ne connaissez pas ce terme de troubles fonctionnels. Donc ces troubles fonctionnels n’intéressent pas les somaticiens parce qu’ils ne sont pas liés à une lésion caractérisée d’un organe ou d’un appareil et ils n’intéressent pas les psys car elles ne sont pas assez psychiques et n’ont pas assez de représentations mentales. Parmi ces troubles se rangent certaines céphalées… les troubles fonctionnels sont pour les somaticiens des diagnostics d’élimination dans la mesure où on n’a pas trouvé une cause, on va dire « c’est fonctionnel ». Si vous avez une céphalée et un méningiome derrière, on va faire un scanner, on va trouver une masse et faire un diagnostic. Avec une céphalée fonctionnelle, on élimine tout ce qui est somatique, et souvent les médecins vont dire « vous n’avez rien ». Pour quelqu’un qui peut-être couché un jour sur deux parce qu’il a mal à la tête, ce type de réponse va quand même le froisser dans sa relation au médecin. Donc dans ces troubles fonctionnels il y a des céphalées, des troubles digestifs et intestinaux, des rachialgies, des douleurs pelviennes, la fatigue chronique aussi rentre dans ce catalogue, la très controversée fibromyalgie, qui mérite tout notre intérêt, les prurits, enfin voilà tout un panel comme ça de pathologies réputées bénignes, et qui ont même été rangées dans la rubrique de la « bobologie », de manière quelque peu méprisante si on considère que ces pathologies peuvent avoir un impact très néfaste pour certains qui en souffrent.
Et enfin il existe un autre registre de pathologies qui ne reçoit pas le label psychosomatique malgré son caractère psy avéré, ce sont les pathologies qui découlent des débordements pulsionnels. Le plus représentatif et le plus facile à expliciter concerne tout ce qui relève des conséquences de la boulimie, puisque la première conséquence, c’est une obésité qui devient vite une obésité morbide et qui peut avoir comme conséquences somatiques directes et extrêmement invalidantes une hypertension artérielle, un diabète, de l’arthrose, etc... C’est-à-dire qu’avec une boulimie vous pouvez vous retrouver invalide à quarante ans.
Ce qui peut rassembler ces trois registres de pathologies, pour ce qui concerne notre clinique psychanalytique, est à chercher du côté du transfert. Il a été décrit la pensée opératoire des psychosomatiques, qui se caractérise par une pensée très matérialiste, qu’elle soit préoccupée du corps ou d’autre chose, par une pauvreté fantasmatique, et une pauvreté des affects aussi, c’est-à-dire des gens qui peuvent vous raconter…, ce n’est pas qu’ils n’ont pas d’histoire, ils peuvent vous dire qu’ils ont eu des choses difficiles dans leur vie, mais ça ne suscite pas de commentaires, et pas de commentaires paranoïaques justement, ils ne vont pas chercher à se donner le beau rôle ou le mauvais ; il y en a aussi qui sont « les poussins noirs », là ils vont se donner le mauvais rôle. Non ils vous racontent cela d’une façon extrêmement plate et désaffectivée, et ça, ça appartient aux traits de cette pensée opératoire. Et puis on peut trouver un souci pragmatique de trouver une solution et tout ça donc va empêcher les associations psychiques. Ce qui donne un transfert sans au-delà, l’interlocuteur doit adhérer à ce savoir sur le corps qui présente la maladie comme seule et unique cause de ce qui ne va pas. Et justement ils ont pu avoir des tas de pépins dans leur vie, ils vont dire « non, non le seul truc… » et en général ce sont les dits somaticiens qui vont les recevoir, ce ne sont pas les psys qui vont recevoir ces gens-là. Ce sont ces particularités du transfert qui font que ces patients ne viennent pas chez les psys, comme je vous disais à l’instant, arguant du fait qu’ils n’ont rien à dire, ce qui est souvent vrai. Mais les médecins qui s’occupent d’eux au quotidien et qui pour certains n’ont pas renoncé à ce que ces patients mentalisent leurs symptômes disent qu’avec de la patience et de l’écoute, il arrive qu’un jour, après parfois de longues années, … ça ce sont des somaticiens, des généralistes en particulier qui disent ça, d’où l’intérêt de ces médecins-là qui risquent de disparaître de par l’évolution de la médecine 2.0, eh bien le médecin qui suit la personne au long cours et qui même connaît la famille, celui qu’on a appelé longtemps « le médecin de famille », il peut avoir cette patience de se dire « bon celui-là il n’a pas grand-chose à dire » et d’attendre un jour où il va lui dire quelque chose,… et c’est une ouverture, ça peut être une ouverture pour l’envoyer chez le psy. L’expérience prouve qu’avec quelqu’un qui dit « moi je n’ai rien à dire », si vous dites « non, non vous allez chez le psy », ça ne va pas marcher ; il va vous dire « je n’ai rien à dire », ça va durer deux entretiens. Mais il y a ces temps d’ouverture et certains médecins sont très attachés à l’attendre, à le susciter aussi, car ça ne vient pas non plus comme ça et quand ça arrive, il faut avoir le temps de l’écouter, c’est-à-dire qu’une consultation de généraliste ça dure entre cinq et dix minutes mais si ça s’ouvre ce jour-là, si le généraliste a ce souci de passer une demi-heure avec son patient, eh bien il va se passer quelque chose.
C’est ce que je vais vous expliciter tout à l’heure avec la topologie que je vous amène.
Donc ce déblocage de situation et ses conséquences sont des plus intéressants pour nous si l’on considère que ces trois registres pathologiques de l’organicité, du fonctionnel et du pulsionnel ont une intrication que nous ne pouvons que constater.
Un autre exemple, puisque là vous avez vu qu’une personne qui a des problèmes d’oralité peut avoir une allergie alimentaire, vous prenez une personne qui a des traits de névrose obsessionnelle, elle va pouvoir être constipée, ça fait partie de la pulsion anale et puis elle va pouvoir avoir un côlon irritable, donc ça c’est un trouble fonctionnel, et elle peut développer une maladie de Crohn, ou une recto-colique ulcéro-hémorragique et là, on est dans le registre des maladies auto-immunes. C'est-à-dire que du point de vue de la physiopathologie c’est différent, et dans le registre de la psychopathologie c’est différent aussi. Ça ne joue pas sur les mêmes registres, bien qu’en même temps ce soit chez la même personne. Avec ce nœud borroméen…, parce que ce nœud borroméen, il ne s’agit pas de le prendre seulement à l’instant t mais de voir comment à des temps différents il peut évoluer. Et voir comment les rapports entre réel, symbolique et imaginaire peuvent évoluer entre eux.
Du côté des troubles pulsionnels et fonctionnels, ça fonctionne un peu au même endroit, que ce soit la constipation ou l’intestin irritable, il va être question de céder ou pas à l’autre un objet qui est retenu dans le corps. La pulsion anale se prête particulièrement à ça, vous avez le corps comme un sac et on garde l’objet le plus longtemps possible avant de le céder à l’Autre. Ça a bien été décrit par Freud dans son article sur l’érotisme anal. C’est ce qui crée une tension comme ça dans le rapport à l’Autre, à son désir et surtout à sa demande pour ce qui est de l’objet anal, mais ça s’accompagne d’angoisse, angoisse qui vous le voyez est là sur le schéma. Il y a une petite complique dans ce nœud borroméen, c’est que Lacan a fait des ronds de ficelle comme ça, c'est-à-dire que là y’a une boucle et là y’a des bras vous voyez pour faire partir comme ça de l’autre côté…
Et donc là y’a un bras qui part du Réel comme ça et que Lacan a nommé l’angoisse, et l’angoisse appartient au réel du corps puisque ça s’éprouve dans le corps, l’angoisse ça veut dire ce qui serre, … ça va serrer tous les organes aussi bien les artères que le tube digestif et ça serre aussi toute la musculature qu’elle soit lisse ou striée. L’angoisse c’est ce qui du Réel déborde sur l’Imaginaire. Et là, avec les troubles fonctionnels on a de l’angoisse. Alors du côté de la maladie auto-immune, il a été repéré que le point de déclenchement peut être potentiellement une situation angoissante, c'est-à-dire une situation de conflit où il y aurait à céder un objet pulsionnel à l’autre, situation d’engagement dans des études, un travail, une relation amoureuse qui implique un renoncement pulsionnel, toute situation de la vie et des relations sociales. Et ce que certains analystes ont repéré de façon très juste c’est que lorsque survient une maladie, donc dans ce registre des maladies auto-immunes notamment, il n’y a plus d’angoisse. On repart du côté de la jouissance Autre à ce moment-là. D’une part parce que la maladie vous offre une dispense, vous vous faites porter pâle par rapport au travail, vous avez un mot d’excuses avec votre maladie, mais aussi du fait que la problématique semble ne plus résider que dans l’évidence de l’atteinte du corps et c’est en quoi l’holophrase peut venir à se refermer sur elle-même au moment où le diagnostic de maladie organique est posé.
Et là je vais vous donner un autre exemple, j’y vais par un biais parce que justement comme je vous disais, les psys reçoivent peu ces gens qui sont vraiment dans la pathologie psychosomatique. Là cet exemple que je trouve particulièrement intéressant m’est rapporté par un homme qui me parle de sa compagne. C’est une femme avec qui il vit depuis plus de dix ans maintenant, avec laquelle il a deux enfants. Il lui est survenu un épisode typiquement psychosomatique, pour lequel elle n’a pas consulté un psy, elle a consulté un gars qui a une formation scientifique qui fonctionne maintenant comme guérisseur.
Voilà ce qu’il raconte. Je l’avais suivi un temps et il a dû quitter Grenoble au moment où il a connu cette jeune femme. Ils sont partis ensemble dans une autre ville puisqu’il avait une opportunité professionnelle, et ils se sont installés dans cette autre ville. Ce qui fait que pour cette jeune femme c’était l’occasion de quitter pour la première fois la ville où vivent ses parents. Et il décrit comment dans cette autre ville l’humeur de sa compagne a changé, et comment sont survenus des troubles fonctionnels et allergiques qui étaient rythmés en particulier par les aléas de leur vie sexuelle. D’emblée… C’est pas d’emblée, c’est plutôt dans les après-coup, puisque je l’ai vraiment invité à faire une clinique très précise de tout ça compte tenu de la suite, ce qu’il réalisa très bien. Et il me parle d’une aggravation, notamment elle avait eu une petite intervention pour des kystes ovariens, pour situer un peu ces troubles fonctionnels, on trouvait des petites choses au niveau somatique. Et il décrit une aggravation après la naissance de leur premier enfant, aggravation qui va se poursuivre après la naissance du deuxième enfant, aggravation qui va s’accompagner d’une fatigue de plus en plus importante. Aggravation qui a amené à ce qu’avec de plus en plus d’insistance elle réclame leur retour dans la vile où vivent ses parents à elle. Ce retour se fait sans grande amélioration et lorsqu’il revient pour me parler, il est très ennuyé de cette situation, leur vie sexuelle s’est complètement effondrée, il ne se passe plus grand-chose de ce côté-là et il est en souci aussi pour ses enfants puisqu’il a pu repérer que cette mère comme j’ai pu vous le dire tout à l’heure, fait partie de ces mères qui ont le souci de la maladie chez leur enfant. Et ce qui l’inquiétait encore plus c’est que, autant son fils a pu se dégager un peu de ça et entrer dans sa vie scolaire et sociale, il pousse bien mais pour la petite fille, quand ils veulent passer un week-end dans sa famille à lui, qui est un peu éloignée, la petite va faire une otite et la maman va rester avec elle. Et ça, ça arrive plus souvent qu’à son tour,… c'est-à-dire que cette petite qui a cinq ans, est un peu chétive, elle tombe assez facilement malade. Il voit aussi qu’elle est toujours dans l’orbite de sa mère, et que la relation avec lui est de très mauvaise qualité, elle est très peu tournée vers lui et dès qu’elle peut être avec maman, ça va beaucoup mieux. Et son hypothèse à ce moment-là est quand même qu’il y a quelque chose de névrotique là-dedans, il varie un peu les angles d’attaques, mais il essaie de ranimer la flamme de leur vie sexuelle, de temps en temps ça marche un petit peu, il n’y a rien de foudroyant, mais enfin il y a des fluctuations qui lui laissent pas mal d’espoir. Et puis arrive le diagnostic d’une sclérose en plaque.
On fait ce diagnostic,… la sclérose en plaque c’est une maladie auto-immune qui va donner des troubles sensitifs et moteurs qui peuvent s’aggraver, amener vers une invalidité plus ou moins rapide et raccourcir le pronostic vital, c’est une pathologie qui peut-être extrêmement grave. Et sa réaction est catastrophée, parce qu’il se dit ça y est c’est fichu. Ses espoirs de ranimer un peu leur vie d’homme et de femme lui paraissent complètement ruinés par ce diagnostic-là.
Dans ce repérage clinique il va aller plus loin puisqu’il va rapporter aussi la réaction de sa belle-mère qui est infirmière. La belle-mère, dit-il, est allée raconter ça à tout le monde, y compris chez sa boulangère et elle raconte ça « comme si sa fille avait décroché un diplôme ». Et là, on peut entendre une holophrase c'est-à-dire d’un coup ça y est c’est une réussite, on a l’élément dans la réalité qui explique tout. Et l’autre élément qui le concerne lui, mais qui parait important pour rendre compte de son détachement clinicien, c'est qu’il ne l’a pas quittée, maintenant le diagnostic est fait depuis un certain temps, mais il ne s’est pas non plus couché pour la plaindre, il n’est pas rentré dans l’holophrase, il n’est pas rentré dans le groupe des soignants qui ne s’occupent plus que de cette maladie, dans la mesure où lui, ce voisinage de la mort, il l’a particulièrement fréquenté puisqu’il a passé son adolescence avec une femme, sa mère, qui s’est détruit la santé et qui est morte pendant son adolescence. Et après une période « gothique » dont il s’est bien sorti, il a envie de vivre, donc il a envie de faire circuler ces trois… de circuler dans ces trois instances, parce que vous pouvez voir, c’est curieux que Lacan ait mis la mort à cet endroit-là, ça mériterait d’autres développement que je ne vais pas donner ce soir, pourquoi la mort est du côté symbolique et la vie du côté du réel. Mais en tous cas, lui, de par ce détachement là et de par le chemin qu’il a pu faire pour se détacher de cette mère qui a été mourante et qui est morte finalement, ça lui permet d’être un excellent clinicien de sa compagne et aussi d’avoir le souci de ses enfants et de son avenir à lui. L’avenir du couple est tout à fait incertain mais en tous cas il cherche à nouer ces trois instances de cette façon-là.
Et vous voyez, Charles Melman est cité par les gens qui travaillent sur la psychosomatique pour avoir parlé d’un fantasme d’une langue maternelle, fantasme d’une langue maternelle pour lequel tout malheur viendrait de l’introduction d’un agent corrupteur qui est le signifiant maître, c'est-à-dire le signifiant phallique mais d’un signifiant maître qui vient dire « c’est pas ça », ça vient dire « c’est pas ça »à ce qui se présente comme l’holophrase, c'est-à-dire qu’il n’y a pas que ça, y’a une autre satisfaction qui est culturelle, et vous pouvez entendre,… nous vivons de par la prégnance de la biologie et de la médicalisation de notre vie sociale, de son hygiénisme, nous vivons dans ce fantasme d’une langue maternelle qui serait en adéquation pour la satisfaction de notre corps, et notre bonheur viendrait de cette satisfaction de la jouissance Autre,… eh bien non ! Et tout ce qui a été dit aussi sur le fait... puisque là où nous passons pour être des gros réacs, c’est de défendre que nous avons à satisfaire à cette autre satisfaction qui est culturelle et qui est arbitraire et qu’il faut des signifiants maîtres qui disent « c’est pas ça », mais c’est pas parce que ce n’est pas le bon signifiant, c’est parce qu’au contraire nous aurons tourné entre ces trois registres que nous allons pouvoir mettre de l’hétérogénéité entre ces ronds. C'est-à-dire que les gens nous viennent, ils peuvent avoir une grosse jouissance Autre, ils peuvent être dans le sens et vous raconter des histoires à longueur de journée -et on a pu remarquer en travaillant sur le premier séminaire de Lacan après avoir travaillé sur ses derniers séminaires que Lacan au début a repris cette visée freudienne qui était de favoriser le sens, c'est-à-dire l’histoire, de dire le refoulement est une discontinuité dans l’historicisation et tout ça… C’est un temps nécessaire, c’est un temps… peut être que cette femme en allant chez ce chaman, puisque le peu qui a pu m’en être dit, c’est qu’il vient mettre de l’imaginaire sur ce corps qui est trop réel avec sa sclérose en plaque, peut-être qu’en imaginarisant ça il va pouvoir y avoir un déplacement et interroger ce qui sera de la jouissance phallique, c'est-à-dire que dans notre clinique, nous prenons les gens avec le nœud qu’ils nous amènent, il peut y avoir une hypertrophie de la jouissance Autre, ou du sens, … y’en a qui ne vont être que dans la jouissance phallique et qui vont s’épuiser dans la vie à courir après leur jouissance phallique. Nous, ce que nous pouvons faire en écoutant les gens, c’est de repérer cette hétérogénéité là et l’exemple de la jeune fille que je vous ai donné tout à l’heure permet d’entendre ça.
On a un symptôme qui est articulé par rapport à la jouissance phallique et on découvre que l’imaginaire y’en a, et que finalement pour ce qui est de la jouissance Autre y’en a encore beaucoup. Donc lorsqu’on arrive comme ça à repérer ces trois registres, ça prend évidemment du temps, on peut faire bouger l’architecture de ce nœud et avec le temps, permettre non pas une harmonie mais quand même un rééquilibrage de ces trois ronds qui peut rendre la vie un peu plus confortable.